Le sexe, c’est top. On nous le répète assez pour qu’on en soit persuadés. On s’en vante tellement, qu’on s’étonne de s’être fait arnaqué.es. On l’espère si fort qu’on a peur d’aller vérifier.
J’ai de la chance, je crois. Dans le dédale des choses à savoir et des choses à désavoir, j’ai trouvé ma part, je me suis fait la main et j’ai pris mon pied.
Y’a eu des trucs vraiment top, pour de vrai de vrai.
Mais y’a aussi le reste, les autres, toi.
Encore perdu.es dans le bazar, coincés entre les livres de SVT qui ont oublié le clitoris, les violences dont on nous a toujours dit qu’elles faisaient du bien, les corps qui sont différents de ceux qu’on décrit tous pareil.
Mais ça, c’est ok aussi, si on veut le garder dans notre poche. Le décor de ce qu’on a appris, les plantes rassurantes qui ont poussé dans notre enfance, les choses clichés et les trucs bateau. On peut vivre de ça. On peut même aimer ça.
Moi ce que je veux dire, c’est qu’avec le sexe, c’est comme avec le reste : l’important, c’est que ça passe au fond de nous avant le reste. Qu’on valide le machin en interne, quel qu’il soit, avant de se jeter dans le grand monde. Qu’on réfléchisse pour nous-mêmes. Qu’on s’émancipe. Qu’on vérifie d’être toujours libres, en fait.
Arrêter de penser qu’on doit changer, se rétrécir, modifier nos désirs, normaliser les fantasmes, avant. Avant quoi ? Avant d’avoir le droit ? avant d’être assez normal pour ? pour être sûr.e de pas y aller « sans » ?
On s’en fout. Ce que tu cherches se trouve sans artifices, juste en scrutant bien au fond de nous-mêmes. Explore, découvre, en regardant le plaisir et sans trop te regarder. Autorise-toi la recherche des vices, des délices, des choses qui sont là déjà, sans vouloir en faire apparaître qui n’existent pas. Jouis, comme tu peux, si tu veux, jouis fort ou tout doucement, jouis librement.
Et imagine.
Imagine. Tu es seul.e, d’abord. Tu ne sautes pas le passage où tu es seul.e.
Tu as envie de ça sans en avoir honte, tu allumes l’ordi, sans en avoir honte. Tu connais des sites, parce qu’imagine qu’on en a discuté, tu connais les sites respectueux, les sites féministes, tu connais les sites qui traitent bien leurs acteurs, qui traitent bien nos imaginaires – en les nourrissant plus qu’en les tassant dans des boîtes dans lesquelles on n’arrive jamais à rentrer.
Imagine. Tu te caresses. Tu te touches sans te cacher, sans avoir peur de faire une bêtise, tu assumes l’exploration, tu assumes le truc qui monte, le feu que tu alimentes, le brasier qui s’empare de toi. Imagine, tu t’abandonnes, vraiment, sincèrement, en fantasmant ce que tu as réellement au fond des tripes, en t’autorisant à exploser. Les fantasmes d’une femme féministe qui désire être soumise pendant le temps que ça dure, d’un homme qui désire cesser d’être homme à l’instant précis, les désirs des autres, les entre-deux, les une fois de chaque, les désirs saugrenus, les idées qui sortent de nulle part et qui nous traversent. Imagine : tu les laisses éclater, et tu éclates avec elles.
Imagine. Iel est là, maintenant. Juste en face. La tension entre les corps vous tend comme un arc. Imagine. Vous décochez vos flèches, l’ambiguïté flotte en haut des tours. Ça sent le sexe. Imagine : vous savez, mais les portes sont ouvertes. Elles peuvent se refermer, claquer, se démonter. On arrête de tout prévoir, on accepte la surprise et la suspension des temps. Les conjugaisons d’une autre manière, les fautes d’orthographes du sexe parce qu’on essaie. Parce qu’on ne performe plus. Parce que c’est vrai. Parce que c’est différent, mouvant, fluide. Alors on est contraint.es à l’écoute, vraiment. L’écoute, ça veut dire descendre du train qui file droit, tâtonner avec les mains, avec les regards, avec les sourires. Lire le moment davantage que le scénario. Accepter les erreurs qui vont avec l’improvisation.
Imagine alors, qu’on a le droit de ne plus vouloir sans penser que ça sera gênant, que ce sera bof, que ça compromet le futur, que ça compromet la suite, que ça compromet les virilités.
Imagine, c’est pas il, c’est elle. Imagine, c’est pas elle, c’est il. Imagine c’est iel, et on s’en fout.
Imagine, on fait les choses dans n’importe quel ordre. Imagine on fait des choses qui n’ont pas de nom. Imagine on invente faire l’amour.
Imagine, on se précipite pas, et on se mange les yeux.
Imagine, on se jette dessus au lieu d’attendre sagement.
