Voyageur·euse ou serial killer·euse ? 

Par une voyageuse heureuse

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure. Sans compromis, elles vous entraînent dans les pensées de la jeunesse d’aujourd’hui, celle qui repeint l’époque à son image.

Décidément, la pandémie mondiale a fait pas mal de remue-ménage, surtout dans certains secteurs comme celui du tourisme. Alors que le tourisme de proximité – voyager moins loin et avec des transports plus propres – s’est démocratisé, l’éternel débat de l’avion leader pollueur reste dans les esprits.
Je me suis lancée dans le secteur du tourisme, car le voyage a toujours fait vibrer mon coeur. Ecoféministe depuis quelques années maintenant, j’ai torturé mon esprit des heures durant afin de repenser voyage et avion. En tant que professionnelle du tourisme, je souhaitais aborder avec vous cette question. 

Alors, si on en parlait, de l’avion ?

D’après de nombreuses études, le secteur aérien équivaudrait à 2% des émissions de gaz à effet de serre en France. Si peu ? Les vols internationaux ne sont généralement pas pris en compte, ce qui donne l’impression que, finalement, prendre l’avion ce n’est pas si grave. Oui mais non. Selon le Reporterre, ”en 2018, plus de la moitié des touristes internationaux qui ont franchi une frontière l’ont fait en avion.” Sans surprise, c’est le seul moyen de transport pour passer d’un continent à l’autre. Les transports sont d’ailleurs le premier poste touristique émetteur de GES (Gaz à Effet de Serre), suivi par l’hébergement. À partir de ces constats, il est temps de se poser la question suivante : lorsque je prends l’avion, suis-je un·e voyageur·euse ou un·e serial killer·euse ? 

Alors, voyageur·euse ou serial killer·euse ?

En vue des éléments exposés, tout pousse à croire que prendre l’avion, c’est détruire la planète à petit feu… Pierre Périer, sociologue français, a catégorisé les membres des classes populaires qui ne partaient pas en vacances et a découvert que « des familles populaires qui vivent dans des petites maisons, d’une économie liée à la vie rurale, au potager, au bricolage et qui sont attachées à ce que le temps soit utilement utilisé » ne souhaitaient pas partir en vacances. Dans un monde où l’on capitalise chacune de nos actions, dont celle de partir en vacances, la possibilité de refuser de partir pour profiter plus sereinement de son temps est réalisée par certaines familles françaises qui souhaitent revenir à l’essentiel. 

D’après Rodolphe Christin, le fameux écrivain et sociologue connu pour son oeuvre Le Manuel de l’antitourisme : “On a beaucoup parlé de honte de prendre l’avion mais cette réflexion sur les transports n’est pas une remise en question fondamentale du modèle, seulement une adaptation qui vise à faire croire qu’on va pouvoir faire du tourisme avec un impact moindre. C’est illusoire. Pour diminuer l’impact du tourisme, il faut moins de tourisme. » 

Néanmoins, diminuer le tourisme soulève la question de la rentabilité, et donc de l’économie touristique. Sans entrer dans une vision capitaliste du tourisme, il y a une réelle question sociale. Le secteur touristique représente aujourd’hui 9% du PIB (produit intérieur brut) mondial et embauche des millions de personnes. Le tourisme fait vivre des pays qui en sont fortement dépendants comme le Bangladesh. Refuser de partir loin, ce serait donc, indirectement, mettre en péril l’économie de  certains pays. Alors que certain·e·s activistes ont changé leur mode de vie et ont opté pour “une mobilité plus conviviale », hors des vacances, dans le but de “partager des luttes et des prises de conscience.” (Rodolphe Christin). Bémol, cette nouvelle vision du tourisme favorise des hébergements gratuits (chez des proches, woofing, etc.). Coup dur pour l’économie touristique. 

Tunnel sans fin ou renouveau à l’horizon ?

Il me semble qu’aujourd’hui, le virage des professionnel·le·s du tourisme est imminent. Il n’est plus question de désigner l’avion comme unique cause du réchauffement climatique, ce n’est qu’une problématique parmi tant d’autres. La solution est de revoir nos modes de consommation touristique et nos imaginaires quant au tourisme. Bien que les voyageurs·euses se tournent peu à peu vers un tourisme plus responsable, certain·e·s professionnel·le·s sont encore à la traîne. Alors qu’une grande majorité des OGD (Organismes de Gestion de Destination) placent le développement durable au cœur de leurs actions, les tour-opérateurs (entreprises qui organisent des séjours touristiques) n’ont pas tous eu le déclic. Voyages tout compris pour deux semaines à 2000€ ou comment consommer à outrance sans raisonnement (je vous conseille de lire ma chronique précédente “Sommes-nous déconnecté·e·s de nos racines” pour en apprendre plus sur le sujet). Une chose est sûre, ce sont aux professionnel·le·s B2C (business to customer soit les professionnel·le·s en relation directe avec les touristes) de construire des offres touristiques plus durables. Et pour des conseils pour voyager de manière plus durable, rendez-vous le mois prochain pour la prochaine chronique !

Sources :

https://www.icao.int/Newsroom/Pages/FR/Solid-passenger-traffic-growth-and-moderate-air-cargo-demand-in-2018.aspx

https://ecosociete.org/livres/manuel-de-l-antitourisme