LA PEUR DU NOIR

« La zad a capté un imaginaire de l’alternative en lui donnant un contenu concret. Eh oui, il est possible de vivre autrement. Soudain, ce qui n’était jusque-là que l’expérience d’un microcosme est devenu ressenti populaire. Le secret de la fascination qu’exerce Notre Dame des Landes, c’est que l’expérience politique y est expérience de vie ». (Kempf, 2014) 

Je suis anarchiste. 

Ce texte, premier d’une longue série pour déboulonner la peur du noir. Les passages en gras sont tirés de mon Grand Écrit à Sciences Po, qui traitait du potentiel révolutionnaire de l’écologie. Parce qu’ils résument les chemins qu’a emprunté ma pensée avant d’aboutir au drapeau noir.

            Capitalisme. Système basé sur l’accumulation du capital. Capitalisme, le troc de notre force de travail, de notre cerveau efficient, de nos journées de vie contre des tickets pour le grand manège de la consommation. Capitalisme, la destruction de plus de forêts, de plus d’humains, de plus de vie pour exister plus grand, plus haut, plus rapide. Capitalisme, expansion, invasion, colonisation, chiffres et feuilles de calculs. Capitalisme, les riches en jet pendant que l’humanité trime.  Capitalisme, ami.e.s, tout est politique, les enfants, la politique est confisquée. Capitalisme, vous produisez, nous consommons. Ils empochent. Ils gouvernent. Ils maintiennent.  

 « Pour White, la nature est ainsi devenue une « machine organique », que nous utilisons comme d’autres instruments de production, pour le bien de nos sociétés (White, 1995). Cette mentalité représente pour beaucoup le principe actif de l’anthropocène. On l’appelle le productivisme, ou encore « l’extractivisme », c’est-à-dire la logique par laquelle nous considérons la planète comme une source d’enrichissement infinie (Klein, 2014). Certains blâment directement le capitalisme lui-même, duquel découleraient les logiques productivistes. Bari rappelle ainsi que le capitalisme est basé sur le principe de propriété privée, c’est-à-dire le fait que certains humains « possèdent » la Terre dans le but de l’exploiter pour du profit ou l’accumulation de capital (Bari, 1997). Ainsi, ce que nous appelons « crise » écologique, n’en serait justement pas une (Cochet, 2018). La notion de crise implique un problème qui pourrait se résorber de lui-même après un moment critique. Or l’anthropocène tel que nous venons de l’exposer,« n’est pas une conséquence fatale d’une nature humaine qui serait intrinsèquement productiviste, destructive, démesurée. C’est une défaillance politique, un choix. » (Cochet, 2018, p. 51). » « Bruno Latour assure que « l’écologie ne cherche pas à choisir une place à l’intérieur de l’ancienne Constitution, mais à convoquer le collectif dans une autre assemblée, une autre arène, un autre forum » (Latour, 2016, p. 298). Si le pouvoir en place n’est pas réformable, alors la seule issue possible pour l’humanité est l’idée d’une révolution écologique mondiale (Boggs, 2012). »

Mais

« C’était à prévoir : des solutions s’inscrivent dans une dépolitisation de l’écologie, vue comme une autre question à gérer via la matrice capitaliste. Robbins appelle les solutions proposées dans cette optique les « écologies apolitiques », des solutions efficaces, déterminées pour créer une situation gagnante pour ceux qui se tournent vers de meilleures pratiques en remodelant les prix, cela pouvant donc aussi aboutir à une certaine croissance économique, rebaptisée « croissance verte » (Robbins, 2011). » 

Photo de Pixabay sur Pexels.com

Capitalisme, je te hais, je te crache, je te vomis. 

J’ai cherché à te fuir désespérément, j’ai cherché comment te faire imploser et d’où te faire exploser. J’ai cherché à te contourner, échapper à ton armée, sortir de ton labyrinthe. L’écologie pulsait dans mes tripes, l’appel de la terre gonflait mes veines ; j’ai senti qu’il faudra bien tout connecter : la rage politique et la colère de la terre. 

J’ai décidé d’être anarchiste. Parce qu’il n’y avait pas d’autre moyen. 

