De l’injonction au voyage

Par Une Voyageuse Heureuse

Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Chaque mois, notre voyageuse heureuse vous emmène dans son baluchon pour repenser le voyage d’une manière durable et humaine. Aujourd’hui, elle vous parle de l’injonction au voyage…


J’ai pris ma décision, ça y est. Je rentre en France. D’ici quelques jours, j’aurai le plaisir de déguster un bon camembert sur baguette. Rien que d’en parler, j’en bave déjà. En attendant ce moment de joie, je voulais parler de ce sentiment que j’ai ressenti et qui m’a poussé à partir au Brésil. 

Je vous ai déjà parlé de ma peur de partir et de voyager seule dans mon billet ‘Une bouteille à la mer’. C’est mon ex qui m’a donné la force de passer à l’action. Il passait des heures entières à me parler de ses voyages, de ses expériences et rencontres extraordinaires. Sur les réseaux sociaux, je suis des centaines de comptes de voyageurs·euses. Le genre de contenu qui te vend du rêve, qui te donne envie de tout plaquer et de vivre d’amour et d’eau fraîche. Donc je suis finalement partie, et je me suis pris une grande claque. Il s’avère que le voyage en backpack (sac à dos), comme mode de vie, ce n’est pas pour tout le monde. 

Je ne dis pas ça pour décourager celles et ceux qui souhaitent voyager, loin de là. Seulement voilà, pour une personne à tendance anxieuse, réaliser tout ça, être sans cesse en mouvement, à devoir découvrir, enchaîner visites et rencontres, ça en devient très vite fatigant. J’utilise le verbe “devoir” car il a toute son importance. J’ai ressenti une si grande pression à devoir réaliser toutes les activités les plus célèbres. Et oui, si tu ne réalises pas le Top 10 Trip Advisor, tu as “raté” ton voyage… 

Le voyage, c’est un choix. Choisir de sortir des cases toutes tracées du tourisme classique et des grands tours opérateurs pour aller vers un tourisme qui nous correspond. Pour moi, il prend son temps et entre en contact avec les locaux. Pour d’autres, le choix est un peu différent. Des personnes qui parcourent toute l’Amérique Latine en avion en seulement 3 mois, j’en ai rencontré… Comment ne pas résister avec des vols à moins de 50€ pour traverser le monde entier ? Puis, on ne va pas se mentir, voir toutes ces personnes profiter de la facilité pour voyager ainsi ça donne envie, on finit par remettre en question ses propres valeurs…

Mais je me demande, à quel moment est-il devenu envisageable de parcourir un continent à cette vitesse ? 

Je me rappelle ce moment dans mon voyage où je suis tombée sur cette trend TikTok qui dit “Ce n’était pas la dépression, c’était seulement [nom de là où tu habites]” en montrant des personnes moroses en France puis vivant leur meilleure vie à l’étranger. D’après Prabhakar Raghavan, Vice-président senior de Google 

“D’après nos études, près de 40 % des jeunes,
            lorsqu’ils cherchent un endroit pour manger,
        ne vont pas sur Google Maps ou Search.
Ils vont sur TikTok ou Instagram. “

Cela montre bien l’importance des réseaux sociaux dans nos prises de décisions actuelles. Alors, lorsque je voyage, si je ne fais pas de plongée, si je ne fais pas des tours en bateau ou ne me fais pas des ami·e·s pour la vie comme sur toutes ces publications TikTok, est-ce que mon voyage en vaut quand même la peine ?

La réponse est bien évidemment OUI. Ce voyage avait pour but de prouver à mon ego que, malgré mon anxiété et mes peurs, je pouvais le faire. Mais je réalise que tout ce que l’on vit en voyage, on peut l’intégrer dans sa vie de tous les jours. Toutes ces personnes heureuses à l’étranger le sont en réalité, car elles ont changé leur manière de vivre au quotidien. Je ne regrette absolument pas d’être partie, néanmoins, avec le recul, je ferais peut-être certaines choses différemment (comme partir avec un répulsif anti-moustique). J’aurais aussi aimé voir des contenus différents sur les réseaux sociaux qui me vendent une réalité et pas l’imaginaire du voyage. 

Moralité de l’histoire ? Comme disait Françoise Sagan (écrivaine française) : « Ce n’est pas parce que la vie n’est pas élégante qu’il faut se conduire comme elle. ». Alors à toi qui te poses peut-être la question de partir à l’étranger sur une courte durée, de traverser de nombreux continents en avion, pose-toi cette question : qu’est-ce que je cherche dans ce voyage, qu’est-ce qui dans l’idée de voyager, me rend vraiment heureux·se ? 

