L’ère post #metoo, une ère de violences sexistes et sexuelles en augmentation

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Il y a quelques semaines, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes rendait un rapport glaçant. Non seulement, le sexisme et la violence envers les femmes sont loin d’être en baisse dans notre société post #metoo, mais ils sont aussi particulièrement ancrés chez les moins de 35 ans, qui estiment par exemple pour un quart d’entre eux que la violence peut servir.

C’est ici que l’on se doit sans doute d’admettre que l’idée des premières vagues féministes de faire des femmes « des hommes comme les autres » se heurte à la réalité. En réalité, il faudrait surtout que les hommes deviennent des femmes comme les autres.

Marius et Charlotte en discutent dans ce nouvel épisode de Vacarme des Jours, notre podcast de chroniques d’actualité.

Réflexions d’un gars lassé par le salariat 

Par Jonas

[Précision de taille : je suis artiste, pas économiste ou historien, idéaliste sans aucun doute, décroissant très probablement et dans cette chronique, je vais essayer de vulgariser et de parler selon mon prisme personnel. J’ai lu, regardé, écouté pas mal de choses sur le sujet mais il est sûr que ce n’est pas un essai exhaustif ni la volonté de faire le tour de la question. C’est une tentative de réflexion et je suis preneur de vos retours, opinions, savoirs,… pour qu’on puisse réfléchir ensemble à un modèle de société plus juste et plus épanouissant pour toutes et tous.]

Constant failure. Young man spilled drink on the keyboard while working and trying to wake up. Drinking a lot of coffee. Concept of office worker’s troubles, business, problems and stress.

Salut! 

Moi c’est Jonas, c’est mon premier texte pour Motus et si j’en arrive à écrire cette chronique ici, c’est notamment parce que j’ai le temps. Aussi parce que j’aime bien écrire, que j’ai à ma disposition un ordinateur, une connexion internet, un lieu chauffé pour l’utiliser, de l’électricité en permanence et pas bien chère mais breeeeef. 

J’ai le temps.

J’ai le temps puisqu’en octobre, j’ai terminé mes deux ans de chômage après presque une décennie de travail. Et plutôt que de retourner dans le monde sérieux du salariat, j’ai décidé d’affronter la précarité de l’artiste au RSA. 

J’ai le temps donc. Et avec ces nombreuses heures qui me sont offertes, libres et improductives, j’ai décidé de me questionner sur ce qui, d’ordinaire, nous accapare 10% de notre vie : le travail. C’est que, une vie dure en moyenne 700.000 heures dont 67.000 sont consacrées au travail, 30.000 aux études (et, tant qu’on est dans les chiffres, 200.000 au sommeil!) ce qui n’est, vous en conviendrez, pas rien. Ayons l’honnêteté de dire que c’est tout de même beaucoup moins qu’il y a un siècle certes où le travail constituait l’écrasante majorité de la vie d’une écrasante majorité de gens.

Pourtant, depuis le début de la révolution industrielle (le 19ème siècle, pas si long ago à l’échelle de notre Histoire), on nous promet un avenir radieux à coups d’évolutions technologiques, de machines pour remplacer l’humain et un labeur de moins en moins pénible. Keynes, pas le moins célèbre des économistes, a même eu cette vision prophétique il y a presque un siècle : on travaillera seulement 15 heures par semaine en 2030.
Mais alors qu’on approche de la date tant espérée, le salaire minimal peine à décoller, on nous parle de nous serrer la ceinture, l’âge du départ à la retraite est bien parti pour reculer sur le quinquennat de Macron (qui affirma sans faux semblant sur France 2 il y a peu “ Si on veut réussir, si on veut avancer, on n’a pas d’autre choix que de travailler davantage”).

Et ce discours prend place alors que de plus en plus de personnes refusent le travail indigne et essayent de tenir tête à une précarité persistante. La vague de grèves du secteur pétrolier qui a secoué l’actualité a mis en lumière un phénomène particulièrement vicieux : ce sont toujours les emplois les plus indispensables qu’on tord jusqu’à l’épuisement. On l’a vu avec le secteur des soins pendant le Covid, avec les instituteurs et institutrices en conflit ouvert et permanent avec l’Education Nationale depuis des années. Alors que par un stratagème f(i)lou, les riches patrons, propriétaires multiples, stars en paillettes et divas sur crampons s’en foutent plein les poches sans la moindre retenue.

Vous vous en doutez, le chantier est vaste et votre attention limitée, je vais donc essayer de séquencer mon propos et de vous offrir mensuellement une chronique qui traitera de la question du travail en sortant de l’idéologie dominante du métro-boulot-dodo qui se fissure de toutes parts.
Je vous donne alors rendez-vous dès janvier pour le premier numéro qui retracera les grandes lignes de l’histoire du travail.

PS : chaque mois, quelques liens pour approfondir le sujet avec des concepts et des théories plus complètes : 

Un livre : “Paresse pour tous” de Hadrien Klent

Une (ou plusieurs) vidéo(s) : ABC Penser 

Un podcast : Travail en cours “Où est passé le temps libre?” 

