Être l’enfant, c’est mon meilleur atout séduction.
Ça te choque, quand tu me lis comme ça tu te dis qu’il y a un problème ; quelque chose cloche lourdement. Pourtant je te le redis, encore : être enfant, c’est mon meilleur atout séduction.
C’est toi, qui me l’a fait comprendre. Toi, quand tu fuis celles qui sont fortes et qui savent des choses, toi qui ne veux que te faufiler dans les failles et fêlures. Toi qui exaltes mes qualités d’oratrice quand je me tais, et qui ne laisse jamais parler. Toi qui pourfends notre monde bancal uniquement pour en être le sauveur. Toi quand tu me coupes la parole pour m’apprendre quelque chose et qui te vexes lorsque les rôles sont inversés. Toi qui paniques quand les réponses t’échappent, et qui t’agaces lorsque c’est moi qui les détiens. Toi quand tu as envie de me protéger davantage que de m’aimer. Toi qui voudrais me sauver sans penser à sauver ce qu’il reste de toi, de ton féminisme de façade, en-dessous.
Toi qui aimes les femmes pour ce qu’elles renvoient de l’homme que tu es.
Du pouvoir que tu as.
Oui, tout me pousse à comprendre que je devrais être une enfant pour t’intéresser.
Déjà, parce que les femmes ont toujours été enfants : minces, sans poils, ratatinées dans l’espace et dans le temps – sans parler de l’Histoire. En un mot, inoffensives.
Ensuite, parce que tu n’as que la comparaison pour être sûr d’être adulte, toi. Pour ça, tu avais besoin de moi. De ton reflet sur moi. Je devais contraster avec ta maturité, tes drames, ta consistance. M’effacer au profit de ta présence qui pesait toujours plus lourd, tes anecdotes plus profondes, et tes qualités plus torturées. Moi, à côté, je faisais l’oie blanche. Celle qui te donne ton utilité, ton sens. Car au fond, tu devais bien le sentir, que le sens, tu l’avais perdu en chemin.
Moi ma boussole, c’était l’enfance. L’enfance ne te menace pas. Tu peux faire semblant de me faire grandir, de me réaliser. Tu peux faire d’une pierre de coup : avoir l’air du puissant, et du miséricordieux. Conserver l’avantage de la domination masculine tout en ayant l’air de vouloir sa fin.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les études montrent que les femmes diplômées éloignent les hommes. Elles les encombrent, avec leur intelligence dont on se passerait bien et leur pouvoir qui fait vaciller le leur.
Avec toi, ce n’était pas aussi limpide qu’une étude sociologique, mais mon instinct de ratatinée l’avait pressenti. Il ne fallait pas que tu te sentes floué. Menacé. En danger.
Les hommes prennent rarement les risques. Les femmes les ménagent parce qu’elles savent leur extraordinaire incapacité à perdre le contrôle, à plonger dans une aventure sans en détenir les codes, à se mettre dans une position inconfortable qui n’est, par définition, jamais de leur côté de la table.
Après coup, je scrute chaque aube passée à tes côtés, quand tu étais allongé sur le flanc et que je t’écoutais parler. Je ne me sentais jamais si séduisante que lorsque je disais une banalité, ou mieux, quand je posais une question idiote.
Tu m’as dit plusieurs fois que mes caprices faisaient mon charme. Tu m’as dit aussi que j’étais encore jeune. Je l’étais plus que toi, c’est vrai. Assez pour que ça devienne un argument discriminatoire. Un faux compliment.
Tout ce qui te plaisait, c’était l’enfantin. Mes colères prêtaient à rire car elles étaient le fruit des caprices. Mes rires étaient doux parce qu’ils étaient naïfs. Mes paroles étaient vaines parce que tu avais toujours mieux en stock. Mon féminisme ne valait pas la peine puisqu’il ne te changeait pas.
Alors je me suis appropriée la chose. J’avais peur que tu t’en ailles, j’avais peur que tu aies peur. Notre amour me faisait grandir, mais pour toi il aurait fallu rapetisser. Tu m’as aimée amorphe, brisée, aplatie. Et quand j’ai repris des forces, j’ai eu beau me tasser dans tous les recoins de l’infantile et de la faiblesse, tu n’as pas su résister.
Tu es parti parce que tu es lâche. Tu es parti parce que tu n’es pas féministe, que tu n’y arrives pas. Tu es parti parce que tu n’as pas osé désirer une égale.
J’aurais voulu que tu aies la vulnérabilité d’aimer autre chose que la mienne. Que tu protèges ma puissance puisque tu tenais tant à sauver quelque chose. Que vous soyez raccordés, tes mots, tes actes, et toi. Cohérents.
Il n’est pas trop tard, mais je crois que pour ça, il faudra se lever tôt.