Distinction sociale & tourisme

Par Une Voyageuse Heureuse

Repenser le tourisme est une chronique autour du voyage au sens large. Hormis pour les professionnel·le·s du tourisme, c’est un secteur sur lequel on se pose peu de questions. Que ce soit à travers l’histoire ou la sociologie, on se rend peu compte de tout ce qui se cache derrière son développement. 

Alors, si on revenait sur l’origine du tourisme ?

Quelques notions…

Pierre Bourdieu, fameux sociologue français, a détaillé les moyens nécessaires pour pouvoir voyager. On retrouve ainsi des critères : 

  • Financiers (avoir l’argent nécessaire pour se transporter et se loger) ;
  • Temporels (avoir le temps de pouvoir partir sur une certaine durée) ;
  • Techniques (avoir accès au moyen de transport adéquate) ;
  • Sociaux (la distinction sociale offrant une certaine sécurité lors du voyage).

Apparition du tourisme

Le tourisme existe depuis la nuit des temps. Que ce soit chez les Grecs lors des Jeux olympiques ou lors de pèlerinages au Moyen-Âge, le tourisme avait pour but de célébrer les dieux. Il y avait également une forme de tourisme commercial afin de passer des marchandises dans différentes contrées. L’exemple des Routes de la soie est le plus parlant. À cette époque, le tourisme de plaisance ou de nature n’existait pas encore. Au contraire, certains milieux naturels, comme la montagne, était vue comme un lieu maudit synonyme de catastrophes naturelles et de maladies. Ce n’est qu’à l’époque romantique que des peintures imageant des états d’âme redore l’image de la montagne.

Du Grand Tour à l’hygiénisme

Quant au tourisme tel qu’on le connaît aujourd’hui, il est né dans les années 1850 avec le Grand Tour. Le Grand Tour est un voyage effectué par les jeunes hommes aristocrates. Ce voyage initiatique se déroulait sur plusieurs années dans toute l’Europe afin de parfaire leur éducation. C’est une sorte de rite de passage pour devenir un homme (ça fait rêver). À cette époque, le tourisme était donc élitiste, accessible aux privilégiés, c’est-à-dire, aux hommes riches. 

Dans la même période, suite aux découvertes de Pasteur sur les microbes, apparaît l’hygiénisme. L’hygiénisme est un courant de pensée apparu au milieu du XIXe siècle qui prône le “selfcare” grâce à un environnement sain. En découlent deux types de tourisme : 

  • Le balnéarisme, selon lequel les bains de mer sont bons pour la santé, à condition qu’ils soient frais ;
  • Le climatisme, selon lequel certains climats sont bénéfiques pour la santé (climat maritime / montagnard).

La montagne est ainsi démystifiée et l’on s’y rend l’été alors qu’on fréquente les plages en hiver. Et oui ! N’oubliez pas notre critère de distinction sociale, pour être reconnu, il faut avoir la peau bien blanche… Du moins, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. 

De l’après-guerre…

Impactées par les ravages de la guerre, les élites européennes lancent une nouvelle mode : le “dadaïsme”.  Mouvement intellectuel et artistique, le dadaïsme aspire à créer un monde nouveau, artistique et philosophique en réponse aux atrocités de la guerre. Ça y est, on casse enfin les codes, afficher une peau bronzée devient tendance et pour cela, fini la mer en hiver, on y va l’été ! Coco Chanel sera l’une des premières à s’afficher fièrement à la plage en saison estivale. C’est ainsi que les stations balnéaires du sud de la France vont peu à peu voir le jour.

Deux autres dates importantes à connaître qui ont permis la démocratisation du tourisme : 

  • 1945 – 1975 : le marché de l’automobile explose (favorise l’aspect technique) ;
  • 1982 : la France obtient les 5 semaines de congés payés (aspect temporel et financier).

Au tourisme de masse…

Le tourisme de masse banalise les lieux touristiques qui deviennent interchangeables les uns les autres, c’est ce que l’on appelle l’aspatialité du tourisme. L’aspatialité, terme de Serge Bataillou, illustre la destination comme support de vacances. Que l’on parte en Italie ou en Espagne importe peu, tant que l’on y retrouve des activités similaires. Cela contribue à la destruction de l’identité locale par homogénéisation culturelle.

