Comme si on ne pouvait pas mourir sans l’avoir vraiment fait exprès. Tu tombes d’une falaise, tu passes sous un bus, d’accord. C’est acceptable. J’accepte. Je dirais même plus, je comprends. Mais mourir de chaud ? Comment intégrer cette possibilité à son logiciel ?
J’ai appris qu’il fait en ce moment 51 degrés sur certaines zones du Pakistan. À première vue, ça n’est que 10 degrés de plus que 41 degrés. 41 degrés, ça arrive l’été. On sue quelques jours puis la « normale » revient. Enfin, je crois. Bon, c’est vrai que la normale a l’air de s’être un petit peu perdue en chemin.
Le milieu, ça la connaît pas trop, notre époque. La nuance, les entre-deux, en voie de disparation, eux aussi.
51 degrés, ça me paraissait pas si fou, voilà ce que j’essaye de dire. Tant qu’on passe sous le chalumeau inexorable, j’avais tendance à me dire : je vois pas bien ce que quelques degrés vont y changer.
Apparemment, je me suis trompée. Dans le four, 51 degrés, c’est une tarte carbonisée. J’ai appris qu’il fait 51 degrés au Pakistan en ce moment.
J’ai appris que 51 degrés, selon le taux d’humidité, c’est une température mortelle. Létale.
Les écologistes ont braillé leur tout nouvel argument nec-plus-ultra un peu partout, et les médias se sont empressés de se taire, comme d’hab. Une tarte cramée, même si c’est une tarte humaine, ça ne fait pas le poids face au procès de Johnny Depp. Tu comprends, elle a quand même étalé de la merde sur leur lit, mince quoi.
C’est nous les merdes.
C’est nous les tartes.
En attendant moi je suis restée sciée. Alors c’est bien vrai, on meurt. On meurt du réchauffement climatique, de toutes ces courbes, de tous ces cours appris par cœur, les limites à la croissance le rapport Meadows tout ça. C’est pas des conneries. Je veux dire, j’ai jamais été climato-sceptique, jamais, mais ça fait tout de même drôle quand cette vague menace qui flottait tombe en trombe de flotte sur ta petite tête occidentale préservée.
J’essaye d’imaginer. Comment ça doit être, cette mort. Tu dégoulines, la chaleur t’écrase, ton corps s’aplatit. Tu respires la terre brûlée et le soleil ardent. Tu plonges dans une sieste monumentale, une sieste léthargique. Et tu disparais, comme ça. À cause des degrés. Tu ne peux plus exister. On t’enterre, on te pleure un peu, puis on t’oublie, parce qu’il y a la vie. La vie d’avant les 51 degrés, celle d’après. Mais ce petit bout de temps coincé dans la torpeur d’une température extrême a suffi. Il t’a retiré. Il a fini ton chemin.
Je m’arrête dans mes réflexions. Ici aussi il fait chaud, en fin de compte. Ou bien est-ce le sujet qui me fait les mains moites. Je m’arrête. Le bar d’en face est climatisé, ça tombe bien. Je m’y engouffre, molle et flasque.
Je suis en train d’en rajouter à l’étuve, là-bas. Celle qui se rapproche de moi, de mon nombril, de ma stupidité. Du moment où je comprendrai. Où je comprendrai vraiment : pas dans ma tête, pas dans mes mots.
Au fond de mon ventre. Là où ça étouffera.