POURQUOI J’AI DÉCIDÉ DE ME LAISSER CORROMPRE

Je pense que j’en ai assez que ce soit eux, qu’on appelle « les politiques ».

Je pense que j’en ai marre de perdre, d’être faible, d’être des nuls, même si je pourrais me rassurer dans n’importe quel bouquin de développement personnel qui dira le contraire.

Je pense qu’on est épuisé.es de voir que, même au sein des groupements politiques de gauche, on continue de réagir et non d’agir, de se faire imposer le temps politique, les sujets dont il faut parler, les clash dans lesquels entrer, les polémiques sur lesquelles se positionner.

Je pense qu’on est des immenses brêles en comm’ et que je ne comprends toujours pas pourquoi on ne ressaisit pas d’un langage normal pour discuter de ce qui concerne tout le monde. Un langage qui veuille dire des choses.

Je pense que je suis toujours atterrée de voir le corporate qui règne au sein des partis et qui n’a rien à envier aux entreprises les plus deg.

Je pense que j’en ai assez qu’on soit obligé.e d’utiliser des formulations badigeonnées de marketing, de produire des émissions creuses et des communiqués pompeux, tout ça pour gagner la bataille à construire du vide. Qu’on se fasse aspirer dedans, même en luttant contre.

Je pense que j’en ai marre, aussi, que le feu des projecteurs soit continuellement braqué sur des gens en cravate qui postillonnent jamais alors que je côtoie celles et ceux qui fabriquent demain avec le bric-à-brac qu’on leur laisse. Les asso, les ami.es, ceux qui prennent soin des autres, ceux qui osent les questions, les femmes qui inspirent depuis l’ombre, les gens qui parlent tout bas, les autres qui ne prouvent rien à personne mais dont l’existence résonne fort.

En bref, j’aimerais que l’élection présidentielle à venir ne soit pas si cruciale. Qu’elle arrête de prendre le melon et toute la place. Qu’elle se taise et qu’on discute des autres, de redynamiser ce qui n’est pas l’ego, le centre, le plus évident.

Mais je n’ai pas pu m’empêcher (il y a sans doute de l’ego là-dedans, mais je vous assure qu’on trouve aussi autre chose), de côtoyer des gens qui gravitent dans cette sphère nauséabonde à laquelle on finit par être aimanté. Je les ai trouvés dignes et courageux, ceux que j’ai rencontrés. Qui mènent avec humilité ce vaste chantier de régénérer la politique en l’infiltrant, d’ameuter les cœurs démolis et les âmes abîmées qui ont déserté les paniers de crabe. Sans donner à cette forme de politique (institutionnelle, partisane) l’importance qu’on lui accorde toujours et qu’elle ne mérite pas, je me sens responsable d’aider sur tous les fronts. Je me sens responsable d’aider sur ce front. De les aider.

Je crois qu’on fait des dégâts en politique, que la gauche, plus qu’elle ne perd, ravage ses derniers soldats avec sa cuisine politicienne. Je crois qu’on se satisfait d’une manif où rien n’a réellement changé, de communiqués ou rien n’a réellement été dit et qu’on abandonne à l’entre-soi et l’autarcie les vrais épicentres militants. Je crois qu’on critique parce qu’on ne sait plus quoi faire d’autre, parce qu’on n’arrive plus à imposer les rêves et les utopies dans un débat public froid et hideux. Je crois que tout ça ne changera pas si celles et ceux qui ont les yeux en face des trous et la tête dans les étoiles ne se saisissent pas de ces sujets. Ça suppose une abnégation, ça suppose de résister au conformisme et au lissage de ces milieux, ça suppose de garder en soi ce qu’on voulait amener là. Ça suppose aussi de continuer à penser qu’on n’est pas le nombril du monde, et que cette voie est une voie parmi les milliers d’autres. Une voie qui concentre l’attention qu’elle devrait redistribuer.

Alors il y a beaucoup de choses qui me dérangent, la personnalisation de la campagne, la raideur de la communication politique, le manque de poésie et de liens authentiques, les lacunes en efficacité à force de se concentrer sur des nombres.

Je ne suis pas non plus encartée chez EELV, mais pour l’élection présidentielle 2022, j’ai décidé de soutenir Sandrine Rousseau, et de m’investir dans son équipe de campagne.

Parce qu’elle est écoféministe. Parce qu’elle porte une radicalité environnementale (je ne vais pas reparler du rapport du GIEC c’est promis). Parce qu’elle soutient une politique d’émancipation des générations qui connaîtront notre futur incertain. Parce qu’elle soutiendra un nouveau contrat social pour une vie digne, et parce qu’elle demandera la construction d’une nouvelle république.

Ça c’est son programme, mais il n’y a pas que ça. Sandrine est une femme qui en a subi les conséquences, elle a travaillé, son parcours n’est pas lisse, elle a quitté le parti puis elle y est revenue, elle porte une parole simple, vulnérable, digne.

Même si l’on ne dépasse pas le stade de la primaire, elle apporte une dynamique revigorante, quelque chose de vibrant, qui fait un peu trembler l’âme en dessous, pour une fois.

Parce qu’elle remodèle la politique avec une parole féministe, avec un renversement des valeurs et un dégoût des combats de coq ridicules auxquels il est sûrement encore nécessaire de participer pour remporter une élection politique.

Peut-être que cette radicalité nous fera perdre. Peut-être qu’elle nous handicapera. Peut-être que, même en accédant au pouvoir, ces intentions se fracasseront contre le mur de l’immobilisme. Mais si j’ai décidé de m’investir, c’est parce que je crois que, malgré tout, nous n’aurons pas perdu notre temps.

Mon but ultime dans les prochaines semaines, les prochains mois, c’est de prendre le temps d’en discuter. Pas de convaincre à la hache, ça c’est le monde d’avant. Simplement de parler. À celles et ceux qui n’y entendent rien, qui s’en branlent, qui nous détestent. Et qui ont tellement raison.

Parce qu’on le sait, au fond, s’il ne nous reste que des nuls en politique, c’est parce que les meilleur.es ont déserté. Il faut rameuter ces meilleur.es. Parce qu’on n’a plus le temps, plus le droit, plus le loisir de laisser la politique à des nazes.

Je ne déserte pas les terrains qui ne soient pas politiciens, je ne jette pas au feu un militantisme dont je connais plus que jamais l’utilité et la sincérité. Je ne signe pas un chèque en blanc de confiance, ni ne me fais diriger par la performativité. J’apporte mon aide à un moment charnière : l’élection présidentielle, qui, au-delà de toute victoire politique, comporte des enjeux cruciaux en terme de dynamique d’espoir, de capacité de mobilisation, de retentissements médiatiques, de création de collectif, de pédagogie sur des enjeux clés, de potentialités de discussion.

J’aimerais bien que la réciproque soit vraie, et que l’on voit les sphères politiciennes s’émouvoir des expulsions de terrains, des procès intentés contre les activistes, des petites actions qui ne leur rapporteront ni visibilité ni autosatisfaction. Mais je veux bien commencer à construire le pont de mon côté.

Réinvestissons toutes les arènes possibles, dans le système, hors du système, partout. Oublions les guerres de pureté idéologique et les égoïsmes militants. Réapproprions-nous les outils de pouvoir, parce qu’« ils » ne savent pas mieux que nous. Soyons partout. Y compris dans les débats de 2022. Foutons le zbeul là-dedans.

Empêchons-les de faire leur présidentielle comme ils en ont l’intention : sans nous.

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