VOIE LACTÉE

Billet pas fini interminable. J’ai essayé de capturer avec mes mots mon moment préféré dans le délicat déploiement d’une histoire d’amour. Les étoiles qui vont avec. Les balbutiements et les assurances, les grandes chevauchées et les lamentables ratés. Le jeu que l’on joue entre étoiles, à s’éblouir avant de se cramer.

            Écrire sur l’amour, sans tomber dans les clichés et dans les mythes, sans dégringoler dans le tissu de mensonges qu’on nous vend régulièrement, sans s’aventurer dans les avenues toutes droites et les portes enfoncées.  

            Mes billets noircissent l’horizon, j’ai entendu qu’ils ont choqué, désarmé, ou même insupporté. Parfois ils sont trop lourds pour moi aussi, je les vomis comme une grosse colère aux contours indécis, ou comme des provocations scandaleuses qui font tâche au milieu des murs immaculés. 

            À trop user des crayons sombres, je crois que j’ai fait une injustice à certains moments étoilés. Ceux qui illuminent tous les autres, éblouissants au point de les effacer. Je suis profondément heureuse – pas reconnaissante, je crois que tout le monde y a droit – pour les moments étoilés qui me portent et me transpercent, pour lesquels je vis, j’envie, je languis. Il fallait que j’essaye d’aligner quelques mots pour ça. Être en colère, je sais mieux faire. Ça, c’était la galère. 

            Écrire sur l’amour, sans dévoiler trop d’intime, mais sans parler dans le vent. Trouver les bons mots pour rendre justices aux étoiles. Parce que ça fait 21 ans que la puissance de ce truc me cloue le bec. Chercher des mots pour décrire tout ça, partir à l’exploration de la jungle qu’il y a sous nos carcasses, de toutes ces contradictions qui nous contorsionnent, des moments étoile. Je suis fascinée par la force de la jouissance, désespérée par les obsessions, béate face au jeu, affolée par les jalousies. L’amour me décompose en des millions de parties. Le monde pourtant se construit et gravite autour de ces histoires quasi universelles, qui nous guettent à la fois parce qu’on les attend et parce qu’on ne les attend pas. La littérature, le cinéma, les médias sont pétris d’amour, l’amour qui marche ou qui ne marche pas, l’amour volage ou l’amour très sérieux avec des barres sur le front. Ce que je peux apporter moi, c’est ce à quoi j’ai eu droit comme part, dans ce gâteau qui sent la fleur.

            Ça commence comme un cache-cache, dans lequel on n’est pas encore sûr.e.s de finir par se trouver. Tu comptes les yeux fermés, et l’autre va se cacher, mais toi aussi en réalité, t’es camouflé.e. Des fois, même après l’avoir trouvé dans un placard, on est pas sûr.e que c’était vraiment pour jouer. Parce qu’on marche sur un fil, qu’on pourrait très bien n’avoir rien compris en croyant tout déceler, tomber à côté de la plaque en sautant dans la flaque, se tromper, se faire tromper, tromper l’autre. On ne pourra jamais savoir si on a jamais essayé, si on trouve pas dix mille manières très subtiles d’envoyer des signaux, dix mille façons illisibles d’écrire des cartes postales depuis le pays du flirt, du jeu avec le feu, des brûlures qui laissent transi.e de froid, des douleurs qui exaltent, des mystères qu’on préfère à la connaissance. 

            On joue partout, au milieu des collègues qui ont tout vu, sous la table du restaurant, collés à l’écran d’un téléphone pendant que les cousin.e.s discutent, quand on s’effleure les âmes en descendant du bus, quand on choisit jusqu’à la paire de chaussette avec précaution, quand on ne révèle que l’iceberg impressionnant, comme un paon qui fait la roue. Chaque heure et chaque minute nous rapproche du but que justement on ne se permet pas de révéler, qu’on envisage seul.e et au secret, comme des condamné.e.s qui ne savent pas la couleur du prochain jour. 

            Jouer, c’est tendre une main qui peut se refermer, caresser un cou qu’on se réserve le droit de briser comme une guillotine. Jouer c’est découdre son manteau de peau, laisser entr’apercevoir la lumière du dessous, des vaisseaux sanguins, des boyaux tordus et tout le reste, jouer c’est s’allonger sur la table et fermer les yeux, que va donc faire l’autre ? C’est aussi combattre, l’affrontement des fiertés dans une lutte titanesque. 

            On dessine les contours d’un chemin à partager, sera-t-il long court infiniment fini, infini firmament, on ne sait plus vraiment, on dessine qui sera dominant, dominé.e, car les rapports de pouvoir se mêlent de manière malsaine aux attachements, aux attractions, aux envies de corps et de chair. Qui, aussi, ne se laissera pas dominer, qui, aussi, choisira d’aplanir le duo, le trio, le reste, pour qu’il n’y ait que des égaux. Mais d’abord, il faut se jeter dans l’arène, une arène dans laquelle on peut aimer perdre et le dire allégrement. 

