HEJ DÅ LUND

Parce qu’il fallait bien que je dise au revoir correctement. J’ai passé du bon temps au pays des élans, mais je voudrais bien embrocher la personne qui a dit que vivre à l’étranger c’était le rêve, « une vie dans une seule année »,  « une ouverture culturelle hors norme qui te marque pour le restant de tes jours » ou bien « des vacances qui ne s’arrêtent jamais ».

Shout out to celles et ceux qui ont vécu ça comme ce que c’est vraiment: la vraie vie, juste un peu plus loin. Et bien sûr, shout out to la Suède ce pays modèle que tout le monde admire, la ville de Lund que personne ne connaît, et les moments, hauts ou bas, qui m’ont fait basculer dans la très dangereuse vie d’adulte. 

Hier, j’ai déménagé. Je quitte la Suède sans date de retour, je rentre. Hej då, ça veut dire aurevoir. 

Maisons rouges, vikings et l’égalité des genres. Greta Thunberg, ABBA, les mers et les neiges, la cannelle et les vélos. La Suède. Nature sauvage, hareng pourri, futur moderne, social-démocratie.

            Je suis partie pour de simples vacances. J’ai simplement tapé « destination pas chère » dans Google. Comme quoi, ça tient souvent à pas grand-chose. Je suis tombée sur la Suède. Voilà. 

Lund. 

            Il pleut souvent, c’est marrant ça m’a touchée. Un peu comme le gris de Paris, j’ai pensé. Et puis c’était parti. 

            Alors ces quelques mots, pour dire au revoir à ce qui a été mon univers pendant des mois, et m’y replonger avec le goût de la nostalgie, un peu amer, d’une parenthèse interrompue par un petit virus dont vous connaissez le nom.

            Douce Lund. Des ruelles pavées, des maisons basses et colorées, des arbres et des fleurs. Les serres du jardin botanique pour dessiner, les salles du Skissernas le musée, pour penser.  Je ne sais toujours pas qui vend les meilleurs falafels, à manger dehors, devant la fontaine de l’université blanche et lisse. Une cathédrale grise domine la ville de ses deux tours pointues. Les bus, les trains et même le nouveau tramway ont perdu la partie, les vélos règnent en maîtres. La faculté de sciences sociales trône au centre autour duquel tout gravite. Le lierre de la bibliothèque lui cache les yeux, et ravit ceux des autres. On peut prendre le fika, bien sûr, et se promener devant l’église rouge, du sucre plein les lèvres. Un quart d’heure de bus, pleine campagne, paysage plat comme une crêpe, champs et maisons de bois rouge. Malmö et sa tour sont tout près, Copenhague et sa petite sirène, juste un peu plus loin. On est à la plage en quelques coups de pédale, le Danemark ou la Norvège sont au bout des rails. Allez faire un tour dans la petite cour, la cantine de Govindas est bien cachée, délicieuse, et son patron au cœur grand comme une montagne. À Noël, il y a des bougies sur le parterre du grand hôtel et un immense sapin sur Martenstorget. Lève la tête, regarde vers le Nord, Laponie. Pour manifester pour le climat, c’est devant l’hôtel de ville. À Smalands Nation, il y a des cafés féministes, des pubs et des soirées années 80. Et aussi ma chambre, des photos de vous qui me manquez, et beaucoup d’ami.e.s. Lund sent la cannelle qui s’échappe des pressbyran, la pluie qui arrive et la vie douce.

            Même si la Suède verte emballe ses légumes dans du plastique, que le consensus y règne alors que je le déteste, qu’on m’avait pas parlé du vent qui m’a fait bouffer mes cheveux tous les jours, et que j’ai pas eu de révélation divine sur mon avenir, c’était chouette quand même. Mais la Scandinavie -malheureusement- n’est pas un paradis sur terre, et finalement les Français.e.s qui râlent et les fromages qui puent, c’est pas si nul que ça. Alors même si c’est la faute de Corona, partir vivre à l’étranger, c’est parfois se rendre compte qu’il est temps de rentrer à la maison. La maison m’a manqué viscéralement. Je crois que je suis encore un peu un bébé. 