Imagine, tu laisses tranquille ton corps. Imagine tu laisses flotter ta barque et tu t’en fous. Imagine tes bourrelets sont excitants, tes seins qui tombent, les boutons sur le haut du dos, la cicatrice sur ta joue, les odeurs de tes sueurs, les textures de ta peau, tes poils ou tes lisses, imagine que rien ne te pèse, jamais. Parce que c’est trop con de compromettre le reste avec le hasard des dessins des corps.
Imagine le corps libéré des diktats étouffants, dont on jure s’échapper tout en sachant que ce n’est pas l’esclave qui choisit de scier ses chaînes. Imagine faire l’amour même en n’étant pas beau ou belle, imagine avoir droit au plaisir juste parce que tu y as droit. Imagine réclamer le droit au plaisir. Imagine donner sans conditions, sans prérequis, sans contrats. Imagine recevoir tout pareil.
Imagine j’aime les petites bites, les filles qui jouissent pas, les capotes qui prennent trois plombes, les pénétrations qui durent deux secondes, imagine j’aime pas ce qu’iels aiment tou.tes, imagine je préfère tes mains, imagine j’ai envie d’être banale, imagine j’ai envie d’être bizarre, imagine j’aime quand les draps sont collants, imagine on s’en fout quand ça fait des bruits bizarres (oui tout le monde), imagine on s’en fout pas quand t’as plus envie.
Imagine, plus besoin d’avoir peur. Imagine un monde où tu ne penses plus à celles qu’on a ouvertes et fermées. Imagine que ce souvenir-là ne t’encombre plus, ne te barricade pas, ne t’extrapoles pas dans des territoires où tu n’as plus envie d’aller.
Imagine tu penses à des trucs horribles et t’es pas coupable.
Imagine t’as envie de rien et t’es pas coupable.
Imagine tu sors de ta zone de confort.
Imagine tu restes dans ta zone de confort.
Imagine tu fais comme tu le sens.
Imagine t’as plus besoin de rien prouver.
Imagine on ne te donne pas de leçon.
Imagine t’as pas besoin d’être son meilleur coup.
Imagine t’as le droit d’avoir peur et de le montrer.
Imagine tu peux finir vite. Imagine tu peux jouir et que ce soit pas terminé.
Imagine à trois. Quatre, plus. Imagine seul.e, toujours.
Imagine c’est pas grave de faire toujours le missionnaire.
Imagine pas besoin de comparer avec tes potes.
Imagine commencer par la levrette.
Imagine être silencieux.se.
Imagine tout le monde galère à retirer le soutien-gorge, l’emballage des préservatifs, les cheveux qui séparent les bouches.
Imagine être capable de lâcher prise pour de vrai.
Imagine faire plein de bruit et prendre d’assaut la pièce.
Imagine dire la vérité parce que c’est mieux.
Imagine avoir mal et arrêter.
Imagine simuler parce que ça t’excite plus que sa langue sur toi.
Imagine dire baiser, dire ken, dire pécho, et l’appeler pour ça.
Imagine perdre la libido, la retrouver, arrêter de la siffler.
Imagine vouloir allumer les lampes, parce qu’il n’y a rien que tu désires cacher.
Imagine brûler des étapes, ne jamais avec la bouche, toujours au-dessus, et les détails qui t’appartiennent.
Imagine demander d’éteindre la lumière parce que tu préfères.
Imagine ne rien attendre de l’autre. Partager l’instant qui vit, et vivre avec.
Imagine tu fais l’amour parce que t’es amoureux.se, et pas pour jouir.
Imagine tu fais l’amour pour toi, parce que tu veux tellement jouir.
Imagine tu fais pas l’amour, parce que c’est ok.
Imagine un peu d’humanité dans le moment animal.
Moi j’aimerais faire l’amour débarrassée de ce qu’on plaque sur toi et de toi, qui te plaque par terre. Prolonger la communication des sens par des corps qui s’enrobent, qui s’enlacent, qui s’emmêlent et qui se cherchent. Écouter l’autre et le respecter, sans lire ce que ça dit de nous, sans essayer de le comprendre, sans que rien d’autre ne compte vraiment. Viens on essaye.
La liberté intellectuelle dans laquelle j’ai eu la chance de naviguer tout au long de la route a libéré mon corps, je crois. J’ai la chance d’aimer aimer faire l’amour. Je crois que j’apprends chaque jour à laisser vivre et à prendre toute la place, collaborer avec toi et mettre nos dignités en commun pour la beauté du moment, aimer ton corps parce qu’il respecte le mien. Sublimer les ratés et les faux départs des corps qui ont du mal à s’emboîter, des hésitations et des cafouillages, parce que ça veut dire que tu me ressembles. Te dire l’amour en le faisant.
Chaque jour, toucher du doigt ce que j’imagine.