À PLEIN NEZ

Par Charlotte Giorgi

Ce matin, un billet qui parle de nos petits défauts de courage, de nos erreurs étroites, des moments vraiment pas grands où l’on s’écrase dans le système, et qui permettent, paradoxalement, de lutter efficacement pour les causes que l’on chérit.

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            Quand je marchais dans la rue, hier, au passage piéton, une odeur d’essence m’a pris à la gorge. J’ai toujours eu l’habitude de lutter. De me boucher le nez. De ne pas respirer ce truc. Ma mère m’a souvent dit que respirer ces odeurs-là, « c’est pas bon ». J’ai toujours eu l’habitude de lutter.

            Pourtant, comme la plupart des gens, il y a toujours eu ce truc séduisant pour mes narines dans l’essence ou le gazoil.

            C’est un peu une métaphore de ma vie, de la force que j’y mets chaque jour pour forcer mon chemin entre des détails. Choisir les choses pour les faire bien, ne jamais flancher, ne jamais prendre le risque qu’un de ces à-côté ne viennent ruiner tout le reste. Avancer le nez bouché. Ne pas céder.

            Je ne sais pas si c’est la fatigue, ou l’agacement, ou même une certaine forme de luxure qui s’est réveillée au fond de moi, mais toujours est-il qu’hier, j’ai respiré l’odeur de l’essence à pleins poumons. Ça sent bon. Ça sent fort. Ça balaie tout à l’intérieur.

            Je me dis que c’est quand même aussi ça la vie. Faire les trucs dégueu. Se vautrer dans ce qui ne va pas. Profiter des choses crasses. Être simple. Se laisser porter. Perdre le contrôle.

            Ces choses-là paraissent un peu anecdotiques. Je veux dire, elles ne sont pas de ces qualités qu’on se plaint de ne pas posséder. Mais en respirant l’essence, j’ai pensé à quel point elles étaient absentes de ma vie.

            Quand on s’engage, le chemin est tortueux. Il fait des allers-retours. Il y a des doutes, mais aussi de la surenchère. La surenchère de la perfection. Cocher toutes les cases, par cohérence. Ne pas fauter, par éthique. Ne rien manquer, par conscience. Comme si la moindre déviation pouvait nous rayer de la carte militante, comme si tous nos actes devaient être le reflet parfait du nouveau monde, dans l’ancien monde encore si imparfait. Et je comprends cela. C’est un barrage aux excuses de merde. Parce que des paravents à l’action, on peut en fabriquer des caisses, sous la bannière « je ne suis pas parfaite ».

            Si je respire l’odeur de l’essence, il faut que je sache qu’il s’agit de plaisirs égoïstes, de rien d’autre, c’est tout. Il faut que je prenne mon pied sans me mentir à moi-même, sans mentir aux autres. Il ne faut pas que je dise « je suis imparfaite, j’essaye de faire de mon mieux ». Il faut que je dise : « je suis une merde, comme les autres ». Là seul réside mon petit salut. Celui de la conscience au-delà de la bonne conscience. Celui qui fait qu’on peut continuer à marcher de traviole, sans pour autant perdre de vue la direction de cette pathétique randonnée.

            L’odeur de l’essence comme ces millions de petites brèches, qui viennent si souvent ébranler nos édifices solides, faire tomber les cartes de nos mains, dévoiler au monde notre impuissance bien humaine. Celles qui font qu’on peut parfois penser que ce que l’on fait est vain, que l’on ne mérite pas de faire partie de ceux qui se battent.

            Comment faire quand on veut tout à la fois, et est-ce si utopique de penser qu’on pourrait avoir la lutte chevillée au corps, quelle qu’elle soit, et la jouissance qui nous prend parfois à se rouler dans le système dans les recoins qu’il nous laisse ?

            J’aimerais pouvoir concilier les deux. Pas parce que ça m’arrange bien, même si c’est le cas. Mais parce que pour l’avoir testé, je crois qu’il n’y a pas de cause pérenne sans un soupçon d’enthousiasme à fauter, de vie et d’erreurs.

            Je crois que je ne dois pas renoncer à l’odeur de l’essence. Mais la respirer avec la conscience claire, la faute transparente, le chemin intact.  

Dénoncer l’impunité avec une caméra

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Dans nos sociétés modernes, à l’heure des réseaux sociaux, devant les injustices, si l’on se sent bien souvent désarmé·e, nous avons de plus en plus le réflexe de sortir nos téléphones, de filmer, de photographier, de capturer la réalité de ce monde dont on préfère trop souvent nier la cruauté. L’histoire de notre invitée du jour, c’est un petit peu ça. Un été, Alizée Dubois a emprunté du matériel vidéo, regardé des tutos, réservé des billets de trains, appelé des activistes, des scientifiques, des experts juridiques, et s’en est allée voyager à travers l’Europe pour réaliser un documentaire. Ce documentaire, il s’appelle Impunity, et il sort cette semaine. Le but ? Vulgariser et donner à voir concrètement les significations de ce mot qu’on entend de plus en plus : l’écocide.

« IMPUNITY, c’est l’histoire d’une injustice environnementale,

celle de lobbies et d’états qui se croient au dessus de lois …

Le problème ?

… c’est qu’ils le sont.

