Boulets de canon

Par Charlotte Giorgi

Je n’ai aucune pudeur et j’ai toujours eu mille choses à dire. La rencontre entre ces deux faits a été l’origine de ce média. J’ai souvent ressenti un décalage entre ce qu’il pouvait m’arriver de raconter, de montrer, de partager, et la réception, parfois un peu perplexe et gênée, de ce qui sortait de ma bouche. Au lieu de m’en embarrasser, j’ai toujours eu l’intuition qu’il fallait creuser les malaises pour trouver le vrai monde, derrière.  

Photo de Jose G. Ortega Castro sur Unsplash

            C’est devenu mon travail. Raconter, dire, et s’autoriser les mots qu’on ne veut pas entendre. Chiasse. Pute. Merde. Tromper son mec, manger les riches. Des trucs comme ça, qui choquent et qui provoquent. Pas pour choquer ni pour provoquer, mais pour toucher au réel, au plus proche.

Pourquoi cette obsession de la vérité ? Pas la vérité rationnelle, factuelle, mécanique. La part vraie de ce qui sort de nous sans qu’on ne le veuille, la vérité de la spontanéité. Je cherche l’humain, je cherche ce dont on ne peut se défaire, je cherche à emprisonner dans les mots les névroses et les plaies qui ne se referment pas. Je cherche à être lucide pour ne pas me faire avoir, je veux pouvoir dire « je sais » quand je perds le contrôle, je veux empêcher le bonheur de s’effilocher, garder les moments qui m’ont sciée, les éraflures et l’amour précisément comme il était. Je veux avaler la vérité, la digérer, je veux pouvoir voir ses contours, me vautrer dedans au point où ça devient insoutenable.

            Ça n’a jamais été vraiment une question. Mon métier, c’est de ne pas être pudique. Étaler les émotions, leur bâtir un temple où tout est permis pour faire du bien, déconstruire et reconstruire, exister. Notre média raconte l’intime, la société au fond des tripes. Le journal intime. C’est aussi ce que je suis ; on ne me lit pas comme un livre ouvert moi, on me lit comme un journal intime. Je n’ai jamais imaginé qu’il pouvait y avoir des limites à ce feu de paroles qui m’a toujours réchauffée.

            La peur, est la seule limite, et je l’ai trouvée. Bonjour, la peur.

            Après la sortie du podcast Disparaître, qui raconte comment j’ai raté une histoire d’amour pour explorer l’univers des relations au XXIe siècle, tout un tas de messages me sont parvenus. Beaucoup d’histoires à lire, beaucoup de détresses et d’envies d’échange, et dieu comme moi aussi j’ai envie de discuter. Mais après, aussi, l’agressivité, parce que je ne réponds pas, l’exigence de réciprocité, la découverte que je ne suis pas que ça, que celle qui parle d’amour, mais que je suis aussi engagée, politisée, que ça ne leur plaît pas, qu’ils savent où me trouver, qu’ils peuvent me menacer, me torpiller, croire que mon ouverture publique est une brèche dans laquelle je les ai autorisés à entrer.

            Petit à petit, je tâtonne. J’apprends à tracer les frontières entre public et privé, ces frontières que je n’ai jamais vues et qui me paraissent maintenant être des digues. Car même si mes choix sont conscients, si l’exposition est faite sciemment, même si je choisis les parts de moi que je montre au monde, je n’ai pas la main sur la réception qui en est faite. Je n’ai pas le moyen de n’être pas résumée à ça. Ou de m’assurer que l’interprétation qu’en feront les gens sera la même que celle que j’ai imaginée.

            Avec le militantisme, viennent aussi les questions. Si le vent tourne, ma transparence absolue me fait courir des risques. Je dois aussi penser à me protéger, physiquement. Il m’est arrivé, après des prises de position virulentes, de penser deux secondes qu’on pouvait m’attendre au coin de la rue pour me tabasser. C’est aussi ça, parler des tripes. Sortir du rationnel et de l’intellect, c’est aussi foncer droit dans la vie, et ce n’est pas anodin, ni sans incidences.

            Partager l’intime sur le média, c’est un parti pris. L’envie de vous attraper, de percuter la part sensible qui va se débattre un peu une fois dévoilée, mais qui palpite de manière plus intéressante que n’importe quoi d’autre. C’est la volonté de se réapproprier cette société menée à la baguette par des experts qui font tout pour nous en désintéresser. C’est un choix, une ligne, un combat aussi, pour que toute cette encre coule au bon endroit, et qu’on n’entende plus dire que ce n’est pas ce qui compte et ce qui importe. Il ne s’agira jamais de laver du linge sale en public. Heurter par la forme, toucher le fond des sujets autrement, parce qu’on coule dedans, permettre de voir le monde comme il est : pluriel.

            Je voulais dire ici que ce n’est pas tous les jours facile, et que rien ne m’agace plus que les gens qui trouvent ça futile et vulgaire et petit, alors qu’on a devant nous l’immensité des ombres. Je voulais dire que je suis fière de ce qu’on fait ici, pas par hasard ou parce qu’on ne sait rien dire d’autre, mais avec la volonté de traverser l’époque comme des boulets de canon – en lui souhaitant le meilleur.

“La possibilité d’une existence bien vécue”

Par Jonas

Chaque mois, Jonas poursuit sa réflexion sur le monde du travail et ses implacables dérives dans sa chronique « Tout travail mérite sa laisse ».  Aujourd’hui, il pose ses questions à un spécialiste du revenu d’existence, Guillaume Mathelier.

Guillaume Mathelier interviewé par Jonas

Le mois dernier, je vous parlais des pistes pour questionner notre rapport au travail et s’affranchir de ces boulots abrutissants qu’on ne fait que pour obtenir un salaire. Moi, mon dernier employeur, c’était une petite mairie haut-savoyarde : Ambilly. Et ça tombe très bien puisque le maire d’Ambilly, Guillaume Mathelier, est Docteur en Sciences Politiques et auteur du livre Un revenu d’existence pour toute la vie (éd. Le bord de l’eau, 2022). 

Je suis donc allé le rencontrer en mars pour lui poser quelques questions.

Bonjour Guillaume Mathelier, merci de nous recevoir. 

Pour commencer :  pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le revenu universel de base?

