Par Une Voyageuse Heureuse, Léa et Enthea
Ce dimanche, un billet collectif. Un billet collectif pour parler d’une expérience collective : celle d’être son propre ennemi et de mettre cet inconfortable constat sous le tapis. Loin d’être une simple réflexion de développement personnel, cet article vous propose d’explorer le sens qui se cache peut-être plus profondément derrière l’expression portugaise « se machucar », que notre voyageuse heureuse a rencontré lors de ses différents voyages.

Dans cet article, nous allons vous parler au “je” collectif, car chacune de nous va vous partager sa réalité quant au fait de se blesser, que cela soit mentalement, physiquement ou émotionnellement et de notre responsabilité dans tout ça…
La langue portugaise est riche de noms communs qui s’utilisent dans des cas très spécifiques, voire, qui n’ont pas de traductions dans d’autres langues. Au Brésil, on parle le portugais brésilien, qui n’est pas celui du Portugal.. Les principales différences se trouvent dans la prononciation des mots et dans l’utilisation des temps verbaux, mais il y a une chose dont on ne parle pas… La manière de vivre. Pendant mes 3 mois au Brésil, j’ai pu remarqué que les Brésilien·ne·s ont une façon particulière de voir le monde et sont très axés sur le développement personnel. Si vous avez l’occasion de vous y rendre, vous pourrez remarquer les nombreux étalages de livres à ce sujet dans les librairies. Et bien que cet effet de mode suive la pandémie de Covid-19, cette notion de bienveillance envers soi et les autres est très ancrée dans leur culture.
Lors de mon voyage, il y a un terme qui a particulièrement attisé ma curiosité : “Se machucar”. Ce verbe signifie “se blesser”. Rien de très incroyable jusque-là, vous me direz. Mais, ce qui m’a intriguée, ce sont les contextes de son utilisation. En effet, ce verbe s’utilise à la fois dans le cadre d’une blessure physique : Me machuquei na academia (trad : Je me suis blessée à la salle de sport) ou dans le contexte de douleurs psychiques et émotionnelles : Me machuquei nessa relação (trad : Je me suis fait du mal dans cette relation). Alors que l’on sait que la façon dont on parle reflète notre état de pensée, utiliser un parlé centré sur le soi permet de reprendre le pouvoir sur sa vie et de se replacer comme seul·e responsable de ses actions. Et si on en parlait, de cette responsabilité et de libre-arbitre ?
Sartre écrivait : « L’enfer, c’est les autres ». Par cette affirmation, il soulignait notre impossibilité à nous extraire de l’existence d’autrui, si nous voulons nous-même exister. Notre permanente exposition au regard de l’autre, à son observation, à son jugement. Et je suis totalement d’accord avec ça.
Mais personnellement, quand je suis triste et profondément découragée, c’est rarement à cause de quelqu’un d’autre. Enfin, l’origine de mon mal être, c’est l’autre. Mais l’acteur de ce-dernier, le bourreau, c’est mon esprit. Et je crois que c’est là toute la subtilité de la chose.
Lorsqu’on dit « l’enfer, c’est les autres », toute la responsabilité retombe sur autrui, cet être qui serait la pure opposition du « moi ». Dans les regards, je me sens jugée, incomprise. Alors je me dis que c’est « eux » le problème.
Mais si je me base sur la manière dont j’expérimente la vie jusqu’à présent, cet état d’esprit me fait prendre le problème à l’envers.
Dans mes épisodes les plus sombres, le seul dénominateur commun, c’est moi. Moi, ma conscience, mon propre jugement. Je relationne avec les autres, je parle, me confie. Les autres écoutent, réagissent, soutiennent.
Puis j’y repense, seule, et plus l’engrenage se met en marche à un rythme effréné. Je repasse les images dans ma tête en boucle, comme un film. Je revois les discussions en continu, j’entends à nouveau les réponses et j’interprète. Sans aucune raison, j’interprète. Et bien souvent, toujours avec le pire scénario en tête.
D’une situation plutôt banale se délie dans mon cerveau tout un cheminement de plus en plus sombre. Convaincue de réfléchir de manière logique, je pars du principe que le monde entier suivra le pire script. Que tous ses personnages sont écrits pour me détester, qu’ils ont tous été imaginés dans le but de me nuire.
Je me débats, longtemps, avec un esprit capricieux. Je cherche et trouve toujours, incontestablement, des preuves de leur malice. Et finalement, quand enfin j’arrive à sortir de ce cercle tumultueux, j’en reviens à la conclusion logique. Limpide. L’enfer, ce n’est pas les autres. L’enfer, c’est moi.
Si je crée mon propre enfer… Alors, je devrais pouvoir me l’épargner ?
J’ai pris conscience récemment qu’au cours de ma vie, j’ai vécu pas mal de périodes qui ont temporairement annihilé ma joie de vivre et ma motivation, dû au fait que je prenais en charge des problématiques qui ne me concernaient pas.
Mais il est difficile de se détacher d’un enfer qui n’est pas le sien, si, par exemple comme c’était mon cas à l’époque, nous sommes marié·e·s avec la personne à qui il appartient.
Il est difficile également de parcourir la distance qui nous permet de différencier ce dont on a besoin et envie pour nous même, de ce que l’on s’inflige par réflexe, par convenance, par habitude, ou pour faire plaisir, pour s’adapter, etc.
Longtemps, j’ai cru qu’aimer c’était partager une souffrance, me l’infliger, me jeter dans le ravin avec l’autre, plutôt que de lui envoyer une corde.
Et même si l’on envoie une corde, il est quand même pertinent de se demander si on se sent vraiment prêt·e à porter ce poids à bout de bras. Est-ce une action qui va dans le sens de nos envies ? Ou est-ce que ça risque de nous blesser ? Sommes nous en train de faire, nous même, le choix de nous faire du mal ?
Et plus j’y réfléchis, plus je prends conscience de la manière dont nous sommes conditionnées, spécialement les personnes éduquées comme femmes, pour avoir des réflexes de sacrifices dans nos relations. Habituées à s’excuser d’exister, modérer nos ambitions, et tempérer nos besoins, ne serait-il pas tant aujourd’hui d’envisager de cesser de nous abîmer de notre plein gré ?
Love.
Fight.