A travers trois exemples de destructions massives d’espaces naturels, IMPUNITY entend comprendre comment des entreprises ou même des Etats parviennent toujours à bafouer les lois de protection de l’environnement pour mener à bien leurs projets. Des projets qui détruisent la nature, qui déséquilibrent des écosystèmes, qui méprisent la vie humaine et non-humaine. » 

Nous avons reçu Alizée au micro d’Oïkos, à quelques jours de la première d’Impunity à l’Académie du Climat, à Paris, le 29 octobre 2022. 

En espérant que notre discussion vous plaira, et qu’elle vous fera sentir, à vous aussi, ce que nous gagnons à devenir tous et toutes des lanceurs d’alerte, et à veiller, collectivement, à déconstruire l’impunité qui règne sur le vivant. Bonne écoute ! 

La drague des aînés

Par Charlotte Giorgi

Aujourd’hui, un billet sur les jeunes qui bifurquent. Mais surtout, sur leurs aîné·es, qui croient les récupérer au tournant, et récupèrent à la place un véritable choc générationnel. Nous ne voulons plus de votre monde. Gagnez du temps et cessez donc de nous le vendre par tous les moyens.

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            Ces derniers temps, c’est fou de voir à quel point les générations qui nous précèdent nous tournent autour.

            Elles ont besoin de chair fraîche.                                           

            Pour accepter leurs jobs pourris, commencer au lance-pierre et finir au burn-out, comme ça s’est toujours fait, d’une génération à l’autre. Pour se réconforter et faire briller les yeux de jeunes débutants. Pour montrer qu’elles n’ont pas totalement perdu pied, dans ce monde qui passe tout au radar des questionnements.

            Mais notre génération est sceptique. Elle demande mieux. Elle demande pourquoi. Elle demande à voir.

            Elle se fait draguer.

            Les aînés insistent, sûrs qu’ils ont compris les enjeux. Ils acceptent le féminisme, ils acceptent l’écologie, ils acceptent l’éthique, va.

            Ils ne savent pas très bien pourquoi.

            Parce que ça fait jeune.

            Parce qu’engagé est le dernier terme à la mode.

            Parce qu’ils croient nous parler en martelant un nouveau langage, celui de la colère, de la révolte et de l’élan vers un monde nouveau.

            Certains sont sincères. Je l’espère car il en faut.

            Mais pour les autres, quelques slides verts dans les présentations ne suffisent pas à nous faire tomber amoureux. Quelques emojis dans vos prospectus, quelques exemples de vos combats douteux, quelques clins d’œil appuyés ne changeront pas nos perceptions, ne nous feront pas dévier de nos chemins nouveaux.

            Dans le domaine dans lequel j’étudie et je travaille, la communication, rien n’a jamais été plus vrai. Les grosses agences, celles qui exploitent, sont arrivées au bout de leur stock de cobayes.

Elles ne recrutent plus. Parce que la pub n’est que trop rarement alignée avec le monde. Ce n’était pas franchement mieux avant. Sauf qu’avant, le monde s’alignait sur elle. Elle avait raison dans une société qui avait tort. Elle n’allait pas à contre-sens de plein gré. Aujourd’hui, elle ne peut plus avoir raison.

            L’espoir peut souffler un coup. On ne l’a pas encore totalement asphyxié. Des intentions sont formulées, le mouvement général de la société se lit et se ressent. Il nous faut des nouveaux récits, des nouveaux rêves, des nouveaux axiomes de vérité. Notre réalité doit être reflétée, aidée, supportée. Pas enjolivée, ni démolie, ni éloignée par la narration dont on l’enrobe.

            Mais les sbires s’acharnent. Ils nous disent vive l’écologie, vive le féminisme.

            Puis qu’ils n’ont pas le choix. Que sans ça, sans cette responsabilité fondamentale des entreprises, le profit ne rentre plus. Ah. C’est donc ça, qui anime, encore, toujours, sous des formes diverses. C’est sur ce principe indéboulonnable que l’on plaque n’importe quel reste. Les combats sociaux sont des vitrines. Des moyens.

            C’est parfois déprimant, souvent risible, cet engagement à côté de la plaque, ces raisons qui contredisent leurs propres intentions. C’est la fin, qui a changé. Les moyens les accompagnent. Mais sans la fin, il n’y a pas de changement, il n’y a pas de transformation : il y a des ajustements ridicules.

            Comme dirait une prof à moi : « dans la com’, on est éclairagistes, pas maquilleurs. » Nous ne sommes pas formés à mentir, travestir la réalité, faire miroiter des fantasmes utopiques. Vous ne pouvez plus nous demander cela, de verdir et d’être votre caution « jeunesse engagée », alors que nous envoyons sciemment l’écologie ou le reste se faire foutre pour des bénéfices. Nous voulons exercer nos métiers, proprement, éthiquement, dignement.

« Mais l’entreprise en a besoin pour fonctionner ». L’entreprise a besoin de bénéfices. Oui. Pour assurer son fonctionnement.

            Le reste, le supplément apporté par le mensonge et les crimes d’imaginaires, pour quoi faire ? Grossir, « scaler » comme on dit ? Investir dans plus plus plus ? Croître ?

