Vous n’êtes pas sans savoir qu’on vote dimanche au premier tour des élections et que j’allais bien être obligée d’en dire deux mots. Voici donc le sentiment d’une jeune femme de 23 ans qui, du long de sa courte et insignifiante existence, a déjà été tentée de rendre le vote obligatoire, puis de ne plus se rendre aux urnes, et enfin de se rendre à l’évidence : son avis se trouve quelque part entre ces deux extrémités.
Il y a quelques jours, j’ai lu sur Twitter cette espèce de maxime qui m’a envoyée penser : « Voter utile, c’est croire aux sondages ».
Je sais qu’on est maintenant, que le temps ne va pas à l’envers, et qu’il a tendance à adoucir et tiédir les choses. Je n’ai pas l’impression d’avoir tiédi, juste d’avoir fracassé la naïveté contre le fonctionnement du monde. Alors je sais qu’on est maintenant, mais je suis obligée de me rappeler qu’il y a quelques années, j’aurais probablement passé la journée d’élections au fin fond d’un fauteuil à peine rembourré.
J’étais persuadée que la nonchalance avec laquelle je considérais l’heure qui tournait en ce jour particulier et qui confirmait mon inaction, était la meilleure caution antisystème que je pouvais fournir. À la rigueur, j’aurais parlé du fait qu’il ne fallait pas parler des élections, avec mes potes qui voyaient en cette hibernation citoyenne un acte politique de haut vol.
Mais certaines secousses de la vie militante et l’envie revenue d’utiliser le petit bout d’espace politique qui m’est gracieusement accordé (et ne me coûte rien, sauf un peu de pureté idéologique) me poussent à considérer le trajet jusqu’à l’urne, cette année.
C’était plus simple avant. Plus confortable de tout rejeter en bloc. De penser en idéaux et pas en stratégie. De laisser faire le système tout en m’en extrayant juste assez pour le critiquer en toute légitimité.
Aujourd’hui, c’est différent. Tout est différent, sauf le système. Lui est resté le même. Lui a broyé, toujours davantage, toujours un peu plus. Ceux qui s’en sont bien tirés lui en sont reconnaissants encore davantage. Emberlificotés dans les privilèges qu’ils tirent de l’exploitation de tous les autres, ils s’acharnent dans le vide et ont pourtant avec eux l’avantage de notre éparpillement. Des choses simples que l’on répète mais que plus personne n’entend, qui sont devenus des collines ordinaires dans un paysage vallonné. Des idées justes qui deviennent des utopies à force de n’avoir pas été réalisées, et d’avoir eu à peine l’espace de se déployer dans l’imaginaire.
Comme beaucoup d’entre nous, aucun des candidats qui me sont présentés ne me convient. Je les trouve pétris de contradictions et d’égocentrisme, je ne sais plus quoi en dire à force de trouver ça normal. La bouche pleine de démagogies et leurs équipes saucissonnées dans le marketing bien plus qu’une quelconque philosophie politique. L’époque le veut, la médiocrité aussi. Bon, ça sera donc le moins pire ? Comment déterminer ce choix qui n’en est pas un ?
Les uns et les autres essaient de me convaincre en masse. C’est l’heure des hyènes et des vautours qui veulent récupérer mon cadavre de candeur encore fraîche.
Ils ne ciblent personne, tirent dans le tas avec leurs arguments tordus et leurs banalités mille fois répétées. Leurs programmes sont bancals et ils le savent, ils ont appris à esquiver les questions plus qu’à répondre aux interrogations. L’empathie a disparu, même en tant qu’outil. Aucun ne se met à ma place, et ne réfléchit à mes propres intérêts. Tous mâchent des mots vides qui ne provoquent rien.
Les sondages me tombent dessus les uns après les autres, mille fois plus nombreux que les occasions pour les candidats de défendre honnêtement leurs intentions, sortis de leurs tournées promotionnels nombrilistes adressées aux murs ou à ceux qui sont déjà convaincus.
Les deux tours font leur apparition dans mon cerveau : qui sera le plus à même d’aller à l’affrontement, tout en ne faisant pas fuir la moitié des indécis, qui saura être radical tout en l’expliquant bien à ceux qui ne sont pas convaincus, qui saura dire qu’être d’accord n’est pas ce qui importe le plus ?
Et puis sur Twitter, cette phrase. « Voter utile c’est croire aux sondages ». Ils se trompent rarement. Mais si nous suivions les tendances qu’ils indiquent et non l’inverse ? et si nous étions le miroir du reflet lui-même ? Alors toutes mes prédictions sont dessinées d’avances, mes stratégies, inappropriées.
Mon cerveau s’embrouille, je lis déjà les commentaires qui m’indiquent le choix ultime et logique, qui attachent ma culpabilité avec, la responsabilité, le poids du monde.
Bientôt le tourbillon se calme et je m’oblige à retrouver l’apaisement. Reprenons. Mon choix importe peu. Notre dynamique est essentielle. Nos idées aussi ; pour le moment, elles sont à l’arrière-plan et doivent le rester. Ce qui compte c’est d’aller quelque part. Fuir, dans un espace qui permet de faire fleurir le reste. Que ce quelque part ne soit pas trop défavorable à l’émergence de quelque chose de mieux.
Ceci m’amène à cela : au risque de décevoir les grands prophètes de notre temps, le bulletin sera jeté dans cette urne comme un chewing-gum dans une poubelle. Cette poubelle ne contient pas ma vie politique. Je veux être logique et lucide et m’efforcerai de l’être, comme nous tous, face à qui m’anime. Mais arrêtez donc les hurlements, ce bruit qui ne se retrouve que rarement dans les interstices où il faudrait aussi être, ailleurs que le vote : partout où la politique se niche.
J’irai voter, la tête claire et pragmatique. Cet acte étriqué ne résumera jamais mon militantisme. Mais j’irai.