CHAQUE NOUVELLE AUBE

Le billet du jour, c’est le discours que j’avais écrit pour la manif de dimanche, la marche pour une vraie loi climat. Et j’ai envie de vous le partager par ici parce que je crois qu’il retrace le chemin d’une réflexion de longue haleine : à quoi bon marcher ? à quoi bon dire encore, se rassembler toujours ? Que s’est-il passé depuis deux ans que nous marchons, disons, nous rassemblons ? Pourquoi encore ? Gardez en tête que c’est un discours, qu’il était destiné aux militant.es devant moi, venu.es par milliers pour défendre une loi climat juste, loi qui entre aujourd’hui en discussion à l’Assemblée Nationale. Ça veut dire qu’il ne contient pas par exemple – faute de temps – les nombreuses questions et doutes qui m’animent en rentrant de la marche. Je l’ai déjà dit et le répète : pour moi, le changement se fera loin des arcanes du pouvoir actuel. Et je serais ravie d’en débattre. Mais voici ce que je voulais dire hier. Parce que les tactiques sont complémentaires, ne l’oublions pas.

À quoi bon dire ce que l’on sait déjà, ce qu’on répète, les chiffres vertigineux, les signaux rouges, le désespoir fracassant et silencieux du vivant, pris en étau entre nous et les aberrations ?

J’en sais rien. C’est peut-être qu’il faut dire autre chose.

Je m’appelle Soldat Petit Pois, ça fait un bail que je m’étais plus pointée en manif.J’avais peur. J’ai peur parce que la responsabilité qui pèse sur nos épaules et la rapidité aveclaquelle nous sommes sommés de la mettre en place, certains jours et certaines nuits,m’anéantissent. J’aurais voulu pouvoir rire, moi.
J’ai peur.

J’ai peur de me rendre compte que je suis pas à la hauteur pour qu’on garde la tête haute, j’ai peur de décevoir celles et ceux qui comptent sur nous, les sans-voix, les écrasés, les effondrés du monde qui s’effondre en commençant par elles, par eux, j’ai peur de me confronter à l’échec de nos actions, de me perdre dans le sac de nœuds, d’être en colère stérile après la rage motrice, peur de répéter les choses en boucle comme un disque rayé et de plus savoir comment mettre un pied devant l’autre après avoir mis les pieds dans le plat.

J’ai eu peur, de plus savoir me battre au présent, avec la certitude d’un futur amoindri.J’ai eu peur de plus savoir me battre au présent, que la force soit passée.

Alors j’ai pris pas mal de temps – 2 ans en fait – pour réfléchir.J’ai pas eu besoin de réfléchir.
Parce que c’est au fond de nos estomacs ce dont je parle là.

Ce matin je me suis levée pour vous rejoindre. Parce qu’au-delà de toute considération rationnelle, il y a la solidarité, les liens que je conserve avec les humains et les autres, autour de moi, parce qu’il y a la logique du collectif face à l’acharnement individualiste, aux cloisonsque le contemporain bâtit entre nous.

Parce qu’à chaque nouvelle aube, les voix écologistes qui se lèvent, qui continuent leurmarche dans le brouillard, qui hurlent alors que le silence fait siffler nos tympans, me donnentl’espoir que je ne trouve plus dans le futur. Parce qu’il y a parmi vous, la preuve de la dignité du présent, l’acharnement de l’action par-delà l’apathie qui plombe, des causes qui nous transpercent par leur justesse, plus que par la probabilité de leur victoire totale et absolue. La sincérité de ce qui nous touche et nous remue au plus profond de nos êtres.

Parce que j’ai un amour infini pour chaque personne qui se démène à faire advenir quelque chose de mieux, à effleurer ce qui est beau, à atteindre le respect qu’il manque au moderne.

Je sais que tu sais de quoi je parle. Je parle du monde qui va pas bien. Je parle d’unsystème dans lequel y’a des troués de la vie qui ne disent rien, des parents qui se sentent eux- mêmes orphelins, de l’école qui nous mène à rien, de ces vies qui s’épuisent au nom dulendemain, de l’argent la pub le marketing qui font de nous des pantins, des pourris qui forment le haut du gratin, d’une femme violée toutes les sept minutes et de la culture qui nous dit que tout va bien, des zad qu’on évacue alors que y’a des millions de pauvres qu’on retrouvera morts au matin, de la patrie des droits de l’homme qui lacère les tentes de ceuxqui n’ont plus rien, de la violence de la police et des poings mais aussi celle de leur société en costume qui abrutit des gamins, des abrutis qu’on laisse détruire les terres qui nous nourriront demain. Le monde va pas bien.