            Les moyens, sans fin. La destination est inconnue, mais allons-y à grandes enjambées.

            Je voudrais vous dire : notre génération a jeté un coup d’œil du côté de la ligne d’arrivée. Là-bas, il y a des genres de Picsou auto-satisfaits, aux process clairs et aux chemises propres. Mais il y a aussi la fin du monde. Ouais. Genre, la mort de l’humanité. Quelque chose comme ça, qui fait tout de même vaguement réagir.

            Nous avons sauté de votre avion avant le crash, et je suis fière de ma génération.

            La vôtre, sous ses grands airs de startup nation, est une trouillarde hallucinante, qui se trimballe dans le monde l’arme tournée vers elle-même. Vous faites tout pour les mauvaises raisons.

Mais peut-on vraiment faire nos métiers de manière propre ? Devenir un encart publicitaire,dans tous les cas, est-ce compatible avec nos idéaux ? Ou les métiers de la communication sont-ils voués à disparaître ?

Je crois à la métamorphose. Je crois au renouveau du sens, de la fin au-delà des moyens. Les métiers de la communication sont utiles. Pour faire lien. Pour porter aux yeux du monde les initiatives sincères, les démarches qui font du bien à ce futur dans lequel nous avons tant cranté. Oui, pour ouvrir des plateformes de discussion, de réflexion, d’élans. Pour amener sur la terre ferme les messages qui ordonnent le nouveau monde, le rendent sensible, palpable. Oui, pour imaginer, faire de l’art, créer.

La fin a changé, la fin de l’histoire, aussi.

Ils ne recrutent plus.

Pas parce que les métiers s’éteignent et que qu’ils en sont les sauveurs ultimes.

Parce que leurs métiers se transforment et qu’ils en sont les fossoyeurs imbéciles.

Ils ne recrutent plus. Tant mieux, nous on bifurque.

Motus passe en mode été

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Nous voici déjà en juillet, et comme vous le savez sûrement, la production de Motus va ralentir pendant l’été, avant de vous retrouver en pleine forme en septembre. Une petite trêve estivale bien méritée, parce que le repos, c’est le nerf de la guerre ! On espère que vous pourrez aussi profiter de ces mois ensoleillés pour recharger vos batteries. Rendez-vous début septembre pour retrouver nos publications hebdomadaires de billets et podcasts. En attendant, des rediffusions sont programmées tout au long de l’été sur notre podcast Oïkos pour redécouvrir des épisodes emblématiques de la saison 1, et vous pouvez nous rejoindre sur les réseaux sociaux (@motuslemedia) pour continuer à échanger dans les semaines à venir. Partages de recommandations, poésie et rêveries seront au programme. Au fait, ce site va être légèrement remanié au cours du mois de juillet, pas de panique ! 😉

On vous souhaite un excellent été ❤

La team Motus

LA RUE PARALLÈLE

· TROIS ANS APRÈS LE COMING OUT·

            Je marche sans m’en rendre compte, dans la rue parallèle. La rue parallèle. De l’autre côté, il y a la Pride, qui bat son plein, sans moi. Où sont passées mes revendications, mes quêtes ? Que sont-elles devenues, trois ans après mon coming out ? Où est ma place, dans la rue parallèle ?

            Rembobinage. Zliiiup. 2019. Questions. Réponses. Surtout réponses d’ailleurs.

            Il y a trois ans je me suis rendu compte que je savais. Que j’avais toujours su. J’ai découvert que certains voient un problème là où je n’en ai jamais eu. Que certains ploient sous les normes que j’ai toujours piétinées sans en prendre conscience. J’ai exploré cette force-là, au moment où j’ai su que c’était une force. J’ai décidé d’en faire un étendard, comme tant d’autres l’avaient fait avant moi.

            J’ai voulu aller plus loin. Que tout ça me définisse. Que tout ça m’aide à regarder le monde en courbant les lignes, en tordant les horizons, en prenant tous les angles, tous les points de vue. J’ai voulu le vivre dans ma chair, j’en ai eu besoin. J’ai voulu que les gens sachent, tous, la signifiance de cette expérience-là, aimer les femmes.

            La signifiance, c’était aussi et surtout, pouvoir se passer allégrement des hommes. Ceux – car oui moi aussi j’ai cette fâcheuse tendance hystérique à tout généraliser – qui m’ont meurtrie, utilisée, salie, dépouillée, abîmée. L’importance de la déflagration n’était pas juste intime, elle était en cela profondément politique : par le biais de nos expériences personnelles, le tissu de nos relations, nous pouvions rendre possible un autre monde, une autre manière d’exister qui se connecte si facilement avec tous les combats qui m’étaient – et me sont toujours – si chers : féminisme, écologie, bref les déviances aux systèmes de domination qui nous entravent et nous déterminent si mal. Queer, le mot est devenu un échappatoire.

            Les femmes sont des femmes sans les hommes, sans leur miroir déformant, et leur besoin d’être nécessaires.