Alors déjà, je préfère revenu d’existence pour une raison simple : c’est que je considère que si la mise en place d’un tel revenu devait exister il serait pour une certaine intention et cette intention ça serait de donner les possibilités de mener une existence bien vécue

Et la définition, de base, du revenu universel (ou de l’allocation universelle ou des autres terminologies), c’est que c’est un revenu qui est donné (il peut y avoir plusieurs temporalités, ça peut être à partir de la naissance, à partir de 18 ans), individuellement (c’est-à-dire sur une base individuelle et universelle) et bien évidemment sans contrepartie et sans aucune condition. 

Il y a une définition qui est une définition plutôt universelle qui est d’ailleurs la définition du Mouvement Français pour un Revenu de Base mais aussi de tout le Basic Income Earth Network qui permet en fait à l’ensemble des chercheurs des militants associatifs ou autre de se reconnaître autour d’une version.

Est-ce que le montant de ce revenu est évalué? Et surtout, comment est-ce qu’on le finance? 

La question du financement est fondamentale bien évidemment mais le problème, c’est que, quand on parle du revenu d’existence, on a tendance à tout de suite dire “Oui mais comment on finance?” Mon propos c’est de dire d’abord : est-ce qu’on est tous d’accord que c’est une bonne action? Est-ce qu’on est tous d’accord qu’avoir un revenu d’existence apparaîtrait assez naturel par rapport à tout ce que l’on a fait progresser dans notre société?  Si vous êtes d’accord avec moi, à ce moment-là on peut trouver des solutions de financement. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, il y a une fracture et vous allez défendre un autre modèle de société. Ça, c’est le premier point.

“Un héritage pour tous”

Avant de parler du financement, il faut aussi parler des modalités de distribution.

Je défends un revenu d’existence tout au long de la vie et je détermine une modalité de 0 à 18 ans où ce revenu est capitalisé et versé dans ce que j’appelle un capital d’émancipation qui sera délivré à 18 ans. 

En somme, on change la psychologie des enfants sur le fait qu’ils vont avoir un héritage à 18 ans. Un héritage pour tous comme dirait Thomas Piketty. Mais ça change aussi la psychologie des parents qui n’ont pas toujours besoin de se saigner pour leurs enfants. Ça leur enlève un poids sur cette responsabilité financière. 

Et puis à partir de 18 ans, je détermine qu’il y a un revenu d’existence qui est versé jusqu’à la fin de notre vie. 

Ce n’est pas substitutif à l’emploi, ça n’a rien à voir. Des fois j’entends “Il vaudrait mieux parler du partage du temps de travail”. Mais rien ne nous empêche de parler du partage du temps de travail.
Ca n’est pas une aide non plus donc ça n’est pas substitutif à l’emploi. Ça n’est pas une aide sociale, ça ne peut pas être soumis à la conjoncture. C’est quelque chose de l’ordre de la structure puisque l’on parle justement de la naissance et que la naissance est bien un point de vue structurel de départ sur la pyramide des âges, sur l’évolution de notre société, etc.

Sur les modalités de financement, j’imagine que la première part est une part de capitalisation. Je fais exprès d’utiliser le mot capital parce que je pense qu’il faut s’approprier le mot de ses ennemis. Et comme j’ai des véritables tendances anti-capitalistes, je pense qu’il faut aller chercher l’argent là où il existe. Notamment sur l’héritage, sur la transmission de patrimoines

Quant au revenu d’existence dans sa forme régulière et mensuelle, j’imagine que ça peut être de la taxation normale mais ça peut être aussi quelque chose qui est lié à tout ce qui est microtransaction. Par exemple, à chaque fois que j’utilise la carte de crédit, que je paye en ligne ou que je fais quelque chose en ligne, et bien 0,01% part dans un fond qui permet ensuite d’être reversé.

On arrive à des modèles qui sont des modèles d’équilibre. 

Et si on arrive à mettre sur pied un revenu d’existence, il y a un certain nombre d’aides sociales qui n’ont plus besoin d’être délivrées. Par exemple le RSA. Le RSA n’est ni plus ni moins qu’un revenu d’existence mais pour ceux qui en auraient fait la demande à un moment où ils n’ont plus le chômage ou ils se retrouvent en difficulté. Sauf que le RSA est soumis à une véritable industrie de contrôle et cette industrie de contrôle, elle passe au Pôle Emploi, elle passe à la mairie, elle passe sur des aides d’états, elle passe sur un certain nombre de choses qui font qu’à un moment il vous manque un document et bien vous pouvez avoir votre RSA qui est enlevé. Moi je pense que cette industrie de contrôle doit disparaître. Pour remettre aussi ceux qui sont au cœur du travail social, notamment des assistants sociaux dans nos collectivités, au cœur du travail pour le soutien à la famille sur le budget, sur l’aide aux enfants. 

Quelles sont les expériences existantes qui se rapprochent d’un revenu d’existence et quelles sont les conclusions qui en ont été tirées?

Alors, il n’y a pas un modèle qui a été mis en place à grande échelle. Il y a des modèles qui ont été testés notamment en Finlande, au Canada. Il y a aussi un système de dotation qui en Alaska où c’est lié aux rentes du pétrole et c’est pas non plus un revenu d’existence mais il y a quelques pensées là-dessus.

“Un revenu d’existence qui ne dit pas son nom”


Mais je pense qu’il faut réfléchir différemment en se demandant s’il n’y aurait pas des systèmes qui ressembleraient au revenu d’existence mais qui ne diraient pas leur nom. Et là, je pense notamment au service public. Parce qu’en fait le service public, c’est, pour moi, un revenu d’existence ou une part du revenu d’existence qui ne dit pas son nom. Quand vous avez une éducation gratuite ou quand vous avez une santé, on va dire de base, gratuite. Elle est universelle, personne n’en est exclu. 

L’éducation n’a pas toujours été gratuite et universelle et donc on peut savoir par l’absurde ce que coûte le prix de l’éducation et je peux vous garantir que si on enlevait les coûts de l’éducation et qu’on les faisait porter par les individus ça serait autre chose.

Donc dans le service public, il y a les ferments de ce qui pourrait être un revenu d’existence. 

Une des critiques qui revient constamment sur les propositions de revenu d’existence concerne le fait qu’on pense que si les gens percevaient un revenu constant, ils ne feraient plus rien. La crainte d’une société de fainéants inactifs en somme. Vous en pensez quoi?

La question à laquelle il faut répondre, c’est “Qui est celui qui nous dit ça?” Certains ont un intérêt à nous dire ça. Notamment ceux qui veulent nous dire aussi qu’il n’y a que le travail qui compte, que le travail est la seule réalisation possible, etc. 

