TW : SUICIDE. Si parfois ou souvent ou là tout de suite tu as envie de mourir, ne lis pas ce texte.
En fait, de manière générale, ne lisez pas ce texte. Sauf si vous savez arracher votre cœur et le poser à côté pendant quelques temps, le ranger dans un tiroir, lire les mots tout bruts et aspirer comment ils sonnent, m’accorder leur exultant réconfort, en laissant pour plus tard la noirceur qu’ils trimballent.
Je voulais faire une introduction à la journaliste. Tu sais, parler des étudiant.es qui morflent, de nos jeunesses qui nous crachent à la gueule, des efforts qu’on doit faire et des fautes qu’on doit endosser, j’aurais pu égrener les chiffres des dépressions et des décrochages. J’aurais pu supplier les universités de rouvrir, avec la fougue des désespéré.es. Je suis trop égoïste pour ça.
J’exige que ma souffrance reste mienne, qu’au moins, on lui trouve quelque chose d’original, de particulier, qui ne se fonde pas stupidement dans le décor moribond. Qu’elle frappe. Qu’on la retienne.
En ce moment, je pose de drôles de questions.
Est-ce que les animaux se suicident ?
Je me demande si ça se lit sur le visage des quais parisiens, quand une femme va se jeter dans le vide à l’instant qui suit.
Est-ce que celle-là, celui-ci, se sentira coupable, si jamais je meurs, si jamais je meurs après avoir écrit ça, si jamais je ne meurs pas mais que je me tue ?
Je me demande combien de temps le parfum restera sur mon corps, quand ce sera mon tour, est-ce que ça existe, les cadavres qui sentent encore bon la vie ?
Je vous avais prévenu. Celui-là est hardos. Dis donc elle y va pas avec le dos de la cuillère. Moi aussi, j’aurais souhaité autre chose, pour les premières lignes de 2021. J’aurais pu souhaiter bonne année, pour être polie. J’en ai rien à foutre d’être polie.
Mais attends, attends, reste cinq minutes, t’en vas pas. Reste avec moi, reste dans ma tête, là où ça cogne, là où on ne se relève plus.
Je ne sais plus quand c’est arrivé, exactement. C’était au moment où la brosse était devenue trop lourde pour le bras. C’est lourd, une brosse à cheveux. Atrocement lourd, comparé à la vie qui coule dans le bras, comprimée comme l’eau qui filtre d’un barrage.
C’était le jour où se brosser les cheveux est devenu insupportable. Fermer les volets aussi. C’était le jour où j’ai commencé à dormir avec les volets ouverts. A cesser de faire la vaisselle. À ne plus couper les oignons. A décaler nos entrevues. A danser jusqu’à l’épuisement, parce qu’avant, il y avait ce plaisir dévastateur. Que je cherche, désespérément. C’était le jour où j’ai cherché, oui, comment me faire plaisir, comment être violentée par l’aise du délice et de l’euphorie, comment trouer le brouillard avec des péchés qui extravaguent.
Ce n’est pas tant être triste, tu comprends. Bien sûr, que je suis triste. Boulets intimes aux malheurs de l’humanité, misère sentimentale après la misère du monde, tomber, plus bas encore, plus bas toujours, en rire, en plaisanter, être imperméable.
Mais c’est être imperméable qui fait mal. Qui ne fait pas mal. Qui ne fait pas. Ce n’est pas quelque chose qu’on rajoute et qui pèse lourd, c’est un signe moins, un retrait, une soustraction. Qui supprime. Qui laisse béante. Qui m’annule.
Ce n’est pas tant être triste. Mais être rien. Être vide, être le néant et l’ennui à la fois, c’est constater la vacuité de plaisirs déplaisants, c’est se résigner face à l’aspirateur d’énergie, le laisser faire, complaisante.
C’est dormir tout le temps. Trouver fatigant d’être épuisée sans cesse. Trouver épuisants, la lourdeur des minutes, le poids du calendrier des bras ballants.
C’est attendre. Attendre qu’il arrive quelque chose, provoquer, devenir monstre de défi face au trou, et malgré tout, attendre toujours ce qui ne vient pas.
C’est se refuser les pleurs alors qu’on pleure sans arrêt. C’est rire, se perdre dans les éclats, les bouches tordues, les respirations coupées par les hoquets nerveux. C’est être ridicule et en profiter pour parler de la mort, l’inviter, subrepticement, subtilement, à rire avec les vivants. L’air de rien.
C’est cette chose qui écrase, cette chose désespérément immobile, qui ralentit mon cœur, qui fige les battements de la vie.
