Par Une Voyageuse Heureuse
Repenser le tourisme est une chronique autour du voyage au sens large. Hormis pour les professionnel·le·s du tourisme, c’est un secteur sur lequel on se pose peu de questions. Que ce soit à travers l’histoire ou la sociologie, on se rend peu compte de tout ce qui se cache derrière son développement.
Alors, si on revenait sur l’origine du tourisme ?

Quelques notions…
Pierre Bourdieu, fameux sociologue français, a détaillé les moyens nécessaires pour pouvoir voyager. On retrouve ainsi des critères :
- Financiers (avoir l’argent nécessaire pour se transporter et se loger) ;
- Temporels (avoir le temps de pouvoir partir sur une certaine durée) ;
- Techniques (avoir accès au moyen de transport adéquate) ;
- Sociaux (la distinction sociale offrant une certaine sécurité lors du voyage).
Apparition du tourisme
Le tourisme existe depuis la nuit des temps. Que ce soit chez les Grecs lors des Jeux olympiques ou lors de pèlerinages au Moyen-Âge, le tourisme avait pour but de célébrer les dieux. Il y avait également une forme de tourisme commercial afin de passer des marchandises dans différentes contrées. L’exemple des Routes de la soie est le plus parlant. À cette époque, le tourisme de plaisance ou de nature n’existait pas encore. Au contraire, certains milieux naturels, comme la montagne, était vue comme un lieu maudit synonyme de catastrophes naturelles et de maladies. Ce n’est qu’à l’époque romantique que des peintures imageant des états d’âme redore l’image de la montagne.
Du Grand Tour à l’hygiénisme
Quant au tourisme tel qu’on le connaît aujourd’hui, il est né dans les années 1850 avec le Grand Tour. Le Grand Tour est un voyage effectué par les jeunes hommes aristocrates. Ce voyage initiatique se déroulait sur plusieurs années dans toute l’Europe afin de parfaire leur éducation. C’est une sorte de rite de passage pour devenir un homme (ça fait rêver). À cette époque, le tourisme était donc élitiste, accessible aux privilégiés, c’est-à-dire, aux hommes riches.
Dans la même période, suite aux découvertes de Pasteur sur les microbes, apparaît l’hygiénisme. L’hygiénisme est un courant de pensée apparu au milieu du XIXe siècle qui prône le “selfcare” grâce à un environnement sain. En découlent deux types de tourisme :
- Le balnéarisme, selon lequel les bains de mer sont bons pour la santé, à condition qu’ils soient frais ;
- Le climatisme, selon lequel certains climats sont bénéfiques pour la santé (climat maritime / montagnard).
La montagne est ainsi démystifiée et l’on s’y rend l’été alors qu’on fréquente les plages en hiver. Et oui ! N’oubliez pas notre critère de distinction sociale, pour être reconnu, il faut avoir la peau bien blanche… Du moins, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
De l’après-guerre…
Impactées par les ravages de la guerre, les élites européennes lancent une nouvelle mode : le “dadaïsme”. Mouvement intellectuel et artistique, le dadaïsme aspire à créer un monde nouveau, artistique et philosophique en réponse aux atrocités de la guerre. Ça y est, on casse enfin les codes, afficher une peau bronzée devient tendance et pour cela, fini la mer en hiver, on y va l’été ! Coco Chanel sera l’une des premières à s’afficher fièrement à la plage en saison estivale. C’est ainsi que les stations balnéaires du sud de la France vont peu à peu voir le jour.
Deux autres dates importantes à connaître qui ont permis la démocratisation du tourisme :
- 1945 – 1975 : le marché de l’automobile explose (favorise l’aspect technique) ;
- 1982 : la France obtient les 5 semaines de congés payés (aspect temporel et financier).
Au tourisme de masse…
Le tourisme de masse banalise les lieux touristiques qui deviennent interchangeables les uns les autres, c’est ce que l’on appelle l’aspatialité du tourisme. L’aspatialité, terme de Serge Bataillou, illustre la destination comme support de vacances. Que l’on parte en Italie ou en Espagne importe peu, tant que l’on y retrouve des activités similaires. Cela contribue à la destruction de l’identité locale par homogénéisation culturelle.
Ainsi, que ça ait été avec le Grand Tour, l’hygiénisme ou le dadaïsme, le tourisme a toujours été un signe de distinction sociale. Et en 2022 ? Aujourd’hui, nous faisons bien la différence entre le touriste, qui participe à l’aspatialité, du voyageur, en quête de découverte d’une destination, d’une culture. Le·a voyageur·euse type voyage en sac à dos, c’est un·e backpacker·euse. Iel tient à se distinguer du simple touriste. Ne serait-ce pas alors une forme de distinction sociale moderne ? Le·a voyageur·euse ne serait-il pas la version 2.0 du touriste, tout simplement ? Dans son mémoire, “Tourisme et distinction”, Julien Vogler exprime que les voyageurs·euses voyagent dans des destinations lointaines pour y retrouver une forme d’authenticité.
Je finirais sur une réflexion : chercher l’authenticité loin de chez soi pour sortir de l’ordinaire, au lieu d’agir pour retrouver l’authenticité dans son propre pays, n’est-il pas une forme de fuite ?
Si vous souhaitez en apprendre plus sur le lien entre tourisme et distinction sociale, je vous conseille le mémoire de Julien Vogler, disponible ici.
Sources :
Cours de sociologie du tourisme d’Etienne Proust
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Tour
https://www.guide-artistique.com/histoire-art/dadaisme/#origines