Moi souvent je leur oppose un truc très simple c’est : ah bon, il n’y a que le travail qui compte? Alors quel travail? Déjà, on déconstruit la chose, on dit de quel travail il s’agit. Aujourd’hui en France, s’il y avait une grève des bénévoles, le pays s’effondrerait en une semaine. Tout ça, c’est une part de travail qui n’est pas rémunéré.

Pour moi la France qui travaille, c’est la France de l’emploi salarié et aussi c’est la France de tous ceux qui n’ont pas d’emploi salarié et qui font la richesse de ce pays et qui font l’utilité sociale et économique de ce pays. Donc ça c’est une première porte qu’il faut enfoncer.

Ensuite, sur le fait que si on donnait un revenu les gens ne travailleraient pas. Ok, très bien, alors tous ceux qui, aujourd’hui, touchent des rentes du capital et des rentes du patrimoine, est-ce qu’ils travaillent? Non, c’est leur argent qui travaille, ce n’est pas eux qui travaillent. Donc non, ce monde-là est un monde beaucoup trop simpliste. Il y a une inclination particulière à œuvrer pour les autres parce que nous sommes dans une humanité où l’individu lui-même est un animal politique comme le disait nos antiques et donc enclin à se tourner vers l’autre. 

Je ne crois pas à la douce fable qui voudrait qu’à partir du moment où on toucherait 500€, par mois on resterait tranquille à la maison. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai. Au contraire, les études de psychologie ont plutôt montré que quand on donnait cet argent-là, on avait plus de poids dans la discussion avec son employeur, son futur employeur aussi, sur le retrait du travail et qu’on allait vers d’autres missions, plus tournées vers l’autre. Qui nous amènent notamment vers le bénévolat ou vers d’autres types d’activités. 

Et si là-dedans vous avez 5 % de gens qui décident de ne pas travailler, et bien qu’ils décident de ne pas travailler, ils ne seront pas un poids pour la société puisque tout le monde décidera collectivement que le revenu d’existence doit être donné à tout le monde.

Et que, Bernard Arnault, ou d’autres qui gagnent bien leur vie, payeraient peut-être plus pour avoir dans le système commun un revenu d’existence plus bas. Mais l’objectif, c’est de mettre à niveau tout ça et de dire que chacun à partir de sa naissance touche le même revenu d’existence.

Petite plongée dans l’actualité avec la contestation qui bat son plein face à la réforme des retraites. Qu’inspire à l’élu que vous êtes cette actualité liée à notre sujet d’étude? 

Aujourd’hui, on est donc le 8 mars, journée internationale des droits des femmes et lendemain de la sixième journée de mobilisation en opposition à la réforme des retraites. 

Cette réforme des retraites, je la trouve précipitée. Elle ne fait pas honneur à la réflexion avec les corps intermédiaires et avec le ciment de la société. Le gouvernement préfère continuer le rapport de force et ça je dirais que s’il y avait un changement à opérer, il faudrait que ce soit celui-là. C’est-à-dire qu’il y ait davantage de concertation au départ de tous les grands changements sociétaux sociaux.

“La politique peut les choses”

Je pense aussi que les individus ont leur part de responsabilité d’avoir lâché depuis un moment la politique. Et bien quand on a lâché ça, on peut pas s’en vouloir et d’une certaine manière, on a les dirigeants qu’on mérite. Et quand on a les dirigeants qu’on mérite, à un moment on peut pas non plus penser qu’il ne peut pas y avoir de conséquences sur notre quotidien. 

Il faut vraiment qu’il y ait cette prise de conscience : la politique peut les choses. Et autre chose que le vote, la politique peut changer les choses parce que la politique, c’est nous. Il faut retrouver ce discours qui soit un discours de pacte social, de communs à préserver et la démocratie est attaquée chaque jour.

Pour revenir sur le revenu d’existence, il pourrait nous permettre de subvenir à une partie de nos besoins à l’âge que l’on veut. C’est-à-dire qu’on pourrait se retirer, notamment du champ économique, de l’emploi en gardant un revenu nous permettant une existence digne.

Mais d’ailleurs est-ce qu’on a besoin d’un âge comme celui-là? Je suis un peu partagé. Quand il n’y a plus de limite, il n’y a plus de repère non plus. Or, dans notre société et dans notre humanité, on a besoin de repères.

Donc qu’est-ce qui doit refaire, à nouveau, repère collectif ? La bataille des 64 ans, c’est dire qu’à un moment on doit avoir des repères collectifs. Le dimanche les magasins sont fermés, indépendamment de la religion, c’est un repère collectif, c’est pour se retrouver.

On doit retrouver des limites. C’est quasi géographique. Dans nos géographies individuelles, philosophiquement, c’est quelque chose qui doit avoir de la résonance.

Ce qui m’inquiète beaucoup dans cette loi et globalement dans l’uniformisation de la société, c’est de laisser de côté les cas particuliers. Certains emplois peuvent facilement se faire après 64 ans tandis que d’autres sont absolument inenvisageables. Est-ce que ce revenu universel ne serait pas une solution pour offrir à chacun le choix de poursuivre ou non son activité?

Un âge limite, c’est un âge où on considère, globalement, que chaque individu a le droit à. Maintenant, avec le revenu d’existence, il pourrait le déclencher au moment qui lui paraît le plus opportun. Tout au long de sa vie, il pourrait dire “Moi, à 40 ans j’ai un revenu d’existence, je n’ai pas besoin de grand-chose pour ma subsistance. Je peux travailler à 20, à 30, à 50% et faire d’autres choses à côté mais je sais que je peux me retirer de l’emploi si je sais vivre de manière un peu plus frugale.”

Pourquoi pas. Et encore une fois, je pense que ce qui est très important pour ceux qui nous écoutent, c’est de refaire le point une fois pour toute sur ce qu’est le travail

Le travail, c’est quelque chose qui est au-delà de l’emploi salarié et qui a une utilité sociale. C’est la définition que j’en ferai. 

Merci pour cet entretien, on vous laisse le mot de la fin

Le mot de la fin, c’est engagez-vous ! Quel que soit le niveau de votre engagement, que ça soit au niveau local, au niveau national. Et surtout, faites en sorte qu’il y ait du collectif à cet engagement. C’est bien d’avoir des causes, mais les causes sont belles quand elles deviennent des causes collectives. 