            Ensuite, j’ai été presque déçue que cette révolution, intellectuelle, théorique, ne provoque pas de révolution dans mon entourage, dans ma vie. J’avais le privilège de m’en foutre et je n’en voulais pas. Je voulais marquer le coup, me distinguer de la vie d’avant : non, rien n’était pareil, j’avais compris tant de choses, je m’étais appliquée à sortir de ma zone de confort, à aller confronter mes idées au réel, à mettre mon corps au service d’une liberté, d’une émancipation qui aurait du tout ébranler.

            Mais c’était un non-sujet, et je n’ai pu qu’écrire dessus pour le faire en devenir un.

            Mon coming out, c’était bizarre. Comme dire quelque chose qui se sait déjà, ou qui n’a pas besoin d’être énoncé avec tant de véhémence. Pourquoi t’acharnes-tu à en faire une revendication ?

            J’ai écrit « je m’excuse pour le bruit » pour tenter d’y répondre. Suis à peu près sûre de ne pas y être arrivée.

« Parce qu’à l’extérieur, nos intérieurs sont verrouillés. Pas par les lois ou les règles tangibles, mais par le monde des méduses, qui se déploient sans dire un mot, étendent des toiles d’araignées au-dessus de nos têtes, étouffant les désirs non cadrés, les pensées insolentes, les discours mal calibrés. Parce que partout et tout le temps, vous existez par-dessus nous sans le remarquer.  Le système -encore lui- est un grand parapluie qui fait ricocher nos parcours alambiqués. On se fracasse sur lui, alors excusez-nous de faire du bruit, au milieu de votre brouhaha. » – 2021

            Ensuite, les autres sont arrivés. Les autres coming-out. D’autres m’avaient ouvert la voix, donné les clefs, ils et elles avaient accepté les discussions interminables, le besoin d’exister avec l’étiquette collée sur le front. Inévitablement, j’ai aussi tenu la porte à d’autres. Les autres se sont multipliés autour de moi : les femmes aimaient les femmes, elles s’aimaient presque toutes, au point où j’en étais rendue à me dire que la terre entière était homosexuelle. Après tout, pourquoi pas ? Si l’on avait ce potentiel amoureux déployé différemment selon chaque personne, et qui s’exprime partout sans normes une fois que les chapes de plomb ont été retirées ? Pourquoi pas ?

            J’en sais rien. Personne n’en sait rien. On patauge, tous et toutes. Globalement, je m’en sors assez bien. Pas mal de questions subsistent, mais elles m’intéressent sans m’écraser.

            Peu à peu, l’apaisement. La fin des turbulences.

            Petit à petit, j’ai repris l’ombre. J’ai repris l’ombre d’abord parce qu’un homme m’a fait, encore une fois, me précipiter dans le patriarcat que mon cœur contient encore, et que je ne me sentais plus raccord avec rien.

            J’ai repris l’ombre aussi parce que j’ai compris la disgracieuse place que je prenais et qui n’était pas forcément la mienne, plus forcément la mienne. Celle de privilégiés qui parlent par-dessus ceux qui souffrent et revendiquent par ultime nécessité davantage que par bouleversement intime. Ça ne délégitime pas mes combats, mes amours, et ma manière de faire partie, depuis mon petit siège, de la communauté queer – par expérience personnelle, mais surtout par une affinité politique qui dépasse tout cet affect propre. Mais ça m’oblige à les ranger en arrière-plan, en soutien à celles et ceux qui ont besoin de cet espace pour vivre – et survivre.

            Je suis fière. Du chemin parcouru, de nous, de vous. De ce qui s’invente, s’écrit et prend la place chaque instant. Différemment. Avec des évolutions, des allers-retours, des tâches d’encre.

            Erreurs, tâtonnements et espoirs.

            Je suis fière.

JE T’EN VEUX

·Pour un bilan absolument subjectif de l’année électorale·

            Après une année électorale pleine de si peu de rebondissements, étranglée entre de fins espoirs et les possibilités de déroute, les élections législatives clôturent cette séquence peu alléchante de nos vies citoyennes. Avec l’impression d’avoir globalement fait du surplace, mais en pire, si c’est possible.

            Le président est le même, si ce n’est qu’il ne cache plus ses ambitions droitières derrière un paravent d’hypocrisie et que nous savons à quoi nous attendre (un rien qui fait du mal). À l’Assemblée la gauche grappille des sièges à la majorité présidentielle sans qu’on puisse parler de vague et sous l’effet levier d’une alliance qui n’aura pas attendu deux jours pour éclater. Le RN de Marine Le Pen, lui, multiplie son nombre de députés par dix. Dernier protagoniste, l’abstention, qui reste la gagnante de ces élections, d’autant plus problématique qu’elle l’est de loin. Dans ma tranche d’âge, les 18-24 ans, nous sommes plus de 70% à ne pas nous être déplacés, et ce malgré des thématiques médiatiques légèrement plus respirables que celles imposées par les droites pour le temps présidentiel, avec l’élan impulsé par la NUPES dans le débat public.