            Mais les mois que j’ai passés à Lund m’ont fait tomber en amour d’une petite ville suédoise dont personne ne connait le nom, des pâtisseries à la cannelle, du pont de l’Öresund et des fenêtres sans volets. J’ai découvert des bouts de moi éparpillés, un peu plus sombres ou tout euphoriques, que je ne connaissais pas. J’ai navigué dans l’idéal nordique que j’avais imaginé, j’ai exploré la solitude sans m’y attendre. J’ai détesté l’hiver plus que jamais, j’ai ri en entendant mon accent suédois, mes proches m’ont manqué. J’ai réalisé que je suis amoureuse de la ville de Paris, j’ai enfin pris du temps pour réfléchir, et en apprendre plus sur les combats que je veux mener au retour. J’ai trouvé de la crème fraîche vegan. J’ai appris à être adulte et responsable, c’est-à-dire à signer des préavis en suédois. On m’a menti en disant que je ne m’ennuierais jamais, c’est en m’ennuyant que j’ai eu les meilleures idées. Je me suis calmée, pour accoucher d’une nouvelle énergie, c’était la grossesse de Motus, d’Oïkos et de tout ce qui reste à venir. J’ai cru que le sexisme s’était arrêté aux frontières, en fait non et puis là-bas les cœurs battent tout pareil, des luttes restent encore à mener. J’ai espéré, profité, j’ai aussi été déçue en croyant ne jamais l’être. J’en ai eu ras-le-bol qu’on me parle de la Scandinavie, et j’ai adoré parlé de la Scandinavie. 

            Vivre à l’étranger n’a rien eu d’un rêve, c’était bien vrai, avec des trèfles et des piques, malgré tout ce qu’on raconte. 

            Lund, tu m’as obligée à faire du vélo et à payer une blinde dans tes 7 Eleven. Tu m’as montré qu’on a encore des progrès à faire en éducation, et aussi en égalité. J’ai sillonné tes rues en téléphonant, j’ai pesté devant les emballages plastiques du Coop. Je me suis réfugiée au pied de ta cathédrale quand j’ai eu besoin d’air. J’ai été en colère près de tes lacs, j’ai rêvé dans tes bois. J’ai attendu la neige mais il n’y avait que de la nuit, et le soleil est arrivé quand je ne l’attendais plus. C’est vrai qu’il revient toujours, finalement. J’ai pensé « l’herbe est plus verte ailleurs ». Et en fait j’ai changé d’avis. J’ai vécu des moments mémorables, dormir dans un chalet au milieu de la forêt, pleurer devant une aurore boréale, dérouler le fil de l’existence qui passe par là, dans ce qui est devenu mon chez-moi, avec tout ce que je l’aime et le déteste. Lund, c’est la maison. 

            Des mois riches de bons et de mauvais moments en somme, comme les montagnes russes de la réalité. Du normal, du banal, juste un peu plus loin que d’habitude. On m’avait pas dit que ça ressemblerait autant à la vraie vie. 

            Un jour, un virus m’a ravi le plaisir d’observer le printemps rallumer tes fleurs, Lund. Je suis un peu amère, en contemplant tous les projets que j’avais encore dans mes valises, et qui y resteront. Mais je reviendrais peut-être, au hasard des jours, dans une petite ville qui m’est devenue si familière. Et je lui raconterai en souriant tous les souvenirs qu’elle m’a offerts, et les horizons qu’elle a ouverts. 

            Si j’ai un conseil à vous donner… Faites-le. Faites ce voyage, lancez ce projet, vibrez, profitez, vivez bien, fort, puissamment. Car parfois, il suffit d’un tout petit virus pour que tout s’arrête… 

            Merci du fond du cœur, Lund, ciel gris et ville aux mille couleurs. Je rentre à Paris.

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