Par Enthea
Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.
Dans sa chronique La Dialectique du Pet de Rupture, Enthea nous emmène dans les méandres des relations et des réflexions qu’elles amènent. Elle a du mal à écrire, ce mois-ci. Et ça ne l’a pas empêché de l’écrire pour vous raconter, car ça fait toujours drôle de se prendre les pieds dans les sujets de ses propres chroniques. Ce mois-ci, elle vous parle donc d’honnêteté avec honnêteté, mais aussi de prendre des postures qui ne sont pas les nôtres, de se mentir à soi et de mentir aux autres… En espérant que sa sincérité puisse résonner en vous, peu importe comment vous comprenez ce billet très intime.

Ce mois-ci, c’était compliqué. J’ai commencé plein de sujets d’articles. J’ai réfléchi et écrit sur la manière dont les relations libres sont un pare-feu pour éviter de morfler. Puis j’ai recommencé un document sur l’évolution des relations : en une centaine d’années, nous sommes passés des annonces maritales dans les journaux locaux, à Tinder et aux dickpick en air drop. Ça rend fou, tout ça. J’ai plein de choses à vous dire, en fait j’ai plein de textes inachevés qui attendent que j’en comprenne le sens, avant de les laisser voir le jour.
Mais parfois je bloque sur cette chronique. Parce que, tout ce que vous lisez ici, je le rédige avec mes tripes, avec mes larmes parfois, avec mes angoisses souvent, et bien sûr toujours avec beaucoup d’amour.
Et au-delà de la recherche, de l’idée d’approfondir des réflexions, cette démarche me demande quelque chose de parfois un peu violent : le maximum d’honnêteté possible. (et donc, courage.)
Ça faisait deux semaines que je n’arrivais plus à griffonner plus de 4 lignes. Je n’en comprenais pas la cause jusqu’à ce soir. C’est venu d’une pensée anodine, qui s’est répercutée en échos sur plusieurs souvenirs, jusqu’à sonner comme une réponse : je ne suis pas honnête en ce moment.
Pour des raisons qui m’échappent. Mais ce que je sais, c’est que j’ai un incroyable talent : je peux tout faire disparaître sous un tapis. Des petits mensonges ou des problèmes de la taille d’une baleine, ou de tout le reste de l’écosystème aquatique. Je peux gérer ça encore plus efficacement que la pêche au chalut négocie les fonds marins.
Génie dans l’art de la fourberie, parce que le mensonge c’est le pouvoir, et la vérité c’est la vulnérabilité.
C’est nulle comme phrase.. Et c’est encore plus nul que parfois, ce soit les bases sur lesquelles on décide de construire des relations.
La fourberie, ça n’est pas forcément la grosse trahison. Ça n’est pas forcément l’information scandaleuse. C’est ce mensonge par omission qu’on laisse glisser par confort, c’est celui dont on aime dire qu’il ne concerne que nous. Mais pas tant, en fait. C’est confortable d’oublier que l’on a un impact sur les autres.
Et puis, c’est ce qui permet de garder un ascendant, parfois. On en revient au pouvoir. Toujours.
Il y a sans doute mille raisons de souhaiter ce pouvoir. Mais ça me tracasse, parce que la domination, les rapports verticaux, la manipulation, c’est plutôt des choses que je veux éloigner de ma vie.
…Mais voilà, quand ça m’arrange, je mets les pieds dedans, c’est ça ?
Un peu, visiblement. C’est futé, de garder ses sentiments pour soi, qu’ils soient doux, ou aigres, dès lors qu’ils n’appartiennent qu’à nous, ils restent des ingrédients et des outils qui servent l’image que l’on veut renvoyer.
Il ne va pas en ressortir grand chose de bien, de mes impostures. A plus forte raison si je continue à fabuler avec un tel détachement. J’te jure, si mon mensonge était un être humain ça serait un petit gars avec une casquette nulle qui sifflote en balayant des feuilles, ses écouteurs dans les oreilles. Un gars hyper détaché, quoi.
Alors j’ai regardé le passé pour essayer de comprendre. J’ai remonté le temps, de plusieurs années en arrière, jusqu’à maintenant. Et je n’ai vu presque que des jeux de non dits. Volontaires, ou non. Envers soi-même, envers et de la part d’autres personnes. On ne dit rien, parce qu’une fois que les mots sont lâchés, ils ne nous appartiennent plus, et pire encore, ils peuvent être des armes. Et puis parfois on a besoin de se convaincre soi même, on préfère projeter ce que l’on souhaite être, plutôt que la réalité crue, et pas si incroyable. Pour peu qu’en plus, ça arrange tout le monde…Est-ce que ça n’est pas mieux ?
J’ai envie de dire qu’il y a bien plus chouette que le mensonge. J’ai envie de croire qu’être la plus intègre possible, dans la transparence et la vulnérabilité, c’est ce qui m’apportera l’épanouissement.
Mais puisqu’on se dit tout… Je vous le souhaite fort si ça vous chante, mais pour ma part, je ne suis pas encore sûre d’être assez solide pour lâcher les postures qui me protègent de me faire casser les dents, si je baisse la garde.
Donc… je perpétue un jeu qui m’épuise.
Mais je vais aller voir ce type détaché qui joue avec les feuilles, là, et qu’il m’aide à balayer devant ma porte pour déterrer des baleines.