CALENDRIER DE L’AVANTAGE

            Qu’est-ce qu’on raconte aujourd’hui ? 

que des choses qui font du bien c’est promis. 

            Il y a quelques temps je vous avais fait une liste de mes peurs. Je vous fais une liste des joies, parce qu’il ne faut jamais les oublier, parce qu’elles sont le grain de sel qui grippe nos machines pendant quelques instants terribles de fulgurance, parce qu’avec un peu de poésie, de bonheurs universels et de mots très jolis, elles refont parfois surface. Prenez un thé et un sourire, on s’embarque pour un calendrier (condensé) de l’avantage d’être en vie. 

Photo de Adrianna Calvo sur Pexels.com

            LISTE DES JOIES (et dans l’ordre des heures d’une journée). 

            Quand le matin le réveil sonne mais qu’on se laisse aller au sommeil qui se prolonge, quand on démissionne du matin, et qu’on s’abandonne à l’oreiller, que notre poids nous écrase dans la somnolence douce. La lumière filtre un peu à travers les volets clos, dessine des ronds sur le parquet qui peu à peu clignote dans les yeux qui s’ouvrent. Le lit qui, hier au soir était si froid et qu’on peinait à réchauffer paraît douillet, tiède. La couverture nous a mangé.e en entier, plus rien ne dépasse que ces yeux qui s’ouvrent doucement sur des cercles de soleil, qui renoncent et qui y reviennent, qui prennent leur temps pour découvrir la nouvelle journée. Le corps qui s’allonge, les pieds vers les pieds, la tête vers la tête dans un redoutable combat, le matin des milliers de chewing-gums s’étirent dans les draps. Bientôt, après le moment suspendu qui suit le réveil, ils poseront leurs pieds sur le sol froid, iront chercher un gros sweat énorme pour s’emmitoufler, et décideront d’embaumer la maison, l’appartement, la roulotte ou quoi que ce soit d’autre, d’une odeur de café qui tait tranquillement que le goût n’ a aucun rapport. 

            Quand au petit déjeuner il est assez tard pour que l’estomac soit démêlé, pour que dans l’œsophage on n’ait pas le repas de la veille encore coincé, pour qu’on puisse imaginer mentalement ce qu’on va bien pouvoir manger. Quand il y a des odeurs du matin que l’on lie à la nourriture et que cette nourriture est bourrée de gras de sucre et de chocolat ou de salé c’est bon aussi le salé et puis qu’il y a du thé et qu’après la gorge sèche de la nuit c’est tellement bon de boire, que ça coule et dégouline tout fluidement. Tout ça sans oublier l’odeur du pain, le pain qui sent le pays des merveilles, les délices de la mie élastique, du dessus doré qui croque et qui croustille. 

            Quand dans la douche on abuse un peu sur les savons les crèmes et toutes ces choses dont on doute bien du bien qu’elles peuvent faire mais qui sentent les fleurs et les cerises, qui font des bulles, qui glissent sur le corps, qui lissent le cœur. Quand on sort de la douche et qu’on se sent la plus belle, le plus beau, (de la terre !), que notre peau est douce comme une pêche, que la buée du miroir nous empêche de complexer.  Quand pour une fois, on ressent, simplement, notre corps, l’eau qui dégouline le long du dos, les petits doigts fripés par le liquide, les pieds qui soutiennent notre volupté, bien ancrés sur le tapis. Le parfum, parce que c’est merveilleux le parfum, c’est une odeur pointue, élégante, enivrante, c’est une odeur qui rappelle qu’on est forcément brillant.e si l’on sent si bon, parce qu’on ne voit pas comment il pourrait en être autrement. 

            Quand on se promène dans la rue, au matin brumeux, qu’on lève la tête pour regarder les arbres, qu’ils semblent dessiner le ciel, entre deux feuilles, et que dans ce petit trou on devine qu’il va faire beau parce que le soleil perce les nuages et que les nuages perdent le terrain. 

            Quand on travaille bien, qu’on est porté.e par une énergie insoupçonnée, que les idées nous viennent, qu’on est convaincant.e, convaincu.e, que les avancées avancent et que les progrès progressent. Quand on se couchera ce soir, empli.e de bonne fatigue, la tête lourde mais pleine, le corps épuisé de rayonner. 