Ainsi, que ça ait été avec le Grand Tour, l’hygiénisme ou le dadaïsme, le tourisme a toujours été un signe de distinction sociale. Et en 2022 ? Aujourd’hui, nous faisons bien la différence entre le touriste, qui participe à l’aspatialité, du voyageur, en quête de découverte d’une destination, d’une culture. Le·a voyageur·euse type voyage en sac à dos, c’est un·e backpacker·euse. Iel tient à se distinguer du simple touriste. Ne serait-ce pas alors une forme de distinction sociale moderne ? Le·a voyageur·euse ne serait-il pas la version 2.0 du touriste, tout simplement ? Dans son mémoire, “Tourisme et distinction”, Julien Vogler exprime que les voyageurs·euses voyagent dans des destinations lointaines pour y retrouver une forme d’authenticité.
Je finirais sur une réflexion : chercher l’authenticité loin de chez soi pour sortir de l’ordinaire, au lieu d’agir pour retrouver l’authenticité dans son propre pays, n’est-il pas une forme de fuite ? 

Si vous souhaitez en apprendre plus sur le lien entre tourisme et distinction sociale, je vous conseille le mémoire de Julien Vogler, disponible ici.

Sources : 

https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000489/l-instauration-des-39heures-et-de-la-5esemaine-de-conges-payes.html

Cours de sociologie du tourisme d’Etienne Proust

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Tour

https://www.guide-artistique.com/histoire-art/dadaisme/#origines

https://archive-ouverte.unige.ch/unige:106026

Voyager écolo pour un monde plus beau

Par Une Voyageuse Heureuse

Cette chronique vise à repenser le tourisme. De par mon parcours professionnel, j’ai acquis de nombreuses connaissances sur l’écologie et le voyage. Considérez cet article comme un guide officieux…

1°/ LE CHOIX DE DESTINATION

Peu importe si vous êtes jeunes, vieux·vieilles, étudiant·e·s ou salarié·e·s, pour voyager responsable, il vous faut voyager en conscience et donc de se poser ces deux questions : 

Combien de temps je souhaite partir ? 

La première implique le temps dont nous disposons, et donc de réfléchir à l’avance à poser des jours, à optimiser un week-end avec un jour férié, etc. Cette question vous amènera très rapidement à la deuxième…
… Pourquoi je souhaite partir ? 

Vous avez besoin de vous retrouver seul·e, de rencontrer des nouvelles personnes, de vous connecter à la nature, d’apprendre une nouvelle langue ? 

C’est à partir du constat de vos envies que vous pourrez décider de la durée de voyage qui vous convient ou… De ne pas partir du tout ! À vous de comprendre ce que vous recherchez à travers le voyage. 

Alors évidemment, à part lorsque vous souhaitez apprendre une nouvelle langue, il est important de privilégier un territoire proche de chez soi ou du moins, accessible en mobilités douces… 

PS : et pour éviter le surtourisme (surfréquentation de certaines zones touristiques), on voyage en hors saison !

2°/ LE TRANSPORT

Si vous n’avez pas encore lu ma chronique précédente concernant l’avion comme mode de voyage, je vous invite à la lire (ici) !

Le train 🚂

Alors oui, faire un Paris – Nice, c’est plus rapide en avion, mais clairement pas écolo. Paris – Nice en avion, c’est 0,262 tonnes équivalent CO2 par passager (source) alors qu’en train c’est 1,77 kg équivalent CO2 par passager (source). Le train est donc 68 fois moins polluant que l’avion sur ce trajet, alors le choix est vite fait non ?
“Oui mais le train c’est trop long blah blah blah…” Ça tombe bien, la SNCF a développé des trains-couchettes (cf. cette vidéo de Bruno Maltor pour en savoir plus), de quoi vous économiser une journée de trajet !

Tips : Rendez-vous sur tictactrip.eu pour comparer les meilleurs prix et alternatives pour votre voyage !

Tips 2 : Trouvez des idées de destinations accessibles en train grâce au Guide de Greenpeace !

Le bus 🚌

C’est clairement mon option préférée pour une seule bonne raison : les paysages. C’est incroyable ce que l’on peut voir lors d’un trajet en bus. Je suis partie de Bordeaux jusqu’à Budapest en mai dernier, soit 30h de bus, alors oui, c’était éprouvant, mais qu’est-ce que c’était beau. J’y ai retrouvé mon âme d’enfant longtemps oubliée…

Bref, pas de surprise, Flixbus est selon moi l’alternative la plus simple et rapide. Vous pouvez bien évidemment faire du covoiturage ou de l’auto-stop si ça vous tente.

