Il y a quelques jours, un militant « écolo » bien connu du grand public est allé débattre sur le plateau de Valeurs Actuelles, un journal qui mérite davantage le nom de torchon raciste et conservateur, pour un évènement en live. S’en est suivie une polémique. Encore heureux.

Ce qui était à craindre et qui prenait une forme opaque et difficilement dénonçable il y a quelques temps est maintenant bien palpable. Ce dont j’ai peur. Cette conviction, cet instinct : les pires ennemis de l’écologie politique que nous tentons– peut-être maladroitement – de porter dans le champ public ne sont pas les climato-sceptiques. Celles et ceux qui nous mettront des bâtons dans les roues ont l’air inoffensif, et se disent aujourd’hui, eux aussi, « écolo ». Ils dessinent très clairement le contour de leurs idées en traversant des lignes rouges, et aussi inconfortable que cela puisse paraître, nous obligent à choisir un camp de manière limpide.
Oui, vous avez raison. Nous, militants écologistes, ne parlons pas à tout le monde. Oui, vous avez raison, une grande partie d’entre nous est complètement déracinée d’une population avec laquelle nous avons intérêt à dialoguer, et entretient une bulle homogène que nous avons du mal à éclater quand certains ne le souhaitent même pas. L’écologie est la matrice des problèmes de notre temps et c’est bien ça qui, du même coup, rend l’éclatement de notre bulle indispensable, et nous oblige à y poser des conditions pour ne pas contredire les fins avec les moyens.
Rien ne sert de nier ce constat d’entre-soi bourgeois que constitue encore l’écologie politique. Lui donner du crédit et chercher à s’en dépêtrer ne veut absolument pas dire justifier les pires idioties sous ce prétexte. Faut-il une écologie populaire qui casse enfin ce cadre bourgeois qui tourne en boucle sur lui-même ? J’en suis convaincue. Faut-il parler à tout le monde ? Absolument pas.
Mais notre mouvement paye les conséquences d’une trop longue séparation dans le discours entre écologie et social, et d’une trop longue série de guignols s’emparant du zéro-déchet en délaissant le reste, de mollusques vides détestant les jeteurs de mégots mais ne voyant aucune nécessité au fait de s’opposer frontalement à des racistes.
Parce que oui, quelque chose de plus grave qu’un entre-soi bourgeois – aussi structurant qu’il puisse être – nous plane au-dessus du crâne et ne va pas tarder à s’y écraser comme une chiure de pigeon. Elle tient dans une phrase, prononcée par Hugo Clément venu se défendre de son intervention sur France 5 : « il faut faire en sorte que l’écologie dépasse les clivages partisans ». Elle illustre le problème auquel nous sommes confronté·es, en partie par notre propre faute : la compréhension de l’écologie et sa médiatisation se sont faites autour d’un consensus scientifique, vidé de toute substance politique. Le but de cette écologie « apolitique » est de sauver la planète, cette formulation aussi bêtement simpliste que répandue sur toutes les lèvres.
Le problème, ce n’est pas « sauver la planète ». Le problème c’est de rendre tout le reste accessoire. Le problème c’est que dans le terme « sauver », il y a la notion d’une bonne et d’une mauvaise réponse. Il y a celles et ceux qui sauvent la planète, et ceux qui ne le font pas. Aucune mention des modalités de ce sauvetage. Aucune mention de ceux qui sauvent la planète par endroits pour protéger leurs propres fesses et s’enfermer dans des bunkers quand tous les autres surchauffent, aucune mention de ceux qui sauvent la planète et en profitent pour mettre en place une idéologie réactionnaire, fasciste, autoritaire ; aucune mention de ceux qui sauvent la planète et tuent ses habitant·es.
Nous ne sommes pas face à deux possibilités, sauver ou ne pas sauver la planète. Nous sommes face à de nombreuses options, dont certaines, ne nous-en déplaise, sont celles d’une écologie d’extrême-droite dangereuse.