            Jouer c’est tendre des perches pour savoir si l’autre joue aussi. C’est interpréter, beaucoup trop, beaucoup trop vite, beaucoup trop loin, se le permettre car de son côté le cortex de l’autre carbure tout autant. Jouer c’est brûler des étapes dans nos têtes, avancer comme des escargots dans la vie vraie. C’est le savant mélange du plaisir imaginaire et des réalisations concrètes, des possibilités tentaculaires, des sans-issues des rendez-vous. Arriver à la case d’après devient vital, mais quand on touche un rêve, c’est comme une bulle de savon qui explose et disparaît : il vaut mieux le laisser venir doucement, car la jouissance de le voir exaucé n’a d’égale que la tourmente de l’avoir dépassé. 

            On hésite et pour la première fois c’est merveilleux d’hésiter, fabuleux d’être gauche, enivrant de douter. Derrière les questions, les portes ouvertes sur d’infinis ciels étoilés, intensité variable, mais ivresse incomparable. Les regards qui s’accrochent comme du scratch, le cœur qui se crash à chaque signe, les respirations coupées, l’adrénaline effrénée, les corps emmêlés. 

            À repousser sans cesse le point de bascule, le point de non-retour, la terre qui s’ouvre sous nos pieds, et nous qui tombons, complaisant.e.s dans la faille aux mille jouissances qu’on a tant espérées, aux caresses désirées, au plaisir consenti. De bonne grâce, on abandonne les implicites et le tacite, les formules vagues, les vagues de désir, on abandonne, on s’abandonne, on décide de perdre la partie, ensemble. C’est volontaire, c’est assoiffé, c’est aussi la possible chute vertigineuse vers la réalité décalée du rêve, vers le toucher qui n’a pas le goût soyeux des espoirs. C’est la découverte par les sens, l’animalité bien humaine, le chat et la souris happés par un trou noir, une dimension parallèle dans laquelle les économies sont à l’arrêt, le facteur ne passe pas et ne passera jamais, les soucis s’évaporent dans la décadence sympathique.  

            Après c’est un autre départ, on a laissé sur le quai les faux-semblants les doutes bien vrais, les certitudes de la peau ont pris le relai, ont tu l’excitation silencieuse, pour mieux éclater de soleil, percer les pots de peinture, apparaître la joie en grand écran, en cinéma, en projection dans toutes les villes du monde. Là où l’on s’appliquait à freiner pour mieux savourer, il faut dévaler à toute vitesse, à plein moteur, affalé.e.s dans les draps et les idées en l’air. C’est quelque chose de léger et en même temps ça plombe tout le reste, ça envoie des rafales d’inconséquence sur la vie, ça te largue des cargaisons d’indifférence pour tout ce qui n’est pas ça. Les moments défilent et quand il faut filer, ils tournent en boucle dans la tête, comme un disque qu’on raye avec tendresse pour écouter encore et encore la musique qui passe la pommade sur tout ce qui ne va pas. 

            Un jour ça finira. Et ce sera tant pis, si les souvenirs ternes n’ont pas le temps d’être fabriqués au moins ils pourront pas décolorer les autres, ceux qu’on gardera, ceux qui seront toujours là, même quand l’autre ne le sera plus. Un jour ça finira, et tant mieux, car ça ne nous viendrait pas à l’esprit de ne pas lire la fin d’une belle histoire, de déchirer les pages des derniers chapitres, de rester bloqué.e au niveau du marque page. 

            Ce texte-ci ne veut rien dire et n’essaye pas. J’ai voulu raconter une histoire pour être plus précise, mais des histoires, j’en suis plein. Pour sortir tous les mots qui se terrent, j’ai dû puiser dans chacune d’entre elles, ça a fini par se mélanger pour devenir le début d’une description sans fin de l’amour indescriptible. Peut-être qu’un jour, je vous les raconterai, mais je crois qu’il faut d’abord que j’apprenne à me les dire à moi-même, à les ordonner sans leur donner d’ordres, à rationnaliser ce qui dépasse l’entendement, à éclabousser de récits ce qui fut spontané. Parce que c’est un sujet important, bien plus que l’écologie la mort ou la révolution, tout cela ne compterait pas, sans les moments étoiles. 

            Je vous en souhaite beaucoup à la folie passionnément, des étoiles. Je vous souhaite d’aimer librement et sans contraintes, à deux à trois ou plus, et même de vous aimer vous-même -il paraît que c’est bénéfique-, je vous souhaite de foncer tête baissée même quand c’est pas convenable, même quand c’est déjà mort, même quand c’est pas le moment. Je vous souhaite de franchir les interdits et de vous délecter du moindre bout de plaisir volé au sombre horizon, je vous souhaite de ne pas vous excuser des délices et des vices, je vous souhaite de vous autoriser les histoires qui n’attendent que d’être saisies. 

                        Merci, les étoiles que j’ai aimées, pour les moments de grâce, les instants dérobés, les longs regards et les courtes nuits. Infinie reconnaissance de vous avoir connues pour le long chemin ou la courte allée, vous qui m’écrivez encore ou qui ne me pensez plus, juste de vous avoir frôlées dans le ballet des existences, pour les frissons et les angoisses, les leçons et les as que j’ai tirés avec vous. 

            Je me demande si nos histoires auraient pu se tisser avec tout ce qu’il se passe, avec les masques et avec les peurs, avec les déguisements et avec les mœurs. 

Je me demande combien d’étoiles composeront ma voie lactée, à la fin des comptes. 

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