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            La canicule avait pourtant envahi les bureaux de vote. Suivie de peu par des tempêtes inattendues et des grêlons gros comme des balles de golf. Tout ce qui était prévu arrive, et a même de l’avance. Mais rien ne change, au point où le dire devient presque un manque de style : les plus vieux votent, et ils votent massivement pour tuer les jeunes. Les jeunes, qui eux, ne votent pas, pris d’apathie, d’impuissance, de désespoir, d’indifférence, je ne sais pas – j’ai l’impression de si peu les connaître et pourtant force est de constater qu’ils font aussi partie des gens qui me condamnent.

            Ces derniers temps pour la première fois, j’ai vraiment ressenti la peur. La peur des choses impalpables qui tombent soudain dans le présent avec le fracas de la réalité tangible, la peur des choses qu’on ne peut plus ignorer et dont on se sent progressivement perdre la maîtrise de manière irrévocable. Et c’est pourquoi j’ai de plus en plus de mal à ne pas sombrer dans la haine. Dans une colère mal calibrée, qui s’exprime souvent à l’encontre de ceux qui dirigent, écrasent et oppriment, mais qui, cette fois, a l’envie malsaine de se jeter sur ceux qui n’ont pris aucun rôle dans le déroulement des drames. Ceux qui laissent faire, ceux qui s’en fichent – pour des raisons que n’importe quel sociologue m’expliquera bien, mais que je me refuse à entendre, juste aujourd’hui, parce que j’ai besoin de bouc émissaire et de petit plaisir coupable.

            Alors oui, je t’en veux. Je t’en veux, à toi le faux révolutionnaire avachi dans des principes flotteux qui a déclamé ta haine de la politique institutionnelle pendant toute la séquence pour prouver ta chevalerie antisystème et participer au pire.

            Je t’en veux à toi, jeunesse idiote dont je fais si souvent partie, qui se targue d’être une génération engagée mais qui abdique au moindre obstacle, qui choisis tout selon l’égoïsme utilitaire, et qui se vautre dans le privilège de s’en foutre dès que tu as fini de fustiger ceux qui te précèdent.

            Je t’en veux à toi, adulte impassible, vieillard réactionnaire, dont je ne suis même plus surprise de l’indifférence meurtrière, qui réussis à croire qu’un extrême qui réclame la hausse des salaires ou le droit de ne pas se faire tuer pour un refus d’obtempérer vaut autant que le fascisme, le sexisme et ceux qui bloquent les frontières aux réfugiés que tu soutiens pourtant lorsqu’ils sont ukrainiens.

            Je t’en veux à toi, militant qui n’en a que le nom, qui joue avec ton haut parleur et tes tracts et t’endors tranquille après avoir parlé à des convaincus qui te ressemblent, lançant tes #folloforfollowback sur Twitter histoire de resserrer encore un peu la bulle d’entre-soi dont tu n’as décidément pas franchement envie de sortir.

            Je t’en veux à toi, responsable politique dont je ne dirai même pas le bord tant les pratiques se ressemblent, qui, avec les 156 salariés de ton équipe de com’ n’est même pas foutu de parler une langue qui dit des choses, t’associe aux mots creux que tu voulais combattre, et te complais dans ton costard parce que c’est devenu la norme, se complaire. Toi qui ne fait rien d’autre qu’aggraver le fossé en pensant narcissiquement que tu pourrais le reboucher, déconnecté comme tu l’es.

            Je m’en veux aussi, parce que d’abord la colère quand elle jaillit n’épargne personne, et parce qu’on entend toujours plus fort les défauts des autres lorsqu’ils sont aussi les nôtres, nos carences, nos fautes, nos négligences.

            Mais surtout, surtout, j’en veux aujourd’hui à toutes les personnes qui pensent que certains aspects de la lutte pour un monde écologiste et socialement juste ne valent pas la peine. J’en veux à ceux qui croient qu’il n’y a qu’un chemin et qui méprisent les autres. J’en veux à ceux qui veulent rester secs de toute souillure idéologique au-delà de la cohérence et bien davantage pour l’image qu’ils sont persuadés de donner d’eux-mêmes.

Non. Nous n’avons plus le luxe de cracher dans la soupe. Chaque interstice de reprise de pouvoir, chaque brèche d’alternative, chaque idée d’opposition au système qui tue doit être investie. Ceux qui les entravent ou les ralentissent ne sont pas seulement coupables, ils sont aussi profondément bêtes.

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DESCENDRE AUX ENFERS

· ENTREPREUNARIAT·

            J’ai mis du temps à dire que j’étais entrepreneure. Que je naviguais dans la jungle de l’entreprenariat. J’ai mis du temps à le dire parce que je suis aussi militante. Parce que je suis aussi anticapitaliste. Parce que je suis aussi engagée, pour le dire de façon plus polissée. Et que pour beaucoup d’entre nous, l’entreprise, c’est un peu le diable. Le petit engrenage qui fait fonctionner tout le système.

            L’entreprise, c’est ce qui nous piège dans une version marchandisée de la vie, celle qui cherche à nous prendre le plus de temps possible tout en nous payant le moins cher possible. Celle qui capitalise sans raison, qui investit sans éthique, qui pressurise avec indifférence, qui hiérarchise sans résultat, qui enchaîne à la corde du salariat. Celle qui ment pour son profit. Celle qui tue pour son produit.

