Par Jonas

Chaque mois, Jonas poursuit sa réflexion sur le monde du travail et ses implacables dérives dans sa chronique « Tout travail mérite sa laisse ». Aujourd’hui, il pose ses questions à un spécialiste du revenu d’existence, Guillaume Mathelier.

Le mois dernier, je vous parlais des pistes pour questionner notre rapport au travail et s’affranchir de ces boulots abrutissants qu’on ne fait que pour obtenir un salaire. Moi, mon dernier employeur, c’était une petite mairie haut-savoyarde : Ambilly. Et ça tombe très bien puisque le maire d’Ambilly, Guillaume Mathelier, est Docteur en Sciences Politiques et auteur du livre Un revenu d’existence pour toute la vie (éd. Le bord de l’eau, 2022).
Je suis donc allé le rencontrer en mars pour lui poser quelques questions.
Bonjour Guillaume Mathelier, merci de nous recevoir.
Pour commencer : pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le revenu universel de base?
Alors déjà, je préfère revenu d’existence pour une raison simple : c’est que je considère que si la mise en place d’un tel revenu devait exister il serait pour une certaine intention et cette intention ça serait de donner les possibilités de mener une existence bien vécue.
Et la définition, de base, du revenu universel (ou de l’allocation universelle ou des autres terminologies), c’est que c’est un revenu qui est donné (il peut y avoir plusieurs temporalités, ça peut être à partir de la naissance, à partir de 18 ans), individuellement (c’est-à-dire sur une base individuelle et universelle) et bien évidemment sans contrepartie et sans aucune condition.
Il y a une définition qui est une définition plutôt universelle qui est d’ailleurs la définition du Mouvement Français pour un Revenu de Base mais aussi de tout le Basic Income Earth Network qui permet en fait à l’ensemble des chercheurs des militants associatifs ou autre de se reconnaître autour d’une version.
Est-ce que le montant de ce revenu est évalué? Et surtout, comment est-ce qu’on le finance?
La question du financement est fondamentale bien évidemment mais le problème, c’est que, quand on parle du revenu d’existence, on a tendance à tout de suite dire “Oui mais comment on finance?” Mon propos c’est de dire d’abord : est-ce qu’on est tous d’accord que c’est une bonne action? Est-ce qu’on est tous d’accord qu’avoir un revenu d’existence apparaîtrait assez naturel par rapport à tout ce que l’on a fait progresser dans notre société? Si vous êtes d’accord avec moi, à ce moment-là on peut trouver des solutions de financement. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, il y a une fracture et vous allez défendre un autre modèle de société. Ça, c’est le premier point.
“Un héritage pour tous”
Avant de parler du financement, il faut aussi parler des modalités de distribution.
Je défends un revenu d’existence tout au long de la vie et je détermine une modalité de 0 à 18 ans où ce revenu est capitalisé et versé dans ce que j’appelle un capital d’émancipation qui sera délivré à 18 ans.
En somme, on change la psychologie des enfants sur le fait qu’ils vont avoir un héritage à 18 ans. Un héritage pour tous comme dirait Thomas Piketty. Mais ça change aussi la psychologie des parents qui n’ont pas toujours besoin de se saigner pour leurs enfants. Ça leur enlève un poids sur cette responsabilité financière.
Et puis à partir de 18 ans, je détermine qu’il y a un revenu d’existence qui est versé jusqu’à la fin de notre vie.
Ce n’est pas substitutif à l’emploi, ça n’a rien à voir. Des fois j’entends “Il vaudrait mieux parler du partage du temps de travail”. Mais rien ne nous empêche de parler du partage du temps de travail.
Ca n’est pas une aide non plus donc ça n’est pas substitutif à l’emploi. Ça n’est pas une aide sociale, ça ne peut pas être soumis à la conjoncture. C’est quelque chose de l’ordre de la structure puisque l’on parle justement de la naissance et que la naissance est bien un point de vue structurel de départ sur la pyramide des âges, sur l’évolution de notre société, etc.
Sur les modalités de financement, j’imagine que la première part est une part de capitalisation. Je fais exprès d’utiliser le mot capital parce que je pense qu’il faut s’approprier le mot de ses ennemis. Et comme j’ai des véritables tendances anti-capitalistes, je pense qu’il faut aller chercher l’argent là où il existe. Notamment sur l’héritage, sur la transmission de patrimoines.
Quant au revenu d’existence dans sa forme régulière et mensuelle, j’imagine que ça peut être de la taxation normale mais ça peut être aussi quelque chose qui est lié à tout ce qui est microtransaction. Par exemple, à chaque fois que j’utilise la carte de crédit, que je paye en ligne ou que je fais quelque chose en ligne, et bien 0,01% part dans un fond qui permet ensuite d’être reversé.
On arrive à des modèles qui sont des modèles d’équilibre.
