Faut-il rendre les transports en commun gratuits ?

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Sur Twitter, depuis la hausse du pass Navigo pour les usagers des transports en commun franciliens, les tweets excédés et les reproches à Valérie Pécresse, présidente de la région, sont monnaie courante, et même parfois devenus des running gags. Dans ce nouvel épisode d’avocat du diable sur Vacarme des Jours, Marius et Charlotte se demandent dans quelle mesure il ne faudrait pas rendre les transports en commun gratuits. Se déplacer peut-il être considéré comme un droit ? Cette gratuité, mesure sociale en apparence, ne serait-elle pas une nouvelle fracture entre rats des villes et rats des champs ? Bref, beaucoup de questions et quelques réponses dans cet épisode. 

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En marche

Par Charlotte Giorgi

Parce qu’on parle des trains qui démarrent, des trains que l’on prend, des voyages que l’on fait. Mais qu’on raconte trop peu le sur-place, celui des gares franciliennes qui se mélange au sur-place de nos vies. Les grèves les retards les gens qui s’énervent et tout ce que ça veut dire.

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            T’es là. Il est trop tôt.

Trop tôt pour descendre dans ce gouffre aux courants d’air glacés, aux tapis roulants et escalators sans fin. De toute façon, tu pourrais garder tes jambes immobiles : une marée humaine est là pour t’amener à bon port, tu seras traînée et poussée au milieu des gens qui marchent, qui courent et transpirent, et qui ne s’arrêtent pas. Tu n’as pas le loisir de la pause, tu mourrais piétinée.

            Tous les matins c’est le même chemin que tu dois emprunter dans les dédales souterrains des RER et des métros. Pas de variation, pas d’horizon autre que toutes ces têtes qui marchent elles aussi sans trop réfléchir, sans trop se poser de question. C’est tellement absurde, tout ce chemin en colimaçon, tous ces quais bondés.

            Tu descends, tu tournes, tu t’en veux d’en vouloir à quelques touristes égarés qui ne sont pas du bon côté de l’escalator et qui bloquent ta course folle vers le quai. Tu croises des panneaux sur lesquels tu as à peine le temps de lire les retards du jour. Tu le sauras bien assez tôt, quand la file ininterrompue de personnes s’étalera du quai jusque dans les escaliers qui le précèdent.

            Un train est supprimé. Tu ne sais pas pourquoi, et il n’y a personne à qui demander. Tu penses aux grèves qu’il y a de temps en temps, souvent tu as l’impression. Tu as de l’empathie, mais sur ce sujet précis, tu ne comprends pas. Tu n’entends jamais les revendications ni les progrès, toi tu es assourdie par le vacarme du quai, la pagaille quotidienne, la vie matin et soir, aspirée par le grand gouffre des gares franciliennes. Toi tu n’entends que ta colère, celle dont on dit qu’elle est égocentrée, mais pourtant tu regardes autour de toi et tu trouves que vous êtes nombreux à être en colère. La communication est rompue, elle n’a jamais existé, seuls les néons aveuglants, les sirènes du RER, l’heure qui tourne et n’avance pas.

            Tu finis par rentrer dans un wagon, enfin, t’y tasser. Tu peines à respirer, on étouffe. La buée sur les vitres. Ton téléphone qui vibre dans ta poche. Impossible de l’atteindre. Une dame tente de faire rentrer une poussette, les gens s’exclament, on devient méchants, on devient bêtes. On finit par se serrer. Quelqu’un pue. Tu ne sais pas qui. Tu essayes de retenir ta respiration. La pandémie te traverse l’esprit. Tu essayes de retenir ta respiration.

            Le train démarre, les barres de maintien sont loin, tu titubes. Il n’y a pas la place pour tituber. Tu écrases des pieds, tu perds l’équilibre au milieu des gens méchants, des gens bêtes. Tu entends les arrêts plus que tu ne les vois défiler. Tu regardes les gens. Les gens sont aigris. Que vont-ils faire ? Travailler ? Leur vie a-t-elle plus de sens que la tienne ? Quelle impression leur fais-tu ? Est-ce qu’ils t’aideraient, si le mec derrière toi continuait à frôler tes fesses avec sa main ? Tout le monde est si collé, tu imagines peut-être.

            C’est ton arrêt. Tu te faufiles, tu y perds à moitié ton sac et ta foi en l’espèce humaine déjà bien amoindrie. Les gens veulent rentrer, ils ont des endroits où aller. Tu vas devoir les pousser. Les insultes sont faciles. Tu t’extraies de là, un clodo joue de l’accordéon et un autre a l’air de pouvoir se jeter sur les rails à tout moment. Tu ne donnes rien, cramponnée à ton sac à main. Accélère. L’autre est à deux doigts de se jeter dans la mort. Si tu traînes, tu vas devoir t’y intéresser.

            Tu n’en as rien à foutre. Ici, c’est le bétail. La France travailleuse, la France banlieusarde. Celle qui fonctionne même si rien ne fonctionne. Ici c’est la France aigrie du matin, c’est la France parisiano-centrée, c’est la France qui ne comprend plus rien, ni de sa colère, ni des panneaux d’affichage, ni de sa vie.

            C’est cette France-là, la gueule suante, qui fait irruption à la surface et qui pestera devant les infos.

            Des RER vont être déployés dans 10 grosses agglomérations françaises. Ici il n’y a pas d’argent, et tout est en panne : le dialogue social, la politesse et les trains. En ruralité, les gares ferment. Mais les gens qui prennent le taxi pensent sûrement bien faire, que veux-tu. Ce n’est pas leur faute s’ils sont riches…