L’ensemble de la conversation est disponible ici

ZoomZoomZen, podcast France Inter

Un revenu d’existence pour toute la vie, Guillaume Mathelier

https://direkris.itch.io/you-are-jeff-bezos

NB : Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Lire la chronique précédente de Jonas : https://motuslemedia.fr/2023/03/26/travail-a-la-con/

Travail à la con !

Par Jonas

Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Chaque mois, Jonas poursuit sa réflexion sur le monde du travail et ses implacables dérives dans sa chronique « Tout travail mérite sa laisse ». Aujourd’hui, il aborde la notion du « bullshit job » et ce qu’elle raconte de notre société.

Si j’en suis arrivé à tellement me questionner sur le travail c’est probablement car j’ai été employé à faire des taches absolument nulles, inutiles et même parfois nocives.
Étudiant, j’ai notamment bossé dans un célèbre fast-food et je me rappelle comme si c’était hier de la véhémence avec laquelle mon manager exigeait de moi de rester actif quoi qu’il arrive. Pas de clients, et bien va nettoyer les tables. Les tables sont propres alors plie les boîtes à burger. Les boîtes à burger sont pliées, va trier les frites de la plus petite à la plus grande. Et ainsi de suite jusqu’à l’absurde. Etais-je la seule victime de cette machination cruelle?

Apparemment non. Quelques années après avoir quitté ce poste, je tombais sur un article qui était en train de faire le tour du monde : Le phénomène des jobs à la con de David Graeber. Dans cet article (et plus tard dans son livre), Graeber théorisait l’existence de ces jobs à la con (“bullshit jobs”) et révélait en plus qu’ils concernaient un nombre important et grandissant de personnes. 

Pour définir si un job est à la con ou non, Graeber a utilisé une technique toute simple se basant sur un critère infaillible : l’opinion de celui qui l’exerce. En effet, qui de mieux placé que l’employé lui-même pour savoir si ce qu’il fait chaque jour est utile ou non.
Et figurez-vous que plusieurs enquêtes ont été menées et arrivent globalement à un résultat similaire : plus d’un tiers des sondés déclarent leur job comme étant inutile. Un TIERS !
D’année en année le mal-être au travail progresse comme le montre une étude de 2022 qui indique que 41% des travailleurs sont en détresse. 

Ce constat est dramatique et mériterait qu’on y cherche une solution mais une multitude de blocages et de pressions s’exercent, à commencer par le manque d’information et l’incapacité d’imaginer une autre réalité.

Il y a pourtant des pistes et des éléments de réponse à ce véritable problème de fond. A travers cet article, je vous propose de survoler quelques concepts sur lesquels je reviendrai dans les prochains mois.

Depuis la crise du Covid, un mouvement parti des USA semble être arrivé en France et plus largement dans l’ensemble des pays occidentaux. Il s’agit de ce qui a été caractérisé comme “La grande désertion” : une volonté des jeunes (majoritairement) de quitter un emploi dès lors que celui-ci n’était pas en accord avec des convictions écologiques, sociales ou autres. Derrière le buzz et les démissions en cascade savamment mises en scène et diffusées sur les réseaux, il y a une profonde remise en question, l’interrogation de nos valeurs et la volonté de s’impliquer dans une activité à laquelle on croit. Le témoignage des jeunes diplômés de Paris AgroTech à leur remise des diplômes et l’engouement qui a suivi la vidéo est un message fort envoyé à toutes les grosses industries capitalistes : nous ne voulons plus de vos règles !

A l’intérieur même du monde professionnel, plusieurs ajustements semblent être en train de faire leurs preuves et servent à questionner notre modèle traditionnel. Il y a notamment l’essor massif de l’auto-entreprise (avec un chiffre record de plus d’un million de créations d’entreprises en 2022). Cette volonté de s’autonomiser, de s’organiser son rythme et ses horaires sont des signes révélateurs de changement. Dans ce cas-ci, attention au revers de la médaille, à l’uberisation à tout-va et à la perte des acquis sociaux conquis de haute lutte.
Parallèlement, il y a de plus en plus de personnes qui cherchent à moduler leur emploi du temps au sein même de l’entreprise. Le temps partiel se généralise, le télétravail a explosé depuis le Covid et de plus en plus d’employés veulent franchir le cap.
Là encore, ne nous extasions pas trop vite en se laissant aller à un optimisme béat car les dérives existent (40 heures de travail sur 4 jours, l’impossibilité de tracer la barrière entre vie pro et privée, la perte de liens sociaux, etc.) mais il est indéniable toutefois que ces questions en appellent d’autres et que notre organisation a pour vocation de se transformer et de s’adapter à l’époque.

Je termine par un court aperçu de ce qui pourrait être une véritable révolution et dont je vous parlerai plus en longueur le mois prochain : le revenu inconditionnel de base (et ses “variantes” : salaire à vie, revenu d’existence, etc.) Il s’agit d’un outil qui permettrait à chaque citoyen d’obtenir sans aucune contrepartie ni surveillance une somme versée par l’État pour lui permettre de mener une existence digne. Ce revenu est étudié par des spécialistes depuis déjà des décennies et des recherches et des expériences ont été réalisées pour valider sa rationalité. Sa mise en œuvre et sa forme précise varient mais son objectif est toujours le même : libérer le citoyen de la pression du salariat. 

Le mois prochain, j’approfondirai cette proposition émancipatrice avec un entretien avec Guillaume Mathelier, auteur de “Un revenu d’existence pour toute la vie”.

En vous partageant tout ça, je me rends bien compte du caractère caricatural de mes articles un peu simplistes. Pour compenser, je vous laisse encore trois références indispensables qui vous aideront à poursuivre par vous-même cette longue exploration.

Sources :

Lire la chronique du mois précédent : https://motuslemedia.fr/2023/02/20/redefinir-le-travail/

Redéfinir le travail

Par Jonas

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Dans sa chronique Tout travail mérite sa laisse, Jonas nous propose une réflexion sur le travail, et c’est d’actualité.

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Mon dernier boulot, c’était prof de ping-pong. Oui, ça me fait encore parfois bizarre de l’écrire mais pourtant… 

C’est notamment grâce à ce métier que j’ai commencé à ouvrir les yeux sur les barrières symboliques qu’on essaye de construire entre le salariat et le loisir, entre la passion et le labeur, entre l’argent et le bénévolat. J’ai toujours senti qu’il y a comme un fossé entre ce qui est dur, fatiguant et digne de rémunération face à ce qui est drôle, récréatif et pour lequel on doit même dépenser de l’argent. 

Mais alors le travail, c’est quoi au juste? 