Et si on arrive à mettre sur pied un revenu d’existence, il y a un certain nombre d’aides sociales qui n’ont plus besoin d’être délivrées. Par exemple le RSA. Le RSA n’est ni plus ni moins qu’un revenu d’existence mais pour ceux qui en auraient fait la demande à un moment où ils n’ont plus le chômage ou ils se retrouvent en difficulté. Sauf que le RSA est soumis à une véritable industrie de contrôle et cette industrie de contrôle, elle passe au Pôle Emploi, elle passe à la mairie, elle passe sur des aides d’états, elle passe sur un certain nombre de choses qui font qu’à un moment il vous manque un document et bien vous pouvez avoir votre RSA qui est enlevé. Moi je pense que cette industrie de contrôle doit disparaître. Pour remettre aussi ceux qui sont au cœur du travail social, notamment des assistants sociaux dans nos collectivités, au cœur du travail pour le soutien à la famille sur le budget, sur l’aide aux enfants.
Quelles sont les expériences existantes qui se rapprochent d’un revenu d’existence et quelles sont les conclusions qui en ont été tirées?
Alors, il n’y a pas un modèle qui a été mis en place à grande échelle. Il y a des modèles qui ont été testés notamment en Finlande, au Canada. Il y a aussi un système de dotation qui en Alaska où c’est lié aux rentes du pétrole et c’est pas non plus un revenu d’existence mais il y a quelques pensées là-dessus.
“Un revenu d’existence qui ne dit pas son nom”
Mais je pense qu’il faut réfléchir différemment en se demandant s’il n’y aurait pas des systèmes qui ressembleraient au revenu d’existence mais qui ne diraient pas leur nom. Et là, je pense notamment au service public. Parce qu’en fait le service public, c’est, pour moi, un revenu d’existence ou une part du revenu d’existence qui ne dit pas son nom. Quand vous avez une éducation gratuite ou quand vous avez une santé, on va dire de base, gratuite. Elle est universelle, personne n’en est exclu.
L’éducation n’a pas toujours été gratuite et universelle et donc on peut savoir par l’absurde ce que coûte le prix de l’éducation et je peux vous garantir que si on enlevait les coûts de l’éducation et qu’on les faisait porter par les individus ça serait autre chose.
Donc dans le service public, il y a les ferments de ce qui pourrait être un revenu d’existence.
Une des critiques qui revient constamment sur les propositions de revenu d’existence concerne le fait qu’on pense que si les gens percevaient un revenu constant, ils ne feraient plus rien. La crainte d’une société de fainéants inactifs en somme. Vous en pensez quoi?
La question à laquelle il faut répondre, c’est “Qui est celui qui nous dit ça?” Certains ont un intérêt à nous dire ça. Notamment ceux qui veulent nous dire aussi qu’il n’y a que le travail qui compte, que le travail est la seule réalisation possible, etc.
Moi souvent je leur oppose un truc très simple c’est : ah bon, il n’y a que le travail qui compte? Alors quel travail? Déjà, on déconstruit la chose, on dit de quel travail il s’agit. Aujourd’hui en France, s’il y avait une grève des bénévoles, le pays s’effondrerait en une semaine. Tout ça, c’est une part de travail qui n’est pas rémunéré.
Pour moi la France qui travaille, c’est la France de l’emploi salarié et aussi c’est la France de tous ceux qui n’ont pas d’emploi salarié et qui font la richesse de ce pays et qui font l’utilité sociale et économique de ce pays. Donc ça c’est une première porte qu’il faut enfoncer.
Ensuite, sur le fait que si on donnait un revenu les gens ne travailleraient pas. Ok, très bien, alors tous ceux qui, aujourd’hui, touchent des rentes du capital et des rentes du patrimoine, est-ce qu’ils travaillent? Non, c’est leur argent qui travaille, ce n’est pas eux qui travaillent. Donc non, ce monde-là est un monde beaucoup trop simpliste. Il y a une inclination particulière à œuvrer pour les autres parce que nous sommes dans une humanité où l’individu lui-même est un animal politique comme le disait nos antiques et donc enclin à se tourner vers l’autre.
Je ne crois pas à la douce fable qui voudrait qu’à partir du moment où on toucherait 500€, par mois on resterait tranquille à la maison. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai. Au contraire, les études de psychologie ont plutôt montré que quand on donnait cet argent-là, on avait plus de poids dans la discussion avec son employeur, son futur employeur aussi, sur le retrait du travail et qu’on allait vers d’autres missions, plus tournées vers l’autre. Qui nous amènent notamment vers le bénévolat ou vers d’autres types d’activités.
Et si là-dedans vous avez 5 % de gens qui décident de ne pas travailler, et bien qu’ils décident de ne pas travailler, ils ne seront pas un poids pour la société puisque tout le monde décidera collectivement que le revenu d’existence doit être donné à tout le monde.
