« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Lavoisier
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. J’ai vingt-deux ans. Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. J’ai le droit de parler de moi. J’ai cherché ce qui me constitue, mes déboires et les choses qui me passionnent, et au creux de moi j’ai trouvé toi.
Il y a les autres, il y a moi, et il y a toi. Toi, tu es la petite case à part. Une petite case qui change de nom au fil des années sans changer de forme. Une petite case qui fait peur à parler tellement elle contient. J’ai pas envie d’oublier les choses que j’oublierai.
On ne raconte pas une vie sur du papier. On raconte mal, on raconte pas assez, on raconte partiel et écorché. On rature et on recommence. Frustré.e, en transe. Peine perdue.
On peut quand même essayer. Je peux quand même t’essayer, en mots.
J’avais dix ans. Ta maman a dit : « c’est la même que toi ». J’étais déjà la même que toi, sauf que j’étais une fille. C’est ta maman qui l’a dit.
Elle était médium, elle était voyante, elle était sorcière ou je sais pas quoi. Personne n’a jamais raconté à l’avance une histoire aussi vraie.
Après ça, parce qu’elle l’a dit ou c’est pour ça qu’elle le dirait, on s’est construit en miroir. On a poussé en se regardant le reflet dans l’iris de l’autre. On s’est dépatouillé.es avec l’enfance et le reste, en face l’un de l’autre. Sur le trampoline de ton jardin. En Laponie, à New York, en Italie, ailleurs ici et là, on a été cherché nos bouts de nous ensemble. On a grandi entortillés. Entremêlés.
Difficile de détricoter, quand on a trop serré les nœuds dès le départ. Impossibles à défaire. Noués, comme ma gorge, là, tout de suite.
On a dû se démerder avec ça. C’était pas se démerder, c’était vivre, simplement. Exister, comme on l’avait appris : côte à côte. Apprendre à faire rentrer le reste dans l’équation, en se tassant un peu : nos chemins qui s’entrecroisent et se chevauchent, les autres et leurs nez et leurs corps qui se sont faufilés entre nous sans réussir à nous séparer, le temps qui étouffe les braises, les braises qu’on accumule avec le temps.
Il a fallu cohabiter avec le monde. Regarder ailleurs qu’en nous. Se fracasser le binôme sur la vie.
Nous deux en construction, à foutre nos grues et nos pelleteuses partout, à se cimenter, à se façonner, à se bétonner. Moi qui pose tes pierres, toi qui traces mes fondations. L’extérieur qui s’infiltre entre nos tuiles. Un spectacle long et dense, souvent beau et parfois désolant.
Comme la vie ; tu es ma petite vie.
Et quand je regarde derrière nous, au hasard des albums photos ou de nos vieilles lettres, quand t’avais les cheveux longs et moi des joues d’enfant, je pense à nous, à notre nous qui est toujours là. Et c’est la ronde des questions inutiles: ça va durer ? Ce sera quoi notre vie ? Comment c’est, chez lui, la manière dont il m’aime ? et les autres, ils en disent quoi ? Est-ce qu’on peut s’en ficher ?
Y’a des choses pour lesquelles les questions devraient être interdites. Elles n’ont pas le droit, quand elles laissent la place au doute et au moche et à l’angoisse qui crampe. Elles n’ont pas le droit de parler à la place du cœur, de la simplicité du présent, de l’instantanéité loin des conventions sociales. Tout conspire à nous rendre difficiles, pourquoi ? Perchée sur tes cils, rien n’est compliqué. C’est donc le reste qui l’est.
Parfois, à des heures pas correctes et dans des moments pas convenables, j’ai envie de me nicher dans ton âme, de m’y asseoir et d’attendre que le tumulte des choses soit passé. J’ai tellement peur, emplie de doutes. De béances affreuses, que je ne sais plus combler. De toi dont je suis trop pleine, sans l’être encore assez.
Parce qu’on prend des échardes à vouloir placarder des noms et des étiquettes sur nos duos, et qu’il faut le faire pour les autres qui n’ont jamais pu comprendre la manière dont nous, on s’aime. Qu’est-ce que c’est chiant, l’autour, l’environnant, le superflu.
On s’aime différent, c’est tout. Chaque jour il y a une nouvelle fleur dans le champ qu’on laboure. On s’aime très grand et tout petit, on s’aime pas comme les autres, on s’aime modulé, on s’aime ondulé, on s’aime avec les nuances du temps qui court. On s’aime avec les tâches d’encre. On s’aime en agrafes.