Le vélo 🚴

Et oui, ne l’oublions pas ! Avec vos jambes, le vélo est le moyen de transport écolo par excellence. Pour le coup, pas de conseils à vous donner, je ne l’ai jamais expérimenté. Par contre, je vous conseille le compte Instagram de Tim Bsn, un grand voyageur à vélo qui vous partage ses aventures !

3°/ L’HÉBERGEMENT

Parlons peu, parlons hébergement. Pour un hébergement écolo, le mieux est de se tourner vers les labels. Vous n’y connaissez rien ou n’y comprenez rien ? Pas de panique, We Go GreenR, une start-up bordelaise proposant des hébergements éco-responsables, a réalisé un super guide que vous trouverez par ici. Vous pouvez d’ailleurs réserver sur leur site, ils ont plus de 1000 hébergements en France et des hôtes adorables, ça vaut le détour !

Pour ceux·celles qui ne veulent pas se prendre la tête, Chilowé vous propose des séjours écolo complets et proches de la nature.

Et si vous êtes sur un budget réduit, l’option de couchsurfing (dormir gratuitement chez des locaux) ou du woofing (donner quelques heures de son temps en échange d’un lit) sont possibles. 

4°/ JE VIENS EN PAIX

De nombreuses activités peuvent mettre en péril la biodiversité des destinations sans que vous ne vous en rendiez compte. Par exemple, aller observer les baleines en bateau (souvent avec des gros moteurs bien polluants) perturbe leur mode de vie et peut leur créer un stress important. En bref, chacune de vos actions a une conséquence. À cause du tourisme de masse, s’est développée une “maladie” appelée la touristophobie, soit la peur / haine des locaux envers les touristes. À raison, les touristes sont vus comme des parasites qui dévalisent les magasins, créent des déchets, font augmenter les loyers et créent des nuisances sonores.
Alors qu’est-ce qu’on fait ?
En amont de votre voyage, renseignez-vous sur les us et coutumes de votre destination. Sur place, rendez-vous à l’office de tourisme ! Iels pourront vous informer sur les habitudes des locaux, les jours des marchés, la collecte des déchets et en plus vous donner de super conseils et activités !

Et lorsqu’on revient, on parle de son voyage à ses proches ou sur les réseaux sociaux afin de sensibiliser le plus grand nombre à l’impact des voyages !

Parce que voyager c’est trop beau, mais voyager écolo pour un monde plus beau c’est encore mieux.

SOURCES : 

https://www.sncf-connect.com/article/partir-en-tgv-inoui-cet-ete-c-est-gagner-en-temps-de-trajet-et-reduire-son-empreinte

http://www..tictactrip.eu

https://www.flixbus.fr/

https://www.instagram.com/timbsn/

https://www.wegogreenr.com/

https://chilowe.com/

Voyageur·euse ou serial killer·euse ? 

Par une voyageuse heureuse

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure. Sans compromis, elles vous entraînent dans les pensées de la jeunesse d’aujourd’hui, celle qui repeint l’époque à son image.

Décidément, la pandémie mondiale a fait pas mal de remue-ménage, surtout dans certains secteurs comme celui du tourisme. Alors que le tourisme de proximité – voyager moins loin et avec des transports plus propres – s’est démocratisé, l’éternel débat de l’avion leader pollueur reste dans les esprits.
Je me suis lancée dans le secteur du tourisme, car le voyage a toujours fait vibrer mon coeur. Ecoféministe depuis quelques années maintenant, j’ai torturé mon esprit des heures durant afin de repenser voyage et avion. En tant que professionnelle du tourisme, je souhaitais aborder avec vous cette question. 

Alors, si on en parlait, de l’avion ?

D’après de nombreuses études, le secteur aérien équivaudrait à 2% des émissions de gaz à effet de serre en France. Si peu ? Les vols internationaux ne sont généralement pas pris en compte, ce qui donne l’impression que, finalement, prendre l’avion ce n’est pas si grave. Oui mais non. Selon le Reporterre, ”en 2018, plus de la moitié des touristes internationaux qui ont franchi une frontière l’ont fait en avion.” Sans surprise, c’est le seul moyen de transport pour passer d’un continent à l’autre. Les transports sont d’ailleurs le premier poste touristique émetteur de GES (Gaz à Effet de Serre), suivi par l’hébergement. À partir de ces constats, il est temps de se poser la question suivante : lorsque je prends l’avion, suis-je un·e voyageur·euse ou un·e serial killer·euse ? 