            Bref, une cible de choix pour tous les antisystèmes dont je fais partie, facilement caricaturable en une seule et même espèce d’entité nuisible au bon développement de notre progressisme révolutionnaire.

            Et comment nous blâmer, quand dans les meilleures écoles du monde, on entend que la croissance est le but intrinsèque d’une entreprise, que les plus grosses sont forcément celles qui ont réussi leur pari, quand on étudie de manière indifférente les plus gros pollueurs de la planète et la dernière start up créée par une influenceuse à la mode. Comment nous blâmer alors que sur les plus grosses émissions dédiées au sujet, on entend qu’on ne fait pas ça pour l’argent puis deux minutes plus tard que l’ambition est purement et simplement de racheter la concurrente d’un autre marché pour agrandir le nôtre. Comment nous blâmer quand les posts LinkedIn complètement creux et bourrés d’anglicismes ostentatoires pullulent sur les profils des entrepreneurs les plus suivis, quand il faut accepter la compromission de nos valeurs les plus chères si l’on souhaite réussir, quand les nouveaux indépendants promeuvent un mode de vie absolument daté, quand on entretient une dépendance accrue à la technologie et au système libéral qui nous fait tant de mal, quand on est contents d’avoir fait tout ça pour finir par consommer dans les entreprises qui forment le modèle de réussite absolue (facile, quand tuer et asphyxier hommes et nature font partie des choses qu’on peut se permettre sans ciller), quand dans toutes les bouches on glorifie le sacrifice, quand on rit des burn out comme s’ils étaient le passage obligé de tout entrepreneur qui se respecte, quand tout ça se mêle à une grande cacophonie gouvernementale qui valorise chaque galère indépendante comme une alternative efficace au chômage, sans prêter attention à la viabilité des projets, à leur autonomie et dignité de revenus.

            Comment mettre un pied là-dedans sans avoir l’impression d’arriver au cœur de l’enfer que l’on combat ?  

            Oui, le monde de l’entreprenariat, c’est ça. Un monde enlaidi par les caprices d’une époque qui n’en finit pas de s’autosaboter.

            Mais j’ai toujours entendu ma mère dire ça : « mon grand-père avait une épicerie. Elle tournait bien, il connaissait ses clients, ses produits et fournisseurs étaient de qualité, il a toujours eu la même, toute sa vie. Il n’a jamais eu besoin de s’agrandir, de grossir, d’empiéter sur les autres, de créer un monopole qui tue et prospère seul et sans but. »

            Et pour moi, qui ai 23 ans tout juste, l’entreprenariat, c’est aussi échapper au contrôle d’un patron, décider en autonomie de mon temps de travail et l’adapter le plus sainement possible au rythme de mon corps, de ma tête ; faire ce qui me plaît, croire que ma passion et mon travail méritent une juste rémunération et les imposer sur le marché, participer à établir des relations nouvelles et horizontales avec toutes les personnes avec qui je collabore, affirmer qu’une femme n’a besoin de personne pour créer, montrer que si besoin il y a de s’émanciper des carcans des vieilles industries, il y a des chemins pour le faire.

            Le but n’est pas de gagner mon argent pour me ruer sur la consommation comme un dû au vieux monde, partie intégrante d’un cercle vicieux. Il s’agit de paramétrer ma vie de façon à ce que je puisse décider de consacrer tout mon temps à ma passion – l’écriture et l’expression dans un cadre plus large, deux choses qui se mêlent d’ailleurs à mon militantisme. Pour cela, et dans le monde tel qu’il existe actuellement, il me faut un flux de revenu pour survivre. Et je considère, et c’est une forme de militantisme, que toute ces heures passées à créer contribuent à la société et lui apportent autant que ce qu’apportent les artistes qui bénéficient du statut d’intermittence, ou les salariés des ONG dont personne ne s’offusque qu’ils désirent gagner leur vie.

            Dans mon cas et beaucoup d’autres, l’entreprenariat n’est pas une liberté à employer n’importe comment ou le privilège gagné d’être parmi ceux qui embauchent et dirigent. Ce n’est pas le prestige des articles de presse qui caressent les « girl boss » dans le sens du poil en nous vendant un féminisme falsifié. Ce n’est absolument pas, non plus, la volonté d’être une nouvelle « leader » au « management » super « smart ». Qui a intérêt à être cheffe des armées pendant un combat qui consiste à scier la branche sur laquelle nous sommes assis ? Personne, il me semble.

            Entreprendre. Pour moi, il s’agit tout simplement de reconfigurer le monde, ici et maintenant, pour le forcer à coller au plus proche des exigences morales et éthiques que notre génération nourrit avec justesse.

            Je n’ai aucune envie que mon moyen de subsistance et de plaisir alimente un système qui broie, et je ne ferai rien qui demande de sacrifier cette exigence éthique. Alors si je « descends aux enfers », c’est parce que, profondément, je crois qu’il existe d’autres manières de faire, que oui, elles peuvent fonctionner, et qu’il y a un besoin urgent de gens pour les porter.

