Par Charlotte Giorgi
Un billet aussi peu intéressant que les combats sociaux pour des millions de gens qui en sont pourtant tributaires. Un billet pour dire que c’est malheureux, mais que la politique n’intéresse plus grand monde et que peu importe le contenu, il faut travailler les oreilles. Faire en sorte que les mots, la hargne, l’espoir puisse tomber dedans, on sait pas trop comment.

La réforme des retraites est présentée aujourd’hui, c’est la radio qui l’a dit.
Ça me fait une belle jambe, mais je vais l’éteindre et puis passer à autre chose.
Ça ne m’intéresse pas, ça ne secoue rien en moi, ça ne me fait ni chaud ni froid. J’ai vingt-trois ans et je m’en tape.
La retraite, c’est une autre dimension spatio-temporelle. Un truc qui arrive quand on n’a plus d’autres soucis à gérer, qu’on a fait le tour de la question, qu’on est bien obligé de mettre son nez dans les trucs pas hyper sexy.
Oui, c’est clair. La perspective de travailler jusqu’à pas d’âge pour vivre sous le seuil de pauvreté ensuite, seule et abandonnée, non seulement de la famille que je n’aurais peut-être pas réussi à créer (les temps sont durs), mais aussi de la société qui est déjà d’accord pour me laisser tomber, ça ne me réjouit pas. Pour être honnête, ça me fout le bourdon. Mais j’ai une petite liste dans ma poche, et beaucoup de gens ont la même. Ça s’appelle « liste des problèmes par ordre d’arrivée ». Avant d’arriver à la ligne des retraites, il y a celle de la précarité étudiante, celle de l’entrée dans le monde du travail, de la crise écologique (vivrons-nous jusqu’à la retraite ?), et du chauffage qu’il va falloir payer ce mois-ci.
C’est sûr, ça n’exclue pas le problème. Le truc, c’est que ça le repousse, et que je n’ai pas la fougue intellectuelle qui consisterait à prendre dans le blanc des yeux les problèmes qui n’en sont pas encore. Pas assez d’empathie peut-être.
C’est con. La perception de la vieillesse dans cette société me désole, et j’y participe. Je suis là, à côté du problème, à m’en foutre. Et je m’en fous assez tranquillement, c’est ça le pire. Je veux dire, vraiment j’ai les yeux vides quand j’y pense, partir à 60 ou 64 ans, la tête molle, les régimes spéciaux le 49.3 les grèves, mouvement social, CGT, âme cotonneuse.
En fait, je suis fatiguée de notre époque. J’ai plus envie de m’y intéresser.
J’aimerais que tout aille bien et tout va mal, c’est pas ma faute alors j’en fais rien, et je me désole, je me plains même plus parce que c’est devenu tellement bateau de se plaindre, les mots n’ont plus aucun sens, les combats aucune consistance. On fait des blagues tout au plus. Je m’étonne vaguement devant des infographies, 25% des hommes les plus pauvres sont déjà morts à l’âge de la retraite. Wouah.
Et des fois je me dis : ils pourraient nous intéresser, quand même. La moindre des choses, ce serait de rendre le sujet passionnant. Ils pourraient nous secouer comme des pruniers, nous casser les oreilles, nous rendre perméables. C’est ça qu’ils devraient faire, au lieu de lutter entre eux, de dire les mots complexes à France Info et de faire des tracts hideux. Ils devraient venir nous parler, ils devraient faire des TikToks, ils devraient être là où on est, faire que ce soit joli, attrayant. Je sais pas, voir que ça marche pas, qu’on n’a pas envie d’être avec eux, de les rejoindre, que leur combat a l’air pourrave, normé, pas intéressant, pas créatif, pas fou. Ça devrait se lire sur nos têtes qu’on mérite mieux, comme vies mais aussi comme luttes, merde. C’est nul l’époque, et c’est nul les gens qui trouvent nulle l’époque, et on avance comment après, nous, quand nos espoirs sont douchés par les gens qui sont censés les porter, et que rien n’est enthousiasmant ou beau ou porteur.
Intéressez-nous.
Je sais, c’est pas bien de dire ça. C’est égoïste, et petit, et autocentré.
Mais c’est le seul moyen. Faites-nous des frissons et des colères et des choses qui ont besoin d’éclore et qui vont tout faire changer.
Parlez-nous.