Ça c’est peut-être le truc le moins révolutionnaire que j’aie jamais dit. Parce que toutle monde le sait, que le monde va pas bien. C’est les choses qui arrivent, le monde qui doitcontinuer de tourner, avant de commencer à changer.

Alors nous sommes tellement, à déserter l’arène politique lorsqu’elle agit au sein d’institutions gangrénées par les lobbies, les egos, la marche implacable du monde économique, de la rapidité, de l’efficacité indigne des pragmatiques, de la raideur effarantedes imbéciles de leurs cliques. Nous savons, nous sommes persuadés, qu’il ne faut plus leur confier le sort de demain. Ils nous ont convaincus, de nous réunir là où ils ne sont pas.D’envahir les sphères de leur pouvoir avec la puissance de nos légitimités, des détresses qu’ils n’écoutent pas, de nos colères qu’ils n’entendent pas. La vie que l’on veut défendre n’est pasla leur, et nos cris ne cadrent pas dans leurs analyses. Ne perdons plus de temps à tenter de les persuader, ne gaspillons plus les énergies à leur dire ce qu’ils savent et qu’ils refusent dechanger, et à déléguer ce que nous pouvons faire en nous organisant.

Cela veut dire : nous ne voulons pas seulement que les règles changent. Nous voulons jouer à un autre jeu.

Cela veut dire aussi : lorsque 150 citoyens tentent de pénétrer les méandres des textesde loi avec l’ambition et la justesse que l’urgence, climatique et sociale, demande, il est denotre devoir, de notre responsabilité, de monter au front, pour leur dire, à eux : merci. Vive les citoyens de la Convention Citoyenne pour le climat, vive les mots libres et les convictionsqui percent le mur du comme d’habitude, du business as usual, du dénigrement de lanécessité.

Mes ami.es, mes soleils dans cette nuit qui nous étouffe, il nous faut délaisser les arènes où ils veulent nous entraîner. Parce qu’ils veulent nous détruire avec les armes dont ils nous savent démunis – l’argent, la rapacité, l’indifférence crasse pour l’autour de soi, la défense de l’entre-soi, – pour les obliger à s’asseoir à notre table des négociations.

Demain dans l’assemblée qui devrait être la nôtre, on débat d’une loi climat. Un texte qui peut tracer son chemin sans substance, vidé de tout contenu, lettres mortes, mots creux, pour prolonger la politique du vide. Et cette simple possibilité me donne la honte. La grosse,

immense, honte, pour les siècles qui viennent et qui regarderont en arrière les bouffons quenotre époque a laissé siéger là où ils n’avaient pas le droit.

Nos vies. Nos vies, seront demain en train d’être négociées. Les droits humains, la liberté d’être digne, l’empathie et l’insouciance, la paix et la beauté des choses, en discussion. Demain la France signe un papier important, et la rue permet de rappeler, qu’à l’extérieur des couloirs de l’assemblée ou des dîners d’affaires ou des poignées de mains entre dominants, ily a des gens qui en ont marre de courber l’échine.

Nous exigeons que le vrai, le concret, le réel transpire de ce texte. Qu’il soit un signede respect de ce que nous sommes, vivons et vivrons demain. Nous exigeons une Vraie Loi Climat.

Il est temps qu’ils arrêtent d’écrire nos scénarios, parce que moi les pages de leursultimes chapitres ne m’intéressent pas.

Ne pas attendre la fin d’un système qui travaille à débuter sans cesse. Qui nousapprend le statut quo, l’immobilisme, l’inertie, l’apathie.

Il faut partir avant la fin, précisément parce qu’il n’y a pas de fin avant que l’on parte.

Sinon, c’est vivre la peur au ventre, la peur au ventre qu’ils éteignent la petite flamme au creux de l’ âme. Qu’un jour on efface cet autre monde qui n’a de place pour exister quedans nos têtes. Qu’on se fasse aspirer.

La petite flamme n’est pas consumée, elle brûle encore. Ça veut dire qu’il faut agir tout de suite, avant la perte d’oxygène.

N’ayons plus peur de faire. De s’inscrire dans l’action, de tous côtés, par tous lesmoyens. Ici aujourd’hui, demain ailleurs et pour tout autre chose. Car tout est lié et parcequ’ensemble, nous sommes une force immense : nous sommes la nature qui se défend.

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