Alors, voyageur·euse ou serial killer·euse ?

En vue des éléments exposés, tout pousse à croire que prendre l’avion, c’est détruire la planète à petit feu… Pierre Périer, sociologue français, a catégorisé les membres des classes populaires qui ne partaient pas en vacances et a découvert que « des familles populaires qui vivent dans des petites maisons, d’une économie liée à la vie rurale, au potager, au bricolage et qui sont attachées à ce que le temps soit utilement utilisé » ne souhaitaient pas partir en vacances. Dans un monde où l’on capitalise chacune de nos actions, dont celle de partir en vacances, la possibilité de refuser de partir pour profiter plus sereinement de son temps est réalisée par certaines familles françaises qui souhaitent revenir à l’essentiel. 

D’après Rodolphe Christin, le fameux écrivain et sociologue connu pour son oeuvre Le Manuel de l’antitourisme : “On a beaucoup parlé de honte de prendre l’avion mais cette réflexion sur les transports n’est pas une remise en question fondamentale du modèle, seulement une adaptation qui vise à faire croire qu’on va pouvoir faire du tourisme avec un impact moindre. C’est illusoire. Pour diminuer l’impact du tourisme, il faut moins de tourisme. » 

Néanmoins, diminuer le tourisme soulève la question de la rentabilité, et donc de l’économie touristique. Sans entrer dans une vision capitaliste du tourisme, il y a une réelle question sociale. Le secteur touristique représente aujourd’hui 9% du PIB (produit intérieur brut) mondial et embauche des millions de personnes. Le tourisme fait vivre des pays qui en sont fortement dépendants comme le Bangladesh. Refuser de partir loin, ce serait donc, indirectement, mettre en péril l’économie de  certains pays. Alors que certain·e·s activistes ont changé leur mode de vie et ont opté pour “une mobilité plus conviviale », hors des vacances, dans le but de “partager des luttes et des prises de conscience.” (Rodolphe Christin). Bémol, cette nouvelle vision du tourisme favorise des hébergements gratuits (chez des proches, woofing, etc.). Coup dur pour l’économie touristique. 

Tunnel sans fin ou renouveau à l’horizon ?

Il me semble qu’aujourd’hui, le virage des professionnel·le·s du tourisme est imminent. Il n’est plus question de désigner l’avion comme unique cause du réchauffement climatique, ce n’est qu’une problématique parmi tant d’autres. La solution est de revoir nos modes de consommation touristique et nos imaginaires quant au tourisme. Bien que les voyageurs·euses se tournent peu à peu vers un tourisme plus responsable, certain·e·s professionnel·le·s sont encore à la traîne. Alors qu’une grande majorité des OGD (Organismes de Gestion de Destination) placent le développement durable au cœur de leurs actions, les tour-opérateurs (entreprises qui organisent des séjours touristiques) n’ont pas tous eu le déclic. Voyages tout compris pour deux semaines à 2000€ ou comment consommer à outrance sans raisonnement (je vous conseille de lire ma chronique précédente “Sommes-nous déconnecté·e·s de nos racines” pour en apprendre plus sur le sujet). Une chose est sûre, ce sont aux professionnel·le·s B2C (business to customer soit les professionnel·le·s en relation directe avec les touristes) de construire des offres touristiques plus durables. Et pour des conseils pour voyager de manière plus durable, rendez-vous le mois prochain pour la prochaine chronique !

Sources :

https://www.icao.int/Newsroom/Pages/FR/Solid-passenger-traffic-growth-and-moderate-air-cargo-demand-in-2018.aspx

https://ecosociete.org/livres/manuel-de-l-antitourisme

Sommes-nous déconnecté·e·s de nos racines ?

Par Une Voyageuse Heureuse

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure. Sans compromis, elles vous entraînent dans les pensées de la jeunesse d’aujourd’hui, celle qui repeint l’époque à son image.

Aujourd’hui, on part en voyage avec Une Voyageuse Heureuse.

François Huet est le créateur de (X)pérentiel, le podcast du tourisme positif, pour un tourisme respectueux de la planète et du vivant. Dans l’épisode 95, il accueille Frederika Van Ingen, journaliste et auteure sur le thème de la déconnexion. À travers cette chronique, je souhaite me pencher plus en détail sur le voyage et la quête de soi évoqués dans cet épisode de podcast. 

