« Le vote du jeune est stratégique pour tous les candidats à la présidentielle ». Je suis le jeune. Voilà, c’est moi. Nous. On. J’ai des choses à vous dire.
On dit de moi que je suis très passif, bien apathique et aussi lamentablement feignant.
On dit de moi que je suis parfois engagé, souvent en colère, et beaucoup sur mes gardes.
On a dit toutes ces choses de moi, de nous. On nous a mélangés, mixés dans une grande salade homogène. On a pensé que de cette manière, on pourrait faire de la pâte à modeler, qu’on serait malléables.
On pense nous connaître parce que les adultes ont tous été cette chose avant la maturité ; ils sont passés par les chemins chaotiques et en sont sortis. On pense savoir ce que nous sommes, ce qui nous anime. Nous aussi, nous pensons nous connaître et pouvoir en dire quelque chose. Probablement qu’aucun de nous ne détient la vérité.
Nous sommes cette masse, ce futur.
Nous avons pourtant le devoir de savoir ce que nous sommes, et nous avons aussi le pouvoir du temps qui ira dans notre sens.
On dit des choses de moi. Je suis le jeune.
(Au masculin, parce que c’est comme ça qu’on me pense. Comme ça avec pleins d’autres choses, parce que c’est ce qu’on appelle « le neutre ». Pourtant, je suis aussi d’autres visages, d’autres figures. On me représente parfois différemment car il paraît que c’est dans l’ère du temps, ou pour répondre aux quotas. Je suis le jeune, mais parfois je suis aussi la caution.)
Je suis le jeune. On parle de moi. C’est la campagne présidentielle. On veut me convaincre. Je ne suis pas convaincu. Ou je ne le sais pas. Je n’ai pas encore de certitudes, et c’est la chance du monde. J’ai aussi beaucoup de certitudes, et c’est ce qui nous sauvera.
Je n’ai pas les intérêts conservateurs que l’on développe en s’enracinant dans un monde qui tue. Je ne suis pas encore enraciné, empêtré dans les fondations de ma vie. Je n’ai pas encore construit ma vie. Ou si peu. Je n’ai pas la rapacité de ceux qui s’accrochent au passé parce que le futur n’apporte avec lui que la vieillesse et qu’il est facile de se complaire dans ce qui a toujours été.
Je suis le plus libre possible, et le plus vulnérable aussi.
Parfois, je porte sur moi le poids de l’héritage et la manière dont mes parents, mon environnement, la façon avec laquelle on m’a appris à vivre, m’ont façonné.
Mais je dirais que je suis logiquement progressiste. Je suis le jeune. J’ai tout à vivre : les doutes, les montagnes, l’avenir.
Je n’ai pas les mêmes intérêts que les autres. Les choix d’aujourd’hui m’engagent. Parce que demain, je serai toujours là.
Les choix d’aujourd’hui m’engagent parce que je vivrai les drames et que je porterai les solidarités : mes bras sont encore vigoureux et ma tête, rapide.
Les choix d’aujourd’hui m’engagent, car on les jugera une fois que je ne serai plus le jeune, et qu’ils constitueront ma petite pierre, celle que j’aurai posé sur le temps.
La banquise fond, mes choix non. Ils resteront. J’espère qu’ils ne dégoulineront pas.
On parle de moi mais on m’écoute rarement avec sincérité. Mon âge me disqualifie, et la jalousie que les autres nourrissent à mon égard empoisonne les conseils qu’ils me donnent, pleins des aigreurs et des regrets qu’ils portent avec eux. On pense qu’on me manipulera facilement, parce que tout est encore bancal, et parce que j’ai besoin de tout. On souffle le chaud et le froid : un jour je suis responsable des maux de mon époque et je dois réparer la bêtise, le suivant je suis des millions de messies au cœur pur et au destin grand. On me tourne dans tous les sens comme une girouette. Devant l’urne, quel sera mon choix ?
On m’a chargé de responsabilité. On m’a pris pour la moitié de moi-même. On m’a encensé à outrance, traumatisé sans vergogne. On m’a pourri gâté, on m’a enfoncé dans la misère. Je ne sais plus qui je suis, je suis le jeune. Devant l’urne, est-ce que j’y serai ?