Par Charlotte Giorgi
Juste un billet gratuit, une liste pour chouiner, un long monologue plaintif. Après tout, c’est ce que les Français font de mieux, non ?

Je déteste. Ce long tunnel d’enfer entre fin octobre et la pose des guirlandes de Noël dans les rues.
Les gens idiots dans un travail de groupe et l’empathie qui fait qu’on ne peut pas juste les jeter.
Les touristes qui marchent sur deux rangées dans la rue et qui empêchent de les doubler. Les mêmes lorsqu’ils se mettent à gauche dans l’escalator, la gueule enfarinée et les yeux qui brillent parce qu’ils ont pris leur photo de l’Arc-de-Triomphe au milieu de trente milles autres et des pigeons qui chient.
Les donuts pas fourrés à l’intérieur.
Les cintres trop grands pour les habits trop petits.
Les cheveux qui se coincent dans la raie du cul.
Les bouteilles d’huile huileuses.
Les gens (les hommes) qui disent à la fin d’une conférence « ce n’est pas une question mais plutôt une remarque ».
Faire le @ sur un ordi qui n’est pas le mien.
Les chaussettes qui descendent au fond de tes chaussures pendant la journée. Le petit dépôt de thé au fond de la tasse. Et le café qui refroidit au fond d’une autre que tu as oubliée.
Les gens qui prennent un peu trop au sérieux ton signe astrologique.
Ce que tu t’apprêtes à demander et que tu oublies instantanément.
Les gens qui font ta blague après, et plus fort que la tienne.
Ceux qui hurlent au téléphone.
Les posters qui se cassent la gueule. La pâte-à-fixe qui dégringole.
Les bijoux qui accrochent et filent les collants. Les gens collants.
Les bouteilles impossibles à ouvrir, et les boîtes de conserve aussi. La salade qui périme trop vite.
Les camions garés sur les trottoirs qui font qu’on doit marcher sur la route.
L’alliage du vent et de la pluie qui rend tout parapluie inutile.
Les artistes qui se prennent pour des génies mais qu’on ne comprend pas.
Les trucs qui coûtent beaucoup trop cher.
Les nuits à changer de position dans le lit sans arriver à dormir. Les réveils.
Le mot « cordialement » à la fin des mails.
La couleur kaki militaire. Le militarisme.
Les guichets de la Poste devant lesquels on est idiots mais impuissants, et le personnel inexistant.
La viande sur tous les menus.
La condescendance.
Touche pas à mon poste.
Les dîners de famille qui finissent en pugilat.
Les histoires d’amour qui ne commencent pas.
Mais j’adore me plaindre.
On dit souvent que les Français adorent se plaindre. Que c’en est embarrassant.
Moi je trouve que les plaintes font du bien. Qu’elles nous permettent de connecter à partir de choses bêtes, d’avouer notre insupportable susceptibilité, de montrer qu’on est bien sensibles à quelque chose, bien vivants. Tant qu’on peut se plaindre il y a des garde-fous à tout, et alors je veux bien qu’on se plaigne de ces manies plaintives.