C’est se convaincre qu’on ne veut pas mourir, s’accrocher au filet d’espoir, à la partie du jeu qui peut tout peut basculer au dernier moment, s’accrocher aux signes, aux jours qui vont mieux, au rayon de soleil sur le carrelage.
C’est ne pas vouloir mourir. C’est penser à la mort des autres, à ceux qui ont sauté, qui ont fait basculer le tabouret, ceux qui se sont laissé couler au fond de la baignoire. C’est craindre, se craindre soi-même, se demander s’il y a un jour où la main devient capable, où le corps s’arme et retourne les canons vers l’intérieur.
C’est chercher des lignes d’écoute sans jamais appeler, c’est tomber sur de l’aide et constater l’inefficience absolue, remarquer avec effroi comme iels ne sauveront personne au jour de la grande décision, découvrir avec frayeur qu’en réalité, rien ne constitue le dernier rempart « avant ». Qu’il n’y a pas de sonnette d’alarme à tirer.
C’est être incapable de décider. C’est vivre dans un désordre permanent. Le désordre de la pensée, le désordre des habits de la veille qui s’entassent.
C’est parler morse. S’assurer que les autres entendent la rigolade, une broutille, une discussion. Bien vérifier les modulations de la voix et du ton, bien montrer la médaille alors que tout ton être se tend vers le revers. C’est saboter ses chances d’être rescapée, allégrement.
C’est être en pourparlers avec moi-même.
J’ai arrêté d’écrire mon journal. En le feuilletant, on trouve quelque phrases, ça et là. Éparpillées, comme moi, éparpillée. Je voulais les ordonner bien correctement, les plier et les repasser, mais l’ordre s’arrête ici. Après, c’est le fouillis d’une de ces âmes enfermées dans elles-mêmes, qui parle au mur sans lier les phrases les unes avec les autres.
Je n’ai plus beaucoup de force et je sais même plus vers où diriger celle qui me reste.
envie de dormir.
je coule.
j’en peux plus de toutes ces séparations
Les jours s’égrènent on dirait. Ils s’égrènent encore.
Comment te dire que c’est même pas pour que tu me contredises, mais que ça me transperce d’être si convaincue. Tu vois ? Chaque minute compte. Peut-être que dans celle d’après, j’aurais disparu.
Je suis condamnée de l’autre côté d’un mur, le mur des gens, de la vie saine et mentalement stable. Et je sais pas combien de temps tu m’y tiendras compagnie avant de repartir.
Ce putain de monde dans lequel j’essaie de respirer normalement, et même ça j’y arrive pas. Je voulais te dire que c’est moi qui suis pas normale.
Je voulais te dire, que je suis tellement cassée que je sais pas si je peux supporter de l’être plus. Alors dis quelque chose. Puisque tu n’as quasiment rien dit alors que j’ai tellement parlé, hurlé, crié.
Quand je me regarde, comme ça en instantané, je suis trop seule et incapable de ne pas l’être. Les mots veulent rien dire, les mots sont trop petits et étriqués pour le grand chaos de moi.
Je suis incapable de t’aimer normalement. Je suis folle, folle, folle.
Je me prélasse dans les marécages de ma nostalgie.
En ce moment, je me sens particulièrement fatiguée et ça m’inquiète un peu. J’utilise la lampe de luminothérapie, mais peut-être que je manque de vitamines.
broyage de noir gigantesque
Les jours s’écoulent lentement
Je me demande si j’aime les gens. Si je suis capable de vivre l’amour ou si ça m’échappe, tout simplement.
Mes rêves sont confinés. Plus rien ne m’excite.
À force de rester enfermée, qu’est-ce qu’on faisait dehors déjà ?
J’ai l’impression d’être en vacances
J’arrive pas à me forcer à être là
La crampe ouvre le bal
De la fureur qui s’installe
Boulimie des sueurs étouffantes
J’attends ma petite mort lente
Le trou béant arrive toujours
Vient torpiller mon moi, mon jour
Besoin de l’air qu’il n’y a pas
J’étouffe tu ne vois pas
Vide, complètement, je suis caduque
Quelqu’un me sert dans la nuque
Tout ces bruits! je les vois trop
Les cernes affreux brûlent ma peau
Épuisée, déchirée même, suspendue
Dans la folie et le raffût
Un brouillard, mes yeux sont clos
Ne grincent que mes os
Je retiens dans la mâchoire le mal,
Fourmillements, et leurs tristes rafales
Mangée par les spasmes mourants
La fureur est passée c’est l’espace d’un instant
Émerger et reprendre la face
Nager encore, jusqu’à la surface
Mais la voilà qui pourchasse, qui guette
Elle a sa loge dans mon squelette
Figée dans le mouvement
Lutte lutte et puis s’effondre
Dévorée par son ombre
Avalée par le néant