Une réflexion qui m’est venue après la fête nationale, parce que je me suis demandé tout d’un coup, si moi, petite meuf de gauche, j’aimais la France…
La France n’est pas un bloc immobile, invariable, fixé dans l’éternité pour être choyé des passéistes. La France, ça veut dire tout un tas de trucs différents pour chacun.e d’entre nous. C’est une définition mouvante, qui passe de mains en mains, et parfois dans les mauvaises.
On a le droit d’aimer la France d’un côté, et de la détester d’un autre. Quand on dit « la France », on a le droit de penser à celle qu’on construit aujourd’hui, mais aussi à celle qu’on voudrait porter demain, à celle qui s’agrippe au présent de manière acharnée et à celle qui se vautre dans le futur avec inconsistance, et puis même à celle qui est bloquée dans le passé comme un disque rayé. On a le droit (et on a aussi le besoin) de la pensée nuancée.
Parce qu’aimer la France ce n’est pas aimer l’État français et lui donner, annuellement, une bénédiction pour continuer la lancée d’immenses bouses qui se succèdent les unes après les autres.
C’est aussi se rappeler pourquoi on doit se réapproprier d’urgence tout ce qu’on veut sauver, tout ce qui est sorti de ces siècles d’histoire, au milieu des abominations et des dominations.
Moi j’aime la France parce que des gens que j’aime y vivent, se lèvent chaque matin et essayent de construire un monde potable.
J’aime la France alors qu’elle porte une histoire abominable, nourrie de sang, d’écrasement et de conquête, parce qu’elle hérite aussi de l’histoire que l’on tait constamment, qui est celle de millions de gens sur le qui vive, et de révolutions sociales qui ont impulsé des indignations légitimes partout dans le monde.
J’aime la France parce qu’elle regorge de paysages qui m’ont bercée, au milieu desquels je me sens chez moi, qui abritent une faune, une flore, des terres que je lutte pour préserver. Fertiles et nourricières pour toustes.
J’aime la France pour la vitrine sociale que nous avons réussi à y hisser, malgré l’effritement qu’on lui laisse subir.
J’aime la France pour l’exception culturelle et ses dispositifs quasiment uniques au monde, qui protègent malgré le fracas des lois du marchés, l’autonomie de la pensée et l’indépendance de la création.
J’aime la France et les gens qui lui façonnent un visage, qui lui apportent la richesse des petites mains et des différences de vécus.
J’aime la France quand elle ne se résout pas à être ce qu’elle est mais qu’elle accepte les questionnements. Ceux qui servent l’avancée collective vers le mieux, un mieux qui ne sera pas le même d’un 14 juillet à l’autre.
J’aime la France le soir des victoires de foot, le matin du déconfinement, l’après midi en manif. J’aime l’espoir que les gens qui s’accrochent à ce morceau de la carte, qui ne le cèdent pas aux ravageurs, me donnent.
J’aime la France parce qu’ailleurs elle m’a manqué, pour toutes ces choses là.
Et pour être honnête, je me sens pas à l’aise, en étant de ma sensibilité politique, quand j’écris « j’aime la France » dix fois dans un texte. Mais c’est le 14 juillet, il est là, il existe : il faut bien en faire quelque chose qui ressemble un tant soit peu à l’idée révolutionnaire qu’il laisse flotter dans les siècles.
Il y en a qui veulent s’en aller. Pour moi, partir n’a jamais été une option. Parce que ça suffit, de laisser grignoter nos territoires et de nous replier là où tout est encore préservé. Assez de fuir les responsabilités. C’est au milieu du chaos que j’ai toujours envie de revenir, parce que c’est là que dorment les enjeux, que sommeillent les leviers à actionner et que respirent les gens qui se mobiliseront.
La France, c’est ce qu’on en fait maintenant, devant l’abîme, ensemble. C’est grandiloquent, mais le truc c’est que c’est aussi vrai.
2022. Ce qu’on peut en faire. Ou pas.
Pas de feuille de route, pas de recommandations, parce qu’il y en a assez. Juste l’avenir, en face, et la certitude qui rend chaque jour savoureux : un jour on sera fier.es de nouveau. Je ne sais pas quand. Tout ne dépend pas de nous. Mais incarner les valeurs dont on voudrait tapisser les allées le 14 juillet, en remplacement d’uniformes napoléoniens, ça, c’est possible ici et maintenant, j’invente rien.
J’ai écrit tout ça le 14. Mais je n’avais pas envie de le partager. Je comprenais pas l’intérêt de dire tout ça, de parler de ça, d’y ajouter mon grain. Mais je crois que je le sais, au fond, pourquoi.
Parce que la France que j’aime moi, petite meuf de gauche, elle est chaque jour davantage rognée, asphyxiée, aspirée par la désuétude, alors que l’actualité nous rappelle plus que jamais la nécessité d’une justice sociale, écologique, migratoire, culturelle (oui, oui).
S’il y a un seul défi à relever dans ce monde en ruines, c’est d’arrêter de nous faire imposer les définitions de notre monde politique. De se réapproprier les choses. Les mots.
Je crois sincèrement qu’au lieu de laisser aux fachos le plaisir de leur grande mascarade auto-satisfaite, on peut réinvestir les traditions de rassemblement et de fête pour se rappeler, simplement, ce qui demande une mobilisation de chaque instant, ce qu’on chérit et ce qu’on nous envie, ce qui fait battre le coeur des campagnes et des villes, ici, chez nous.
Loin des parades militaires qui nous font croire que la France, c’est d’avoir de plus gros fusils que les autres.
Au chevet d’une république sociale, juste, et digne.