À propos des relations humaines, et de leur fâcheuse manie de mourir bêtement. (Et aussi à propos de celui qui avait oublié de me souhaiter mon anniversaire).
La semaine dernière, l’un de mes meilleurs amis a oublié de me souhaiter mon anniversaire. Enfin, si l’on veut être exact, on dira plutôt qu’il a volontairement omis de m’envoyer une quelconque marque d’affection en ce jour particulier. Mon anniversaire tombe le 2 mars, voilà, ce n’est pas compliqué, il n’y a rien d’autre ce jour-là, il ne fait même pas encore printemps, l’hiver se traîne. Et puis de toutes les années, il ne l’a jamais oublié, il s’en est souvenu ou se l’est fait rappeler par Facebook ou ces autres outils qui ont pris le relai de nos cerveaux ratatinés par la technologie. Bon, ses messages n’étaient pas spécialement longs, quelques mots tout au plus pour enrober le classico-classique « joyeux anniversaire », mais voilà, c’était une affaire qui roulait, je les attendais, ils arrivaient. Une version simple du bonheur, la douceur agréable d’une tradition qui fonctionne bien. Pourtant cette année, rien. Même pas un petit émoji « gâteau avec bougies », même pas un appel manqué sans laisser de message. Le néant, le vide.
Même alors que je m’y attendais, la douleur est vive. J’ai l’impression d’une petite gifle qui confirme les précédentes, et le piétinement allègre de notre relation ces dernières années. Mon téléphone reste silencieux malgré les gentilles pensées qui affluent, je me focalise sur cette disparition, cette évaporation. Je me demande comment font les choses qui font du bien pour s’envoler aussi complètement en quelques années. Il y a quelques temps, il m’aurait été inconcevable que cet homme ne fasse plus partie de ma vie. Et le constater m’alourdit de tristesse, même s’il faut bien admettre que les derniers temps le laissaient présager. Que cela faisait un moment, en réalité, qu’il ne faisait plus partie de ma vie.
Je me suis dit alors qu’il serait intéressant d’écrire sur ça, sur ces relations humaines qui meurent de façon indéfinissable, bêtement. Mais je ne sais pas quoi vous dire de pensé, de structuré, si ce n’est la stupéfaction dans laquelle cette découverte me plonge. La découverte des abandons lâches et à peine prémédités, la vie qui éloigne et nous économise l’inconfort d’une rupture franche.
Les années avaient déposé entre mon ami et moi une somme de petits grains irréconciliables, des tensions sous-jacentes, des incompréhensions mutuelles, un certain agacement qui survient lorsque l’on reconnaît trop les défauts de l’autre. Un éloignement géographique aussi, des chemins qui s’écartent et ont de plus en plus de difficulté à s’entrecroiser. Malgré tout il y avait l’habitude de l’amour que l’on se porte, les souvenirs partagés qui font comme un poids dont on ne peut se délester. Les rires qui prolongent ce que l’on a déjà vécu d’inoubliable, les vies séparées que l’on rattrape à toute vitesse dans des conversations à la nuit tombée. Les doutes qui rapprochent encore dans des questionnements que l’on s’adresse, les égarements que l’on raconte parce qu’ils sont partagés. Les silences aussi, qui viennent se nicher là mais qui sont indolores, tant on sait qu’ils seront régulièrement interrompus par l’amitié qui reprend ses droits une à deux fois l’an.
Mais finalement, il suffit d’un léger décalage. D’un quotidien qui absorbe trop, d’une place qu’on ne peut plus faire. Des efforts auxquels il est de plus en plus difficile de consentir, de l’autre qui rapetisse dans le champ de vision, qui s’éloigne. Un déséquilibre. L’une qui s’accroche – moi, en l’occurrence – et lui, tout à la découverte d’une joie qui lui appartient et ne me regarde pas, qui accepte de nous abandonner.
Pendant quelques mois, nous nous sommes débattus avec l’effilochement de nos liens. Mais voilà, maintenant c’est clair, maintenant tout est dit dans ce silence : il n’y en a plus. Nous sommes des étrangers. C’est dur parce que c’est étrange. C’est dur parce qu’il advient ce qui était impossible et qu’on a donc la preuve que le temps est capable de tordre la vie dans tous les sens. J’ai redoublé de vigueur dans les derniers temps, tenté tout ce que j’ai pu pour sauver les meubles. Je me suis aplatie, je me suis oubliée. Tout était bon pour ne pas faire face à la terreur qui nous prend quand il faut apprendre que même ces amours-là sont éphémères. Mais à quoi bon se perdre dans les dédales d’une chose obsolète, y perdre la tête, la santé ?
Il y a des jours où laisser tomber est le plus grand apprentissage que l’on puisse faire. Et pour cela, il faut se raccrocher à tout le reste.
Je n’ai pas pleuré, le jour de mon anniversaire. J’ai profité des personnes présentes, chéries, aimées. Et qui me le rendent avec une réciprocité qui ne demande pas d’effort. Je continue de trouver cela idiot, mais comme le monde présente un penchant fâcheux pour l’absurdité, j’ai décidé d’en prendre mon parti.