            Quand on discute, au détour d’une rue, à la boulangerie, autour du café, et que des petits mots auront un grand impact. Qu’on le sait. Qu’on le sent. Que cette discussion-là ne s’envolera jamais, que les mots se sont accrochés dans nos cheveux, qu’on y repensera, souvent, mais qu’on le sent déjà, maintenant tout de suite où tout est débloqué, tout s’écoule du tobbogan de manière lisse et facile.

            Quand on regarde une série et qu’on les retrouve, eux, les personnages auxquels on pense parfois, la journée, quand on se demande ce que devient leur vie, quand elle n’est plus circonscrite là-dedans, dans les pages ou les épisodes. Qu’on s’enveloppe dans un plaid pour suivre leurs aventures qui nous distraient de notre quotidien normalement banal, ou qui nous y font penser, parce qu’après tout les sentiments ont partout la même couleur. Le même moment dans la lecture, avachi.e, seul.e face aux caractères imprimés, quand boum, un mos percute nos os, laisse des traces en nous, une marque, poétique et sérieuse, une mélodie pertinente. 

            Quand on a la flemme de faire à manger et qu’on capitule, lâchement, pour commander des pizzas qui sentent la nonchalance du soir, le vin qui va avec, l’enivrement délicat et à la fois le flegme cavalier, les lumières douces, nous qui attendons enfin, qui sentons l’odeur déjà, qui avons abandonnée à son triste sort toute forme de remords, et qui pensons déjà à la détente qui vient, qui sera comblée dans son mariage avec de la sauce tomate et de l’origan. 

            Quand on se sent bien avec ces gens autour de la table du bar, quand on explose de les aimer autant. Quand on a envie de toustes les épouser un à un, qu’on voudrait prolonger la nuit jusqu’à ce qu’elle efface les levers du jour, quand on décide d’aller danser pour se regarder et rire, pour être un peu gêné.es et très heureux.ses, pour lâcher prise et se faire emparer par les vibrations, celles de la musique et celles des gens. Quand on est ivres alors on se dit qu’on s’aime, qu’on dira demain « c’est pas vrai », quand dans tout ça y’a rien de plus vrai. 

            Quand on rentre chez nous et qu’il fait chaud. 

            Quand on arrive sur le quai en même temps que le métro.

            Quand le téléphone vibre et que c’est exactement cette personne-là.

            Quand on n’est pas sûr.es de nos blagues et qu’iels rient aux éclats.

            Quand le rendez-vous nul est annulé. 

            Quand il faut faire la vaisselle, étendre le linge, passer l’aspi, mais qu’iel s’en est déjà chargé.

            Quand la peau de la pêche s’épluche sans effort.

            Quand on n’a plus tellement peur en pensant à la mort.  

            Quand le livre a l’odeur du neuf. 

            Quand au poker on croit à ton bluff. 

            Quand sous le fauteuil on trouve ce qu’on cherche. 

            Quand dans son armure de préjugés s’ouvre une brèche. 

            Quand c’est un feutre neuf et qu’il glisse sur le papier, large serpent bleu. 

            Quand tu chantes des chansons, c’est l’été, au coin du feu. 

            Quand la musique épouse parfaitement l’instant. 

            Quand il reste encore du temps de film, c’était pas fini finalement.

             Quand les larmes sont au coin des cils, qu’on nous prend dans les bras, « vas-y, cède le barrage »

            Quand on est résolu.es de ne pas être sage. 

            Quand un nuage a la forme d’un sourire. 

            Quand ça y est, on commence à guérir.

            Quand le temps d’aller chercher quelque chose en haut, le décompte du micro-onde est atteint dans une parfaite synchronisation. 

            Quand iel répète, pile le passage auquel on n’avait pas fait attention. 

            Quand on se pensait seul.e mais que quelqu’un hausse le ton pour nous défendre. 

            Quand on décide d’arrêter d’attendre.  

            Quand on n’a pas eu si mal.

            Quand on enlève le papier du Ferrero sans le déchirer d’un poil. 

             Quand on a raison, plus qu’un.e grand.e ponte.

            Quand Rose sauve Jack de cette cabine où l’eau monte. 

            Quand le feu passe au vert sans qu’on ait eu à freiner.

            Quand on fait enfin l’amour après s’être désiré.es. 

Photo de Ithalu Dominguez sur Pexels.com

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s