            On m’a dit : « tu es naïve ». Ça m’a fait péter un plomb. C’était il y a un an. C’était il y a deux siècles. L’anarchisme est l’ennemi juré, l’adversaire terrible, le rival absolu. Communisme, libéralisme, gauche, droite, à l’échelle nationale comme internationale, les réseaux de pouvoirs ont mobilisé leurs troupes contre le poison ultime. Ils ont écrit les livres d’histoire qui ne parlent que des bombes, ils ont montré les black blocks aux JT, ils ont envoyé la matraque et la mitraille sur Notre Dame des Landes, ils ont tu le Rojava syrien, ils ont fait miroiter la peur et la haine. Le drapeau noir comme l’ombre du mal lui-même. Bien des années après que les propagandes, main dans la main, ont décidé de museler l’anarchiste, quelqu’un m’a dit « tu es trop naïve » et j’ai pété un plomb. Moi, la naïve. Moi, le monde des bisounours. Moi, confiance aveugle, crédulité ridicule, utopisme absurde. Iels crachent leurs paroles avec mépris et dédain, comme des évidences. Comme les bons petits soldats qu’ils sont. Ceux qui ont bien appris la leçon. J’ai recopié la leçon sur mon cahier à grands carreaux.  

  • L’Etat nous protège. Entre l’intérêt général et l’argent, il choisit vite. 
  • Les anarchistes sont d’affreux bonhommes cagoulés de noir. 
  • L’humain est fondamentalement mauvais, l’anarchisme ne peut pas marcher. Nos élu.e.s échappent à cette règle. Dans leurs jolis costumes gris, sous la musique douce de leurs mots bien formés, tout indique que nous sommes à l’abri. 
  • Les anarchistes sont d’affreux bonhommes cagoulés de noir. 
  • S’il ne se passe rien, c’est que tous ces cons au droit de vote l’ont mal utilisé. Les dizaines d’années immobiles ne montrent pas que les politiques ont pieds et poings liés par le système. Ça n’a aucun rapport.  
  • Les anarchistes sont d’affreux bonhommes cagoulés de noir. 
  • Se mobiliser contre la destruction des droits sociaux, investir les rues pour demander le respect des femmes, faire pression pour cesser l’empoisonnement du monde aux pesticides. Luttes, militantisme, désobéissance. La société civile ? Oui certes, mais l’assemblée a tout de même interdit les pailles en plastique. 
  • Les anarchistes sont d’affreux bonhommes cagoulés de noir. 
  • Une dangereuse milice armée va dominer pour imposer son idéologie par la force, ou protéger les gens de pouvoir. Non, la police, c’est pas pareil. 
  • Les anarchistes sont d’affreux bonhommes cagoulés de noir. 

« Le FBI estime ainsi que, depuis 1990, au moins 1.200 actes d’écoterrorisme ont été commis sur le sol américain, causant pour 110 millions de dollars de dégâts. Il considère aujourd’hui l’écologie radicale comme la principale menace terroriste après le fondamentalisme islamique. » (Molga, 2019, p. 4).

Photo de Connor Danylenko sur Pexels.com

Pourtant, l’état de fait nous fait de grands signes au bout du chemin. 

Demande-toi, de quel côté viennent les plus belles initiatives, de quel bord émergent les alternatives cohérentes, d’où germent les graines résilientes ? De l’Etat ? ou de la société civile ? 

Demande-toi, les hommes et les femmes politiques savent mieux que nous. Nous leur avons laissé les rennes, nous, les incultes, les débiles. Ont-ils été capables depuis des décennies ?

Demande-toi, l’immobilisme de notre temps tue. Peut-on encore attendre le changement qu’iels nous promettent les uns après les autres en gardant la même tuyauterie ? 

Demande-toi, celles et ceux qui sont de bonne volonté, que peuvent-iels vraiment, face au rouleau compresseur de l’argent, de la croissance, des actionnaires, des lobbies, de la loi de l’offre et de la demande ? 

La réponse, vous la connaissez. Nous la connaissons. Pas parce que nous l’avons lue, apprise, cherchée. Mais parce que la réponse, nous la vivons. De plein fouet. Nous en payons les conséquences violentes et le prix fort. Des gens qui crèvent, des écosystèmes s’effondrent, et ces autres me traitent de naïve. Ils font de la peinture les yeux fermés. 