Et que, Bernard Arnault, ou d’autres qui gagnent bien leur vie, payeraient peut-être plus pour avoir dans le système commun un revenu d’existence plus bas. Mais l’objectif, c’est de mettre à niveau tout ça et de dire que chacun à partir de sa naissance touche le même revenu d’existence.
Petite plongée dans l’actualité avec la contestation qui bat son plein face à la réforme des retraites. Qu’inspire à l’élu que vous êtes cette actualité liée à notre sujet d’étude?
Aujourd’hui, on est donc le 8 mars, journée internationale des droits des femmes et lendemain de la sixième journée de mobilisation en opposition à la réforme des retraites.
Cette réforme des retraites, je la trouve précipitée. Elle ne fait pas honneur à la réflexion avec les corps intermédiaires et avec le ciment de la société. Le gouvernement préfère continuer le rapport de force et ça je dirais que s’il y avait un changement à opérer, il faudrait que ce soit celui-là. C’est-à-dire qu’il y ait davantage de concertation au départ de tous les grands changements sociétaux sociaux.
“La politique peut les choses”
Je pense aussi que les individus ont leur part de responsabilité d’avoir lâché depuis un moment la politique. Et bien quand on a lâché ça, on peut pas s’en vouloir et d’une certaine manière, on a les dirigeants qu’on mérite. Et quand on a les dirigeants qu’on mérite, à un moment on peut pas non plus penser qu’il ne peut pas y avoir de conséquences sur notre quotidien.
Il faut vraiment qu’il y ait cette prise de conscience : la politique peut les choses. Et autre chose que le vote, la politique peut changer les choses parce que la politique, c’est nous. Il faut retrouver ce discours qui soit un discours de pacte social, de communs à préserver et la démocratie est attaquée chaque jour.
Pour revenir sur le revenu d’existence, il pourrait nous permettre de subvenir à une partie de nos besoins à l’âge que l’on veut. C’est-à-dire qu’on pourrait se retirer, notamment du champ économique, de l’emploi en gardant un revenu nous permettant une existence digne.
Mais d’ailleurs est-ce qu’on a besoin d’un âge comme celui-là? Je suis un peu partagé. Quand il n’y a plus de limite, il n’y a plus de repère non plus. Or, dans notre société et dans notre humanité, on a besoin de repères.
Donc qu’est-ce qui doit refaire, à nouveau, repère collectif ? La bataille des 64 ans, c’est dire qu’à un moment on doit avoir des repères collectifs. Le dimanche les magasins sont fermés, indépendamment de la religion, c’est un repère collectif, c’est pour se retrouver.
On doit retrouver des limites. C’est quasi géographique. Dans nos géographies individuelles, philosophiquement, c’est quelque chose qui doit avoir de la résonance.
Ce qui m’inquiète beaucoup dans cette loi et globalement dans l’uniformisation de la société, c’est de laisser de côté les cas particuliers. Certains emplois peuvent facilement se faire après 64 ans tandis que d’autres sont absolument inenvisageables. Est-ce que ce revenu universel ne serait pas une solution pour offrir à chacun le choix de poursuivre ou non son activité?
Un âge limite, c’est un âge où on considère, globalement, que chaque individu a le droit à. Maintenant, avec le revenu d’existence, il pourrait le déclencher au moment qui lui paraît le plus opportun. Tout au long de sa vie, il pourrait dire “Moi, à 40 ans j’ai un revenu d’existence, je n’ai pas besoin de grand-chose pour ma subsistance. Je peux travailler à 20, à 30, à 50% et faire d’autres choses à côté mais je sais que je peux me retirer de l’emploi si je sais vivre de manière un peu plus frugale.”
Pourquoi pas. Et encore une fois, je pense que ce qui est très important pour ceux qui nous écoutent, c’est de refaire le point une fois pour toute sur ce qu’est le travail.
Le travail, c’est quelque chose qui est au-delà de l’emploi salarié et qui a une utilité sociale. C’est la définition que j’en ferai.
Merci pour cet entretien, on vous laisse le mot de la fin
Le mot de la fin, c’est engagez-vous ! Quel que soit le niveau de votre engagement, que ça soit au niveau local, au niveau national. Et surtout, faites en sorte qu’il y ait du collectif à cet engagement. C’est bien d’avoir des causes, mais les causes sont belles quand elles deviennent des causes collectives.
L’ensemble de la conversation est disponible ici

ZoomZoomZen, podcast France Inter
Un revenu d’existence pour toute la vie, Guillaume Mathelier
https://direkris.itch.io/you-are-jeff-bezos
NB : Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.
Lire la chronique précédente de Jonas : https://motuslemedia.fr/2023/03/26/travail-a-la-con/