L’illusion du voyage

Le Grand Tour est né au XVIIIème siècle. Il consiste en un voyage initiatique autour des pays européens afin d’acquérir des connaissances sur le monde et de grandir intellectuellement. Bien sûr, ce voyage était destiné à des hommes de classes aristocratiques. 

Alors qu’aujourd’hui le voyage est plus accessible, notamment grâce aux compagnies aériennes low-cost, je me pose la question suivante : voyager pour accéder à de nouvelles cultures et à de nouveaux modes de pensée n’est-il pas en soi, une démarche purement égoïste ?

À l’origine, on voyage lors de nos congés pour décompresser, prendre le soleil, se relaxer, en bref, lâcher-prise. Puisque les vacances (chez les Français·e·s) ne durent généralement pas plus de 2 semaines, il faut rentabiliser son temps (vision linéaire du monde qui se traduit par une consommation irraisonné pour atteindre un objectif donné). Donc, on part loin, mais rapidement, et on consomme vite et sans se poser de questions (notamment sur les conséquences sociales et environnementales de nos actions). Et en même temps, on est en vacances et pas là pour penser à nos faits et gestes. Le tableau que je viens de vous dépeindre se nomme le surtourisme.
Fort heureusement, la pandémie a accéléré la prise de conscience écologique et les voyageurs·euses tendent vers un tourisme plus respectueux de l’environnement. Malgré tout, a-t-on réellement besoin de partir loin pour apprendre et développer de nouvelles connaissances ? Bien sûr, certains peuples et populations peuvent nous inspirer par leur mode de vie et leur mode de pensée, comme nous le montre Frederika en parlant des peuples racines. Néanmoins, ce sentiment de retour à l’essentiel que l’on expérimente lors d’un voyage, le gardons-nous à notre retour ? Ou vivons-nous simplement cette expérience  sur le moment présent pour en garder un bon souvenir à notre retour ? En tant que nomades sédentarisés, ce sentiment est plus fort que nous mais nos modes de vie actuels nous poussent à nous poser les bonnes questions. 

Le monde dans lequel nous vivons

Le monde actuel nous a déconnectés de nos racines. L’agriculture intensive, la révolution industrielle et le virtuel nous ont éloignés de notre nature profonde (vivre selon son instinct, en harmonie avec son environnement et ses congénères) et nous incitent à avoir une vision linéaire de la vie avec un objectif de rendements. Les peuples racines (autochtones) eux, ont réussi à garder une vision cyclique de la vie, que l’on retrouve dans le vivant (cycle jour – nuit, les saisons, le cycle menstruel).

Ils ont su rester reliés à la Terre et au monde naturel dont ils font partie. Les peuples racines accompagnent les enfants de la tribu à découvrir qui iels sont pour qu’iels trouvent leur place au sein du groupe, ce qui permet de laisser tomber l’ego et de faire partie du vivant. C’est d’ailleurs une notion développée dans le livre Animal de Cyril Dion. 

Comment se reconnecter à soi et au monde ?

Tout d’abord, il est primordial de créer des espaces de silence. Le silence permet de se reconnecter à ses sens et d’aller au plus profond de soi afin d’analyser nos blessures. Car oui, des blessures, nous en avons toustes. Qu’elles soient liées à l’enfance (référence aux 5 blessures qui empêchent d’être soi-même de Lise Bourbeau), aux discriminations systémiques (racisme, homophobie, transphobie, etc.) ou à nos relations passées, les différents traumatismes rencontrés au sein de notre vie nous déconnectent de nos émotions et créer des mécanismes de défense, dont l’ego fait partie. Et l’ego est le principal frein à l’ouverture aux autres, notamment dans le voyage. 

Enfin, je voudrais conclure sur la notion d’inter-relation, très présente chez les peuples racines. Cette notion implique le partage à l’autre, la transmission d’un message plus grand que soi. Ce que l’on fait généralement en voyage, pourrait donc se trouver au coin de votre rue. Alors oui, le tourisme aujourd’hui a des aspects négatifs qu’il faut garder à l’esprit, mais il apporte également une très grande richesse pour celles·ceux qui savent l’accueillir au quotidien. Comme l’a dit Audrey Hepburn : “Il y a des voyages qui se font avec un seul bagage : le cœur. » À vous de commencer le votre…

Sources :

https://open.spotify.com/episode/0lzQ9urlSmqlKyONXaCfqW?si=3e82d8e7d7e84992
5 blessures qui empêchent d’être soi-même de Lise Bourbeau
Animal, Cyril Dion