HORS SUJET

            Blanche, blonde aux yeux bleus, étudiante à Sciences Po, grandie en banlieue parisienne, française. La question d’être un pilier du système dans lequel nous vivotons s’impose à moi, que je le veuille ou non, que je le souhaite ou non, que j’en ai honte ou non. Le reste des gens s’en tamponnent, que ça me fasse des nœuds au cerveau. La question du système n’est pas posée à moi, elle est intrinsèque à qui je suis. J’ai été tentée un moment de m’en extraire, de rompre. Avant de constater que cette rupture est 1) impossible 2) inefficace. Quoi que ma petite conscience égoïste veuille prouver, les privilèges dont j’ai hérité par le plus ou moins hasard d’une naissance sont assez indélébiles. Faire croire qu’on peut s’en débarrasser par une belle idéologie politique est une farce qui ne fait du bien qu’à nous.

            En même temps, (oups, vous me pardonnerez cette locution alors que je suis en plein discours sur la bourgeoisie), je n’ai jamais trop été fan non plus du délire « faire imploser le système de l’intérieur ». Cette ambition d’agent double m’apparaît plutôt comme le seul truc qu’on ait trouvé pour se sentir à la fois douillettement protégé par les digues de ce système et utile à la grande cause dont on se fait croire qu’on est un soldat fidèle.

            Je crois qu’en vérité, l’endroit où nos consciences sont sincères et nos actes utiles à la réalité (et non pas juste à l’alimentation de nos egos en manque de chevalerie), se trouve quelque part en équilibre. Que cet endroit dépend de nous, de nos conditions, de nos capacités à résister à l’aspirateur de nos privilèges qui en appellent d’autres, et aussi, à repérer les pièges d’un militantisme inscrit dans le système qu’il dénonce. C’est une tâche ardue, ingrate, qui consiste globalement à éviter la trappe idiote de la facilité.

« Là où manque la pensée prospère la morale », écrit Bégaudeau. C’est un bon résumé.

            Prenons un exemple. L’exemple, c’est lorsqu’on considère que l’union fait forcément la force. C’est lorsque que l’on pense qu’une entreprise capitaliste (j’entends par là dont le but est l’accumulation de capital sans aucun autre objectif que l’agrandissement, l’étalement, le plus pour le plus) , polluante, ou antiféministe jusqu’à l’os, ou toutes sortes d’autres qualificatifs qui vont avec le fait de n’avoir que les profits comme boussole morale ; qu’une entreprise comme ça donc, pourrait apporter quoi que ce soit à lutter contre le plastique, ou la précarité menstruelle, ou n’importe quoi d’autre. Pourquoi pas ? Plus on est de fous plus on rit, non ? Et puis sur ces sujets là… L’union fait la force, pas vrai ?

            L’union fait la force c’est l’apanage des dominants. L’union se fait autour de leur réalité, les concessions se font aux extrémités, leurs messages à eux ne perdant rien de leur contenu, tandis que la marge doit se taire pour que le message passe. Céder au compromis pour obtenir gain de cause. En oubliant que justement, l’obtention s’arrêtera aux limites du système, et que le gain n’est jamais et ne sera jamais vraiment celui de sa cause. C’est la paix achetée par le système, même pas achetée, donnée par ceux qui acceptent un genre de chantage affectif.

Pendant le temps qu’on lui laisse à grands coups de compromis, le système récupère. Il assimile vite, il accepte les idées tièdes parce qu’elles ne lui coûtent rien et qu’il y gagne. Il se peint en chantre des temps modernes sans ébranler une seule fondation du monde qu’il faudrait combattre.

            J’ai mis longtemps à clarifier ma pensée : oui il faut débattre, oui chacun a la vitesse qu’il a pour construire son chemin, son engagement là-dedans, oui c’est vrai. Mais je suis bien placée pour vous dire que là-haut rien n’est gratuit parce que la gratuité n’existe pas, et que l’engagement est un argument marketing. Les arguments marketing, c’est du sérieux là-haut, on ne déconne pas avec ça. Mélangez ça à une crise égotique, le besoin très narcissique de sauver le monde, ou de prouver quelque chose à Dieu ou n’importe qui d’autre, le mélange obtenu n’est pas très sain. Après, le but est de convaincre, d’attraper avec les mots, d’enrouler dans la pensée bien dite. D’insister sur le fait de ne pas se vexer si l’on s’arrête au ras des pâquerettes et qu’on ne creuse pas pour chercher les racines. Le reste, c’est nous qui le faisons en croyant à leurs mérites, en se laissant tenter par le beau côté de l’histoire, et en oubliant qu’une fois de plus, il n’y a que nous qui fassions des vraies concessions.

            Oui cheminer, chacun sur notre route, chacun avec nos contradictions et nos dilemmes, mais arrêter d’encenser les actions qui ne mènent à rien. Car elles ne mènent pas à rien : elles décousent ce que nous nous évertuons à tricoter, elles justifient l’absurdité, elles approuvent et banalisent le vide.

Le système se nourrit de ces incohérences que nous laissons passer.

            Une initiative contre la précarité menstruelle par une entreprise qui pratique toujours une bonne dose de TVA sur ses produits menstruels, un homme qui parle des femmes en les ayant agressé, Total qui fait de l’écologie. Non ce n’est pas toujours ça de pris.

            C’est simplement hors sujet.