Son origine déjà, fait débat. De nombreuses sources relèvent le lien avec le terme latin tripalium, un instrument de torture constitué de trois pieux. Bien que savoureuse autant qu’effrayante, cette racine latine est loin de faire l’unanimité chez les historiens comme chez les sociologues.
Plusieurs autres hypothèses sont soulevées sans toutefois arriver à un accord unanime. On évoque notamment le latin trabs qui signifie poutre et pourrait marquer l’action de contraindre. 

Le préfixe tra- du latin tran– revient souvent et marque l’idée de passage d’un état à un autre.
Mais le mot anglais travel pourrait aussi venir d’un vieux français marquant là le déplacement ou le fait de faire un effort pour atteindre un résultat.

Marie-Anne Dujarier, sociologue et autrice de Troubles dans le travail, retrace l’utilisation du terme et remarque que jusqu’au 11e siècle, le concept même de travail n’existe pas. C’est donc au début de Moyen-Âge qu’on définit le travail comme étant l’action de faire quelque chose, l’effort, la peine qu’on se donne. Vers la fin du Moyen-Âge (au 14e), le mot va servir à définir le résultat de quelque chose, on dira des artisans qu’ils font du beau travail. Et puis un troisième usage arrive durant le 16e siècle avec l’idée que le travail est synonyme de gagne-pain, d’emploi comme on le confond encore régulièrement. Ces trois usages sont encore la source de nombreux quiproquos.

Marie-Anne Dujarier va notamment se servir des dictionnaires pour analyser l’évolution du mot et si l’on cherche à l’heure actuelle dans le Robert, les deux premières définitions du travail alimentent l’incompréhension, voyez plutôt : 

  1. Période de l’accouchement pendant laquelle se produisent les contractions. Femme en travail. Salle de travail. 
  2. Ensemble des activités humaines organisées, coordonnées en vue de produire ce qui est utile ; activité productive d’une personne. ➙ action, activité, labeur ; travailler. Travail manuel, intellectuel. L’organisation du travail. Avoir du travail.

Une des premières grandes vagues de revendications face au travail et son impact sur la société est effectivement venu de la part des féministes à la suite des mouvements de mai 68. Le travail domestique, comme on le nomme couramment, consiste à s’occuper de la maison et ce, sans la moindre contrepartie financière. On perçoit sans ambiguïté le cœur du problème. Qu’est ce qui est “digne” d’être un travail et qui le décide? 

Cette première grande vague de réflexions et de contestations lancée par les femmes et rapidement suivie par les autres minorités, artistes, bénévoles, handicapés, malades, etc. va se prolonger au début de notre siècle suite à la révolution numérique. 

Plusieurs nouvelles questions se posent en effet pour arriver à compartimenter le travail et ce qui ne l’est pas. Prenons l’exemple du télétravail, à partir de quand sommes-nous effectivement en train de travailler? Et lorsqu’on parle de nos pratiques, à travers des séminaires ou des temps de discussions, est-ce encore du travail? Plus subtil encore, comment quantifier le travail des robots (et même des animaux) qui, indéniablement, travaillent à nous faciliter la vie? Regardez aussi le rôle des caisses automatiques qui ont supprimé le travail de caissiers pour le déléguer aux machines et aux consommateurs.

Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre de façon tranchée mais qui illustrent la complexité d’un terme fourre-tout qu’on utilise à toutes les sauces.

Faut-il alors bannir le (mot) travail? Questionnement central pour lequel il me semble indispensable d’adopter une attitude quasi schizophrénique qui consisterait à la fois à banaliser le terme et à le sacraliser en même temps! 

Sans préconiser une révolution lexicale, je souhaite une société consciente de l’usage du terme, une société qui accepte le travail sous toutes ses formes, sans le confondre avec l’emploi et qui accepte enfin les personnes dont la productivité ne s’affiche pas avec fierté. 

Socialement et économiquement, la révolution est en cours, le salariat décline et les auto entrepreneurs en toute sorte cassent les codes sans pourtant bénéficier des avantages garantis aux contrats stables. Si notre modèle prend l’eau, il est peut-être temps de rebâtir un nouveau contrat social qui serait basé, non plus sur le salariat, mais sur la citoyenneté et le rôle que l’on joue dans la société.



Sources

https://www.penserletravailautrement.fr/mf/2016/09/tripalium.html

https://blogs.mediapart.fr/flebas/blog/240316/l-arnaque-de-l-etymologie-du-mot-travail?fbclid=IwAR1UBsqWCCvzaXgrsDmCY7UnyIzSm3Wxy-bvsfpJ0msoKfY1p5h4XifHWJk

http://www.travaillermoins.fr/

Pour reprendre Tout travail mérite sa laisse depuis le début :

Le salariat : de la Révolution Industrielle à nos jours (2/2)

Par Jonas

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Tout travail mérite sa laisse est une chronique régulière pour penser le travail, orchestrée par Jonas.

Aujourd’hui, la suite de ce premier bout d’histoire dans le précédent billet.

Steve Cutts, Happiness

À travers ce billet, je propose une plongée historique pour prendre un peu de recul et je reçois des remarques soulignant que cette mise en perspective devrait s’appliquer de manière géographique et pas uniquement temporelle. Il est crucial en effet de souligner que les droits acquis en France sont très loin d’être appliqués partout. Dans les pays “en voie de développement”, les notions de protection sociale, droit au chômage, école pour tous, etc., sont encore souvent inexistantes. Si dans mes recherches, j’ai choisi de m’axer sur ma réalité occidentale, je ne peux ignorer que la lutte continue et doit continuer PARTOUT pour s’émanciper de la violence productiviste. 

Ceci étant dit, comprendre et connaître le passé permet de se projeter dans le futur et dans l’ailleurs. Je reprends donc le fil de l’histoire, au lendemain de mai 1936 alors que la semaine de 40 heures venait d’être instaurée en France. Et dans la foulée des bouleversements de 1936, la loi du 24 juin va fournir un cadre juridique et légal à la signature des conventions collectives. Les syndicats, patronaux et ouvriers, acquièrent alors un véritable rôle dans l’écriture du droit. 

Suite à la Seconde Guerre mondiale, les transferts de technologies de l’industrie militaire vers l’industrie civile vont générer d’importants gains de productivité. Cette productivité va offrir du temps aux ouvriers mais, paradoxalement, va les aliéner au travail en leur proposant une quantité énorme de produits à acheter. C’est le début des Trente Glorieuses, trente ans de croissance et de consommation à tout va pour suivre les nouveaux besoins d’une population active qui augmente rapidement. C’est le début de la consommation de masse et de la société des loisirs. La loi de mars 1956 décrète trois semaines de congés payés et celle de mai 1969 y ajoutera une quatrième semaine.