Photo de Vasadi Photography sur Pexels.com

Du haut de notre « démocratie » arrachée aux siècles dans la violence et le sang, on regarde la loi du plus fort avec un œil pédant, comme si, du fait de notre savoir si sophistiqué, de nos grandes manières et de nos petits conforts, elle ne pouvait plus rien contre nous. Une erreur simple comme bonjour, savamment distillée dans nos vins par ceux qui nous maintiennent sciemment dans une candeur arrangeante. 

            Car la loi du plus fort existe puissamment. Le plus fort a changé. Il n’a plus besoin de ses poings. Une parole soignée, des costumes repassés, des secrets d’Etat sous les dorures des plafonds lui suffisent. Il prépare désormais des coups de communication, les programmes scolaires, et sa prochaine cravate. Le plus fort a changé. Il a l’air aimable, il a l’air intelligent, et infiniment meilleur que nous. Petit à petit, à mesure que les années passent, qu’on est enfoui.e.s sous un travail envahissant et des soucis qui écrabouillent, il nous dépouille de notre confiance en nous, en nos capacités de réflexion et d’organisation, en notre humanité qui est et sera toujours plus puissante que la rationalité et les calculs de la technocratie. Le pouvoir est le seigneur des anneaux. Il détruit tout sur son passage, mobilise des armées, fait tout s’écrouler. Le pouvoir n’a aucun intérêt à ce que vous pensiez l’anarchisme. Dans le dictionnaire, il sera synonyme de chaos.

            Pourtant, mon salut n’est pas entre les mains de ceux qui oeuvrent dans le vent depuis des dizaines d’années avec pour seul résultat que les pauvres sont plus pauvres, que les riches sont plus riches, et que ma planète en fait les frais. 

            L’anarchisme c’est considérer les êtres avant des chiffres sur les feuilles, la force de la vie, la petite échelle, l’autogestion, le partage équitable des ressources, la vraie démocratie ; l’anarchisme c’est reprendre le contrôle sur nos vies, sur notre Terre qu’ils saccagent en nous pointant du doigt. L’anarchisme c’est le salut. Ils le savent. Les alternatives poussent comme des herbes de folles et sont arrachées par le pouvoir étatique avec une violence inouïe. Notre Dame des Landes n’est pas une affaire de squatteurs illégaux. C’est une affaire de vérité révélée au grand jour : oui, nous pouvons vivre sans eux. L’Etat tremble. Il fait miroiter un monde affreux : la loi du plus fort régnerait, comme si elle ne régnait pas déjà ; un groupe violent ferait respecter sa loi, comme si ce n’était pas la définition de la police, des accapareurs profiteraient du système, comme si ce n’était pas le cas de la quasi-totalité de celles et ceux qui nous gouvernent. L’Etat a peur. Les puissants ont peur. Ils envoient leurs armées s’occuper des anarchistes du monde avec une cruauté rare. Car le début de l’alternative qui plante des racines durables, c’est la fin d’un monde. Celui qui nous rend apathiques, indifférent.e.s, avides et cupides. Celui qui ruine l’humain et le vide de sa substance. Leur monde dont je ne veux pas. 

En 2017, bien avant toutes les réflexions qui ont suivi, bien avant l’anarchisme et bien avant le reste, j’ai écrit sur un bout de cahier:

« L’effondrement ne nécessite aucun chef. La femme et l’homme libres n’ont d’ailleurs pas besoin de politique. Iels sont politiques intrinsèquement. Je crois que je suis convaincue que l’écologie sera notre moyen d’émancipation. L’écologie fait resurgir l’imagination, notre arme la plus absolue, la plus essentielle, et la plus menacée. Celle qui nous permettra d’échapper au totalitarisme des temps modernes. La politique n’a ni point de départ, ni lieu d’arrivée, ni forme ni substance que celles qu’on se rend capable de lui donner. Elle ne sert et ne servira jamais à établir des constructions durables. Lorsque nous l’affirmons, c’est qu’elle est déjà morte. »

            L’écologie l’imagine, l’anarchisme l’expérimente. Je suis anarchiste. J’écrirai des milliers de billets. Pour que leurs idées n’infusent plus dans les cerveaux à l’arrêt. Pour que vous n’ayez plus peur du noir. Pour que ce mouvement que tous les autres ont fait dérailler soit reconnu pour ce qu’il est : un phare noir dans l’éblouissante obscurité.  

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