L’ESPOIR FAIT AUSSI MOURIR

Je sais que tu ne peux pas t’enfuir. Je sais comme il te tient, comme tu te vautres dans l’espoir qui te tuera, l’espoir que tout change un jour, ce jour où tout s’arrêtera. Et je sais ce que dit ton reflet, dans le miroir, en face.

À toutes celles qui leur ont pardonné, celles qui les croient encore, celles qui les aiment encore et qui ont, pour cela, cesser de s’aimer. 

À toutes celles à qui on fait porter la lourde faute et la tâche subtile de se sauver toutes seules. 

À toutes celles qui n’ont pas réussi et que l’on n’a pas aidé, qui sont mortes ou mortes vivantes. 

            Tu dis que tu l’aimes si fort mais ce n’est pas vrai. Tu as menti, tu mens. Il y a tant d’êtres que tu aimes d’un amour vrai, pas de cette ombre décharnée que tu as l’audace d’appeler romance. 

            Cet amour-là manque de gueule, tu le vois bien. Il est boiteux, et sordide. Il t’a tellement rongé qu’on ne voit plus rien de toi que ça, cette affreuse chose qui te pend au bout du nez, et qui entraîne le reste de ton corps, ton dos pour le voûter, ta tête pour l’abaisser, le reste pour l’affaisser. 

            Tu ne voudrais parler que de ça, le reste ne t’intéresse pas, ne t’intéresse plus. Celles qui ont l’obsession de la parole comme toi compensent peut-être quelque chose qu’elles entendent trop fort en elles. Le désir ardent de communiquer comme symptôme de ton état maladif, de tes sens hagards. Tu veux parler d’amour, ne parler que de ça, comme s’il fallait percer le mystère, comme si ta vie en dépendait. Tu as raison, ta vie en dépend. 

            Ce n’est pas de l’amour, c’est un amas de renoncements que tu consens parce qu’il y a l’espoir. On dit que l’espoir fait vivre mais c’est faux, toi il te tue à petit feu. Ne mens pas, ne nie pas, ne tourne pas la tête. Je l’ai vu dans tes yeux aux larmes qui frisent, j’ai vu ta manière désolante de te consoler, j’ai vu quelles excuses tu lui trouvais, quelles marques d’estime tu calquais artificiellement sur ses coups d’escrime. Tu espères et tu attends, l’espoir vain et vainc : à chaque fois il revient, il t’entraîne avec sa ribambelle d’affaires imaginaires qui te transforment en quelque chose de malléable, quelque chose comme un scénario réécrit par les circonstances, dénué de toute substance et démuni de toute prise sur le destin qui s’ouvre sous ses pieds. Tu crois que demain il te traitera mieux, tu crois que tu maîtrises parce que tu as conscience de tout ça, parce que tu es forte, mais même en conscience tu disparais, engloutie sous l’attente insoluble et les promesses irrésolues. 

            Ne te méprends pas, je suis là, dans le miroir, et je te sermonne, parce que tu n’as pas le droit de te leurrer sur ça. Je ne veux pas t’enfoncer, je ne veux pas que tu t’enfonces, mais tu n’as pas le droit. Tes pensées mangées par ce qu’il pense qu’il ne dit pas, tes journées engoncées dans leurs habits trop grands qu’il n’habite pas, tes pas dans ses pas. Tu n’as pas le droit de dire que c’est pour d’autres raisons, au nom de l’amour, au nom de la folie, au nom des choses qui ont de jolis noms et qu’il salit avec ses habitudes infâmes. 

            Je parie qu’il est de ceux à qui l’on confie nos combats, nous qui portons tout à bout de bras. Lui qui est aimable et sûrement beau, il a des grands cils ou bien des longues mains. À ces gens à qui tu ne dis rien, il paraît tendre et serviable. Ces gens-là, si tu ne leur dis rien, ils pensent sûrement qu’il en faudrait davantage, des comme lui. Il fait son chemin, sans être inquiété de rien ; il n’y a que toi qui t’inquiètes. Toi qui a des bleus à l’âme à défaut d’en avoir sur le corps, mais ça viendra, ça viendra, toi, tu es la preuve vivante qu’il existe une maltraitance sans nom. Elle avance masquée, déguisée, amère. Elle a le goût du sang qui goutte de ta confiance ébranlée, de tes failles écartelées, de tout ce que tu aurais dû brûler que tu as gardé, la culpabilité en plus. Il transforme ta vérité en lubie, tes certitudes ancrées en doutes qui tombent. Avec lui, tout est noir, ce n’est pas triste mais c’est la nuit, les repères sont brouillés et tu ne veux pas croire que c’est lui qui trafique les fréquences, qui éteint les phares. Tu ne veux pas croire qu’il sait ce qu’il fait. Tu t’accroches à ta foi comme à une bouée, seulement tu avales beaucoup d’eau. Tellement que tu risques de t’étouffer. 

            Alors au fond du miroir, et perchée sur ton épaule, j’ai beau crier qu’il faut te débattre avec cette idée de lui, tu ne m’écoutes plus. Tu luttes férocement contre moi et mes airs catastrophés. Tu ne t’en sors pas trop mal, tu n’as pas l’air trop écorchée. Il n’y a que toi qui peut savoir ce qui est brisé sous toi, une fois qu’on a tout enlevé et que tu es nue, debout, tes restes en bandoulière. 

            Je crois qu’au fond tu as raison, tu ne peux rien faire. C’est à nous de t’aider. De te harponner, de t’envahir et de le chasser, de t’emporter loin là où même la vague image de lui qui te colle à la tête comme un chewing-gum ne peut plus rien contre nous. C’est à nous de déceler les signes de ton errance, à nous de savoir que tu t’es perdue et que tu ne peux pas rentrer seule. 

            Sans chercher à te convaincre, s’échiner à te protéger.        

Une réflexion sur “L’ESPOIR FAIT AUSSI MOURIR

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