Cet après-guerre marque d’autres progrès incontestables comme l’établissement d’un plan de retraite unifiée. La première caisse de retraite des fonctionnaires de l’État avait été mise en place en 1790, aux lendemains de la Révolution mais avant 1930, aucun employé du secteur privé ne bénéficiait encore d’une pension de retraite. C’est le 19 octobre 1945 qu’un système de protection sociale global comprenant la retraite est mis en place et sert encore de référence à notre système actuel. À cette époque, l’âge légal pour le départ en retraite est fixé à 65 ans.

En février 1950, une loi crée le SMIG, le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti. Ce SMIG (qui deviendra en 1970 le SMIC, C pour Croissance) garantit à chaque salarié un revenu minimum. 

C’est en 1958 que, pour la première fois, un salarié ayant perdu son travail a le droit à un revenu de compensation. Dans une période de relatif plein emploi, ce « régime d’allocations spéciales aux travailleurs sans emploi » a déjà vocation à verser aux salariés au chômage un revenu de remplacement (une allocation) et à les accompagner face aux transformations du marché du travail.

Mai 68 marque une mobilisation considérable et notamment sur les questions du travail. Des millions de grévistes prennent les rues et réclament des droits plus justes. Les salaires augmenteront de 10% et le montant du SMIC augmentera de 25%.
La décennie suivante sera pourtant celle du doute, le chômage de masse s’est installé et les politiques néo-libérales vont s’affirmer aux Etats-Unis et en Angleterre. 

En France, la gauche exulte et voit François Mitterrand devenir président en 1982. Il ramène l’âge légal de la retraite à 60 ans, diminue la semaine de travail à 39 heures et instaure une cinquième semaine de congés payés.


Les années 90 marquent un retour un arrière sous couvert d’une plus grande flexibilité au travail. Le gouvernement diminue les pensions et allonge le temps de travail en 1993 avec la notion d’annualisation du temps de travail. Et la loi Robien de 1996 permet une réduction du temps de travail pour ce qui aurait pu être un vrai bouleversement et l’instauration de la semaine de quatre jours (on y reviendra).
Mais au lieu du bouleversement, la loi Aubry de juin 1998 fixe la durée légale à 35 heures hebdomadaires et abroge la loi de 1996 alors que la France compte pour la première fois plus de trois millions de chômeurs. C’est à partir de cette époque et l’entrée dans le nouveau millénaire qu’on instaure la notion de travail effectif et le fait de pointer pour aller aux toilettes ou prendre ses pauses. 

Depuis, c’est un retour en arrière caché sous le terme de “progrès”. En 2003, on introduit encore plus de flexibilité au travail et les 35 heures semblent une lointaine chimère. Les contrats courts se multiplient, les mouvements sociaux et les syndicats sont de moins en moins soutenus, les intérimaires et les travailleurs précaires se battent pour un travail et non plus pour leurs droits. L’uberisation de notre société marque le retour du travail à la tâche et la disparition des aides et de la sécurité de l’emploi.
Le monde bouge à toute vitesse, tangue plus souvent qu’à son tour et l’avenir du travail est, au mieux, incertain, au pire, angoissant. En prendre conscience, c’est déjà agir. Il y a des tonnes de documentations sur la question, prenez le temps de vous informer et n’hésitez pas à partager vos retours en commentaires.

Sources :

Une histoire du salariat. De 1945 à aujourd’hui

L’histoire des retraites

Emplois, chômage, statuts et métiers 1949-2017 A propos de quelques évolutions structurelles remarquables. 

Le salariat : de la Révolution Industrielle à nos jours (I/2)

Par Jonas

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Tout travail mérite sa laisse est une chronique régulière pour penser le travail, orchestrée par Jonas. Aujourd’hui, un peu d’histoire.

Je fais partie de la génération Y, celle d’après la chute du mur de Berlin, élevée dans l’opulence d’un bloc occidental dominant et loin des conflits armés du siècle dernier. Pourtant, cette génération est peut-être aussi la première pour qui la vie sera plus complexe que celle de ses parents. Dans un monde en perte de repères, face à l’effondrement écologique en cours, je me pose énormément de questions. 

Et souvent, je regarde le passé les yeux écarquillés, tant tout a changé si rapidement. Les premiers portables n’ont pas trente ans, Internet a globalement mon âge, la télévision couleur est arrivée quand mes parents étaient ados, bref ce qui nous représente une part considérable de notre temps libre n’existait tout bonnement pas il y a cinquante ans. 

Et le travail dans tout ça? Si les progrès technologiques ont largement contribué à diminuer notre temps de labeur, force est de constater que cette évolution n’est pas linéaire ni même à sens unique. 

Je vous propose de retracer de manière synthétique les grandes étapes du travail en France. 

Ce billet en deux parties doit beaucoup à cet article, lui-même issu du livre « En finir avec le chômage : un choix de société ! », de Jean-Christophe Giuliani.


Historiquement, le travail n’a jamais été dissocié de la vie courante. Tout le monde s’y mettait, il fallait se nourrir, se chauffer, se loger et les loisirs n’étaient tout simplement pas imaginables pour le commun des mortels. Pendant des millénaires, la vie était traversée comme une épreuve somme toute assez pénible où la survie était le lot quotidien. Il y a deux cent ans, la moyenne d’âge en France était seulement de 39 ans et les décès enfantins étaient monnaie courante. Seule une élite a eu la possibilité de s’extraire du travail en faisant travailler les masses pour elle. Depuis le Néolithique et la sédentarisation de l’humanité, les “forts” se sont accaparés les richesses (nourriture, parure, vêtements, bijoux puis plus tard maisons, villages, pays) avec la force de travail des “faibles”.

Et ces inégalités ont grossi au fil des siècles et des millénaires jusqu’à exploser depuis deux cent ans avec la rupture brutale qu’a constitué la Révolution Industrielle. C’est donc à ce moment que la notion même du travail va commencer à prendre sa forme actuelle. Les propriétaires d’usine ont besoin de main-d’œuvre et vont déloger les paysans des champs car en 1840, tout le monde travaillait 14h/jour, 7 jours sur 7, soit 98 heures par semaine et 75% de la population travaillait dans l’agriculture. 