Y’a les souvenirs colorés de jaune par le bonheur et les soleils que tu allumes quand tout va bien. Y’a l’abattement, les balles dans la tête et les traits qu’on a tirés sur nous. Les petits moments, cachés là où je ne les cherche pas, qui m’ont rappelé à chaque fois que tu ne pouvais être personne d’autre, que tu étais le meilleur pour être toi, le plus calé pour être à moitié moi, et ma moitié. Comme ce soir-là dans une crêperie du Marais. Je ne sais plus laquelle, comment, ou quand. Mais je me souviens, c’était un de ces moments. Les moments qu’on n’oublie pas, sans trop savoir pourquoi. Les instants qui ne s’en iront jamais. Qu’on fige dans l’immobilité de la mémoire, sans raison particulière, mais avec grâce et gratitude.
C’est dans ce tiroir de souvenirs, que je lis comme je t’aime pour toujours.
J’aime bien croire que c’est nous qui décidons, si on avance ensemble, si on n’avance pas. Si on y va chacun différemment, mais qu’on se rejoint au bout du chemin. Tout est affaire de bifurcation. De courage. De liberté.
Il est arrivé, le temps où nous sommes assez grand.es, assez fort.es pour choisir. Doubles que nous sommes, s’écarter de nos reflets en miroir, pour marcher enfin côte à côte.
Il y a des relations dans lesquelles on n’a plus la place de bien s’aimer.
Rupture c’est terrible et affreux comme mot. Un mélange de râpeux et dur.
Moi je voulais simplement mieux t’aimer. Je voulais qu’on ait le droit d’avoir nos nous, sans le grand nous.
On n’a jamais été comme tout le monde – d’ailleurs, ça m’ennuierait qu’on le devienne. Pour eux, la rupture c’est la fin. Nous, c’est le début.
« rien ne se crée rien ne se perd, tout se transforme ». Il avait fait son expérience sur nous, Lavoisier. On était ses souris, ses fleurs, son laboratoire des idées.
Ça fait mal hein, quand même. Ça fait sacrément mal, en fait, ça brûle. Devoir séparer des œufs jumeaux pour grandir nos propres bras, nos propres jambes. Apprendre à respirer sans toi. Il faut faire de la gymnastique de rééducation. Ça fait mal les moments dans lesquels je ne serai pas.
Je t’ai regardé partir sans pouvoir rien dire, parce que ce n’était pas mon droit, parce que ce ne sera jamais mon droit. Tu m’as regardée partir, parce que je suis libre, parce qu’il ne faut pas s’enlever ça. Des fois j’ai envie d’être otage encore un peu, le temps d’une caresse douce. Et je crois qu’on a le droit, de ça aussi. C’est nous qui distribuons les papiers des nouvelles règles, nous qui nous autorisons à déployer les ailes. A voler vers le grand large.
Je ne vole jamais très loin de toi. Mon avion a un défaut de fabrication. Le même que le tien.
Ça n’a rien d’une rupture mon amour. Une rupture, ça brise, c’est un coup du lapin. Quelque chose qui sépare. Nous, on fait ça pour continuer l’amour. Ça n’a rien à voir.
Ce qui fait mal, c’est qu’iels ne comprennent pas ça. Qu’iels nous voient soudé.es de la soudure, ou fâché.es, le mur de Berlin entre nous deux. Notre entre-deux, notre au-dessus, notre différent n’a pas de place dans leurs têtes. Ils voudront nous effacer quand iels sauront. On ne veut pas s’effacer. Je veux t’écrire encore des milliers de journées.
Merci de m’aimer terriblement bien
de m’aimer comme ça pour rien
Me faire commencer quand tout s’arrête
Merci pour toutes les ivresses et les fêtes
Merci, d’être le plus puissant de mes allié.es
Les plus beaux jours de mon année
Et le plus ami des amoureux
tu me donnes envie qu’on soit vieux
d’être tout ce que je ne sais pas être
de me laisser disparaître
merci pour les claques, merci pour les chutes
merci pour les envolées, la tendresse brute
pour les petits bouts d’infini et les temps suspendus
pour les voyages en nous et dehors et au-dessus
merci de faire briller les bougies dans mon brouillard
merci d’être aussi bancal que moi dans ce noir
merci pour tes doutes qui me fissurent
merci d’inventer une rupture qui dure
merci parmi les milliards d’années et les milliards de planètes d’avoir choisi de vivre en même temps que moi juste là
parce que je te suis et tu es moi
Dis-moi que tu ne comptes pas nous lâcher. Où qu’on aille, moi j’ai envie de me cramponner.
Peut-être bien que si on se serre très fort on pourra jamais nous séparer.
Encore pour l’éternité ?