Par Charlotte Giorgi
Aujourd’hui on cause du sommeil. Et ça nous donnerait presque envie de dormir…

En cherchant un titre, pour mon billet ce matin, j’avais envie d’écrire « ode au sommeil ». Et puis je me suis trouvée ridicule. Ridicule petite élève de la start up nation, célébrant la moindre minute passée les yeux fermés, se félicitant de l’essentiel, se congratulant sur les besoins fondamentaux avec des grandes tapes dans le dos. Ah, sacrée hygiène de vie hein. J’ai dormi cette nuit, bravo !
La vérité c’est qu’il m’en faudrait huit ou neuf, des heures de sommeil, selon les scientifiques. Or « Pour la première fois depuis que le sommeil est observé sur le plan épidémiologique en France, le temps de sommeil moyen nocturne est inférieur à 7 heures », soulignent les spécialistes. En moyenne, les 18-75 ans dorment 6 heures 34 minutes chaque nuit en semaine et plus d’un tiers des Français (35,9 %) dorment moins de 6 heures. C’est une heure voire une heure trente de moins qu’il y a cinquante ans à peine. Et c’est aussi en dessous de la barrière critique des six heures de sommeil que le manque et la fatigue provoquent de graves problèmes de santé. Seul·es 5% des Français·es sont capables de fonctionner avec aussi peu d’heures de repos.
On comprend un peu mieux pourquoi j’aurais voulu appeler ce billet « ode au sommeil ». Laissez-moi vous expliquer : il est sept heures trente, j’ai sauté l’étape petit déjeuner pour arracher chaque seconde possible à ces foutues journées qui commencent quand je ne suis jamais prête et oui, je rêve à une minute, rien qu’une minute où je pourrais de nouveau m’étaler sur mon lit. J’ai bien conscience que c’est un stade d’utopie assez pitoyable et que je pourrais rêver plus fort, voire mieux, exiger que cette espérance devienne vaguement un droit humain palpable dans ma vie d’esclave de mes propres projets, mais enfin voilà comment ça s’articule : je rêve de tout éteindre, même les soucis, de pouvoir repousser à demain en toute légitimité parce que « c’est l’heure de dormir ». Je rêve de poser mon téléphone, après avoir minutieusement réglé mon mode avion, je rêve de pouvoir lâcher toutes les responsabilités et enfoncer le poids du monde qui pèse sur moi dans un matelas moelleux mais pas trop, avec des draps souples. Je rêve de glisser mes pieds chauds sous les draps frais, de m’étirer, de chercher la position idéale, celle qui soulage enfin les jours de labeur, je rêve de me sentir partir et de n’avoir aucun besoin de me retenir, je rêve de dormir la bouche ouverte, l’oreiller qui marque, le corps inerte et soûl de fatigue. Je rêve de rêver.
Je rêve aussi de ces matins brumeux où les yeux sentent à travers la paupière la douce secousse du soleil, l’annonce de l’aube qui m’éveille sans rien d’autre. Je rêve que mon réveil ne me serve plus à rien, que mon corps renoue avec la mécanique qui le fait se rallumer, quand il est prêt, quand il a assez amassé les ressources qui lui servent jusqu’au prochain coucher de soleil. Et je pense, étourdie, que je n’ai jamais réussi à ne pas utiliser de réveil. La brutalité accompagne toujours le matin, le matin qui tombe au mauvais moment, tout le temps.
C’est peut-être parce que je ne dors pas assez, et encore, je ne suis pas la pire, mais c’est peut-être pour ça, que mes rêves sont aussi nuls. Je rêve que ce soit la vie, fracassante, qui reprenne ses droits. Qu’on puisse croire que c’est ça, la vie, le sommeil, et pas quelque chose d’une mort anticipée parce que tout s’arrête. Tout s’arrête : tant mieux, car il viendra un jour où nous échouerons à recommencer, sans s’être arrêté pour contempler, absorber, se reposer. Ode au sommeil, quoi.