Arrive alors en 1841 la première loi s’inquiétant des travailleurs avec l’interdiction du travail aux enfants de moins de 8 ans, puis en 1874, on élargit la loi en laissant “tranquille” les enfants jusqu’à 12 ans. Puis en 1882, la loi Jules Ferry rend l’école obligatoire de 6 à 12 ans, offrant, sous le couvert d’une école gratuite pour tous, une main-d’œuvre qualifiée aux entreprises. Les jeunes apprennent à lire, écrire et compter mais se familiarisent en même temps aux valeurs de travail, d’effort, de discipline, de ponctualité et de respect de l’autorité.

Après presque vingt ans de discussions parlementaires, c’est en 1989 que le premier droit social va enfin être obtenu. En effet, les accidents du travail sont reconnus (dans une certaine mesure, n’exagérons rien) comme étant de la responsabilité du chef d’entreprise. Pour remettre dans le contexte, si, à l’époque, vous tombiez de votre échelle en construisant une maison, c’était l’oubli et aucun revenu le temps de votre arrêt.

Le 13 juillet 1906, la loi sur le repos hebdomadaire est promulguée. Elle accorde à tous les ouvriers et les employés un repos de 24h après six jours de travail. La France est un des derniers pays d’Europe à instaurer une telle loi. Il est également décidé qu’une journée de travail ne pouvait durer plus de 10 heures. Bonheur donc, la semaine de travail de l’époque passe officiellement à 60 heures.

L’origine de la fête du 1er mai étant des manifestations pour la journée de 8 heures qui a finalement été votée au sortir de la guerre, le 23 avril 1919. Aux Etats-Unis, c’est depuis le 1er mai 1884 que la journée de 8 heures est de vigueur. Craignant une révolution sociale à l’approche du 1er mai, le gouvernement Clemenceau fit voter la loi fin avril, ce qui permet à la classe ouvrière d’obtenir un peu de temps libre, de vie sociale et familiale après la journée de travail.

Profitant de la crise économique qui touche le monde depuis le krach boursier de 1929, les grands partis de gauche s’unissent et remportent les élections de 1936. A l’issue de cette victoire, dans un mouvement d’allégresse, des grèves se multiplient partout en France, avec de nombreuses occupations d’usines. Près de 3 millions de grévistes sont recensés. A la suite des élections, une série de réformes sont votées, dont deux chamboulent l’histoire du travail en France : deux semaines de congés payés pour tous les salariés et la semaine de 40 heures (soit deux jours de congé hebdomadaire) sans diminution de salaire.

Grosso modo, en moins de cent ans, nous avons donc réussi à réduire le temps de travail de 250%. Et vous noterez aisément que, depuis moins d’un siècle, cette évolution a globalement stagné. Que s’est-il passé? Quelles étapes ont marqué notre histoire contemporaine? Je tenterai de vous expliquer ça dans le prochain épisode (sortie le …).


Un film : Modern Times
Une BD : Le choix du chômage

Une artiste : Manon Aubry

Et quelques sources :

Une histoire du salariat – 19ème siècle – un travail sans contrat de travail

Une histoire du salariat – Du salaire aux pièces au salaire au temps

Les dix dates clés de l’histoire du travail

Depuis quand les riches dominent les pauvres?

Les gens derrière Motus

Ce jeudi 12 janvier, c’est la réunion rentrée pour l’équipe de Motus. On s’installe autour de la table, on projette nos plans sur la comète sur le grand écran de la salle de réunion. On échange, on discute, on grignote, aussi un peu. On imagine comment raconter le monde, comment dire les choses bien, comment construire tous ensemble, et au mieux se laisser entraîner par la dynamique de groupe.

Ce jeudi 12 janvier, c’est la réunion rentrée pour l’équipe de Motus. Écrire cette phrase-là n’est pas anodine. Il y a encore de ça un an, il n’y avait pas de réunion de rentrée. Ce bouillonnement collectif. Ce partage entre nous.

Motus, c’est un projet en construction permanente. En déconstruction permanente, aussi. L’équipe grandit, passe de 1 à 10, à 15, se façonne, petit à petit. Et c’est aussi là le coeur du projet : tisser des liens entre nous, apprendre à écouter et à rencontrer des trajectoires de vies desquelles on est éloigné. Créer ensemble. Prendre du temps pour travailler en solidarités. Prendre du temps pour s’ouvrir, débattre, expliquer, expérimenter.

C’est donc avec un peu d’émotion qu’on vous partage cette photo de notre première réunion d’équipe en présentiel, celle qui lance une année 2023 qui s’annonce fort en chocolat (enfin, surtout en podcasts, en articles, et en autres surprises en ce qui nous concerne). Vous pouvez y voir les têtes de la moitié de l’équipe (l’autre est éparpillée aux quatre coins de France!)

L’équipe de Motus est bénévole, et ouverte aux nouvelles participations. Si vous aimez écrire ou que vous voudriez simplement prendre part à l’aventure d’une manière ou d’une autre, n’hésitez pas à nous écrire : motusetlanguependue@gmail.com 🙂

En route pour 2023, la suite, les belles aventures, les folies, les amitiés qui construisent des choses, les vents qui portent, les bras qui portent aussi, et tout le reste!

Je m’en tape

Par Charlotte Giorgi

Un billet aussi peu intéressant que les combats sociaux pour des millions de gens qui en sont pourtant tributaires. Un billet pour dire que c’est malheureux, mais que la politique n’intéresse plus grand monde et que peu importe le contenu, il faut travailler les oreilles. Faire en sorte que les mots, la hargne, l’espoir puisse tomber dedans, on sait pas trop comment.

Photo de cottonbro studio sur Pexels.com

La réforme des retraites est présentée aujourd’hui, c’est la radio qui l’a dit.

Ça me fait une belle jambe, mais je vais l’éteindre et puis passer à autre chose.

Ça ne m’intéresse pas, ça ne secoue rien en moi, ça ne me fait ni chaud ni froid. J’ai vingt-trois ans et je m’en tape.

            La retraite, c’est une autre dimension spatio-temporelle. Un truc qui arrive quand on n’a plus d’autres soucis à gérer, qu’on a fait le tour de la question, qu’on est bien obligé de mettre son nez dans les trucs pas hyper sexy.