Il est un peu trop facile de tout justifier sous couvert d’un sauvetage qui ne veut rien dire. Penser qu’on peut encore ne pas préciser ce que l’on met derrière pour atteindre le plus grand consensus possible n’a aucun sens et relève d’une puérilité politique qui frôle le ridicule. Être écolo en 2023, ne veut rien dire sans précision. Ce que les gens entendent, c’est que Total, société pétrolière, prend un tournant écologique, que le gouvernement qui mutile des militant·es à Sainte-Soline est impliqué dans la transition écologique, que Marion Cotillard est une grande écolo, que Valeurs Actuelles peut organiser un débat sur le sujet. Que dans notre propre « camp », on puisse considérer que l’écologie ne peut pas être portée par ces gens importe peu : c’est ce que les gens entendent, ce qui est de plus en plus audible sur le terrain médiatique. Dire que l’écologie d’extrême-droite n’existe pas n’est pas plus pertinent. Elle existe, qu’on le veuille ou non. Et c’est précisément pour cela qu’il est nécessaire de montrer qu’elle n’est pas anodine, et de s’en différencier de manière absolue.
Aller débattre sur les terrains de cette extrême-droite, dans les endroits où leur pouvoir est écrasant, c’est légitimer cette forme d’écologie parmi d’autres, même si c’est pour la contredire. Le faire, en mettant de côté le reste de l’idéologie et en ayant certaines sorties comme « je vous entends beaucoup parler de combat civilisationnel : vous ne pourrez pas le mener si le dérèglement climatique s’accentue » c’est créditer les discours racistes. Si quelques personnes à qui la bulle bobo ne parlait pas sont convaincues dans l’auditoire, de quoi seront-elles convaincues exactement ?
Elles seront convaincues que leur idéologie nauséabonde, violente, épidermique et tristement historique est une forme d’écologie intéressante.
Je crois qu’on a assez toléré, sous prétexte d’un besoin de « prise de conscience », les imbéciles qui prétendent se détacher de tout pour réunir au-delà des clivages idéologiques. L’écologie est un clivage idéologique : elle nous oblige à revenir aux racines des problèmes, si tant est que l’on soit un peu sérieux. Parmi elles : le racisme, le colonialisme, le patriarcat (oui, il faut le marteler même si les gros mots sont inconfortables et surtout quand ils le sont). Autant de choses que l’extrême-droite contribue à renforcer. Que ses partisans fassent pipi sous la douche, pardon, mais paraît assez insignifiant, en regard.
La crise écologique nous oblige à réfléchir à l’organisation fondamentale de notre société. Car sauver la planète, il est un peu tard pour le faire. Le dérèglement climatique a déjà atteint des seuils gravissimes, et nous devons dès maintenant penser à ce que cela implique très concrètement : cela veut dire appréhender les guerres de ressources (pour l’eau, par exemple, à tout hasard), les tensions sociales, la tentation autoritaire pour faire appliquer certaines mesures, l’accroissement des inégalités. S’il faut encore prouver qu’il n’existe pas une seule écologie comme une puissance divine au-dessus des clivages partisans, c’est à ça qu’il faut penser. Qui veut-on voir au pouvoir en cas de crise ? Comment veut-on que ce pouvoir soit organisé ? Qui veut-on protéger en priorité ? À quelles questions devons-nous répondre dès aujourd’hui ?
Si un « écolo » pense que l’organisation de la société en termes politiques ne fait pas partie de la question, alors c’est qu’en revanche il fait bien partie du problème.
Comment réagira un RN quand l’eau viendra à manquer ? En en privant les quartiers où vivent des populations immigrées ?
Comment ne pas voir que la différence de réactions aux crises écolos n’est pas un détail mais une fin, celles qui mettra en avant une guerre identitaire de repli sur soi, d’égoïsme et de racisme ; ou celle qui prône dès aujourd’hui la solidarité, le respect, la dignité de la tolérance…
L’écologie d’extrême-droite est tellement simpliste qu’on peut se vautrer dedans comme des enfants cèdent à leur crise de colère. C’est une idéologie raciste de facilité et que renforcent encore et toujours les prises de positions tièdes, apolitiques jusqu’à la névrose, et choisissant, de fait, leur camp. Le non-choix est un aveu misérable et funeste, et je ne peux plus comprendre qu’on le plébiscite sous couvert de « popularisation » de l’écologie. L’écologie populaire n’a rien à voir avec le néant politique de ce genre de position. La politique n’est pas un gros mot, elle régit tous nos rapports humains. L’oublier quand cela paraît le plus évident, c’est intellectuellement incompréhensible.
C’est pour cela qu’il est si dur de combattre l’extrême-droite, à cause de ses ami·es au sourire large et aux airs innocents. C’est pour cela qu’il ne faut jamais leur donner une chance de plus. Jamais.