JE T’EN VEUX

·Pour un bilan absolument subjectif de l’année électorale·

            Après une année électorale pleine de si peu de rebondissements, étranglée entre de fins espoirs et les possibilités de déroute, les élections législatives clôturent cette séquence peu alléchante de nos vies citoyennes. Avec l’impression d’avoir globalement fait du surplace, mais en pire, si c’est possible.

            Le président est le même, si ce n’est qu’il ne cache plus ses ambitions droitières derrière un paravent d’hypocrisie et que nous savons à quoi nous attendre (un rien qui fait du mal). À l’Assemblée la gauche grappille des sièges à la majorité présidentielle sans qu’on puisse parler de vague et sous l’effet levier d’une alliance qui n’aura pas attendu deux jours pour éclater. Le RN de Marine Le Pen, lui, multiplie son nombre de députés par dix. Dernier protagoniste, l’abstention, qui reste la gagnante de ces élections, d’autant plus problématique qu’elle l’est de loin. Dans ma tranche d’âge, les 18-24 ans, nous sommes plus de 70% à ne pas nous être déplacés, et ce malgré des thématiques médiatiques légèrement plus respirables que celles imposées par les droites pour le temps présidentiel, avec l’élan impulsé par la NUPES dans le débat public.

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            La canicule avait pourtant envahi les bureaux de vote. Suivie de peu par des tempêtes inattendues et des grêlons gros comme des balles de golf. Tout ce qui était prévu arrive, et a même de l’avance. Mais rien ne change, au point où le dire devient presque un manque de style : les plus vieux votent, et ils votent massivement pour tuer les jeunes. Les jeunes, qui eux, ne votent pas, pris d’apathie, d’impuissance, de désespoir, d’indifférence, je ne sais pas – j’ai l’impression de si peu les connaître et pourtant force est de constater qu’ils font aussi partie des gens qui me condamnent.

            Ces derniers temps pour la première fois, j’ai vraiment ressenti la peur. La peur des choses impalpables qui tombent soudain dans le présent avec le fracas de la réalité tangible, la peur des choses qu’on ne peut plus ignorer et dont on se sent progressivement perdre la maîtrise de manière irrévocable. Et c’est pourquoi j’ai de plus en plus de mal à ne pas sombrer dans la haine. Dans une colère mal calibrée, qui s’exprime souvent à l’encontre de ceux qui dirigent, écrasent et oppriment, mais qui, cette fois, a l’envie malsaine de se jeter sur ceux qui n’ont pris aucun rôle dans le déroulement des drames. Ceux qui laissent faire, ceux qui s’en fichent – pour des raisons que n’importe quel sociologue m’expliquera bien, mais que je me refuse à entendre, juste aujourd’hui, parce que j’ai besoin de bouc émissaire et de petit plaisir coupable.

            Alors oui, je t’en veux. Je t’en veux, à toi le faux révolutionnaire avachi dans des principes flotteux qui a déclamé ta haine de la politique institutionnelle pendant toute la séquence pour prouver ta chevalerie antisystème et participer au pire.

            Je t’en veux à toi, jeunesse idiote dont je fais si souvent partie, qui se targue d’être une génération engagée mais qui abdique au moindre obstacle, qui choisis tout selon l’égoïsme utilitaire, et qui se vautre dans le privilège de s’en foutre dès que tu as fini de fustiger ceux qui te précèdent.

            Je t’en veux à toi, adulte impassible, vieillard réactionnaire, dont je ne suis même plus surprise de l’indifférence meurtrière, qui réussis à croire qu’un extrême qui réclame la hausse des salaires ou le droit de ne pas se faire tuer pour un refus d’obtempérer vaut autant que le fascisme, le sexisme et ceux qui bloquent les frontières aux réfugiés que tu soutiens pourtant lorsqu’ils sont ukrainiens.

            Je t’en veux à toi, militant qui n’en a que le nom, qui joue avec ton haut parleur et tes tracts et t’endors tranquille après avoir parlé à des convaincus qui te ressemblent, lançant tes #folloforfollowback sur Twitter histoire de resserrer encore un peu la bulle d’entre-soi dont tu n’as décidément pas franchement envie de sortir.

            Je t’en veux à toi, responsable politique dont je ne dirai même pas le bord tant les pratiques se ressemblent, qui, avec les 156 salariés de ton équipe de com’ n’est même pas foutu de parler une langue qui dit des choses, t’associe aux mots creux que tu voulais combattre, et te complais dans ton costard parce que c’est devenu la norme, se complaire. Toi qui ne fait rien d’autre qu’aggraver le fossé en pensant narcissiquement que tu pourrais le reboucher, déconnecté comme tu l’es.

            Je m’en veux aussi, parce que d’abord la colère quand elle jaillit n’épargne personne, et parce qu’on entend toujours plus fort les défauts des autres lorsqu’ils sont aussi les nôtres, nos carences, nos fautes, nos négligences.

            Mais surtout, surtout, j’en veux aujourd’hui à toutes les personnes qui pensent que certains aspects de la lutte pour un monde écologiste et socialement juste ne valent pas la peine. J’en veux à ceux qui croient qu’il n’y a qu’un chemin et qui méprisent les autres. J’en veux à ceux qui veulent rester secs de toute souillure idéologique au-delà de la cohérence et bien davantage pour l’image qu’ils sont persuadés de donner d’eux-mêmes.

Non. Nous n’avons plus le luxe de cracher dans la soupe. Chaque interstice de reprise de pouvoir, chaque brèche d’alternative, chaque idée d’opposition au système qui tue doit être investie. Ceux qui les entravent ou les ralentissent ne sont pas seulement coupables, ils sont aussi profondément bêtes.

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