            Oui, c’est clair. La perspective de travailler jusqu’à pas d’âge pour vivre sous le seuil de pauvreté ensuite, seule et abandonnée, non seulement de la famille que je n’aurais peut-être pas réussi à créer (les temps sont durs), mais aussi de la société qui est déjà d’accord pour me laisser tomber, ça ne me réjouit pas. Pour être honnête, ça me fout le bourdon. Mais j’ai une petite liste dans ma poche, et beaucoup de gens ont la même. Ça s’appelle « liste des problèmes par ordre d’arrivée ». Avant d’arriver à la ligne des retraites, il y a celle de la précarité étudiante, celle de l’entrée dans le monde du travail, de la crise écologique (vivrons-nous jusqu’à la retraite ?), et du chauffage qu’il va falloir payer ce mois-ci.

            C’est sûr, ça n’exclue pas le problème. Le truc, c’est que ça le repousse, et que je n’ai pas la fougue intellectuelle qui consisterait à prendre dans le blanc des yeux les problèmes qui n’en sont pas encore. Pas assez d’empathie peut-être.

C’est con. La perception de la vieillesse dans cette société me désole, et j’y participe. Je suis là, à côté du problème, à m’en foutre. Et je m’en fous assez tranquillement, c’est ça le pire. Je veux dire, vraiment j’ai les yeux vides quand j’y pense, partir à 60 ou 64 ans, la tête molle, les régimes spéciaux le 49.3 les grèves, mouvement social, CGT, âme cotonneuse.

En fait, je suis fatiguée de notre époque. J’ai plus envie de m’y intéresser.

 J’aimerais que tout aille bien et tout va mal, c’est pas ma faute alors j’en fais rien, et je me désole, je me plains même plus parce que c’est devenu tellement bateau de se plaindre, les mots n’ont plus aucun sens, les combats aucune consistance. On fait des blagues tout au plus. Je m’étonne vaguement devant des infographies, 25% des hommes les plus pauvres sont déjà morts à l’âge de la retraite. Wouah.

            Et des fois je me dis : ils pourraient nous intéresser, quand même. La moindre des choses, ce serait de rendre le sujet passionnant. Ils pourraient nous secouer comme des pruniers, nous casser les oreilles, nous rendre perméables. C’est ça qu’ils devraient faire, au lieu de lutter entre eux, de dire les mots complexes à France Info et de faire des tracts hideux. Ils devraient venir nous parler, ils devraient faire des TikToks, ils devraient être là où on est, faire que ce soit joli, attrayant. Je sais pas, voir que ça marche pas, qu’on n’a pas envie d’être avec eux, de les rejoindre, que leur combat a l’air pourrave, normé, pas intéressant, pas créatif, pas fou. Ça devrait se lire sur nos têtes qu’on mérite mieux, comme vies mais aussi comme luttes, merde. C’est nul l’époque, et c’est nul les gens qui trouvent nulle l’époque, et on avance comment après, nous, quand nos espoirs sont douchés par les gens qui sont censés les porter, et que rien n’est enthousiasmant ou beau ou porteur.

            Intéressez-nous.

            Je sais, c’est pas bien de dire ça. C’est égoïste, et petit, et autocentré.

            Mais c’est le seul moyen. Faites-nous des frissons et des colères et des choses qui ont besoin d’éclore et qui vont tout faire changer.

            Parlez-nous.

Une bouteille à la mer

Par Une Voyageuse Heureuse

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Aujourd’hui, un départ, une secousse, de l’amour et du voyage pour la chronique d’Une Voyageuse Heureuse.

Aujourd’hui je souhaite lancer une bouteille à la mer. Parler de mon vécu, qu’il résonne en vous, d’une manière ou d’une autre, pour peut-être, réveiller en vous cette petite étincelle qui sommeille au fond de votre cœur.

Dans ma dernière chronique, je vous parlais de l’origine du voyage, du Grand Tour destiné à perfectionner les connaissances des jeunes aristocrates. Selon moi, c’est le grand enjeu du voyage. De grandir. Bien sûr, il y a des milliers de façons de le faire. Mais il y a dans le voyage, cette notion de quête de soi, d’aller à la rencontre de l’autre, pour au final, mieux se comprendre soi-même (toujours de la manière la plus vertueuse possible). 

Je me suis professionnalisée dans le milieu touristique depuis maintenant 4 ans. J’y voyais un moyen de parcourir le monde. Grande rêveuse, j’ai toujours été attirée par les cultures étrangères, les paysages romanesques et les langues. Mais peu à peu, la société m’a aspiré dans un carcan que je n’ai jamais accepté. Métro, boulot, dodo. Je justifiais cela par les études que je réalisais. Je suis très contente et fière de les avoir terminé, tant elles m’ont appris. Mais à la sortie en septembre 2022, je n’ai pas ressenti le désir de me lancer dans une quelconque carrière professionnelle, j’ai encore bien trop à apprendre. Patrick Modiano disait : 

“La notion du vieillissement, du temps qui passe, c’est un truc qu’on n’a pas jusqu’à vingt ans.”

J’ai 24 ans, et le temps qui passe, je le sens déjà. Je félicite celles et ceux qui ont lâché leurs études, qui ont eu le courage de partir avec, pour tout bagage, l’envie de se challenger. Cette envie de partir, ça fait plus de 5 ans que je l’ai. Mais il m’a fallu attendre. Attendre d’être prête, de mûrir, et surtout, de le rencontrer. Et oui, je vais parler d’un mec. Ce mec avec qui il n’y avait rien de concret, à part de forts sentiments naissants. Ce mec qui est parti solo en sac à dos découvrir le monde. Celui qui a réveillé mon âme d’enfant. Cette enfant qui aspire à de grandes choses, courageuse, aventurière, qui s’est laissée dompter par la morosité de la vie. Ce mec que j’ai retrouvé à son retour, et qui m’a tellement apporté. Ce mec avec qui j’ai tenté une relation, parce qu’après tout, pourquoi ne pas essayer ? Mais quand on est empêtré dans un schéma du couple traditionnel qui ne nous plaît pas, il est dur d’en sortir, même si le mec à tout pour plaire (ou presque). Ce mec a fait bien plus que réveiller mon coeur (ça a fait pas mal de remue-ménage), il a réveillé mon âme. Alors, à toi qui lit peut-être ces lignes, je te dis merci, merci du fond du cœur. Pour la première fois de ma vie, je vais réellement vivre. Quand on rompt, on renonce à une relation amoureuse, pas à la personne en elle-même. Une rupture, ce n’est pas forcément chaotique. On n’est pas obligé de laisser la personne derrière soi, de l’oublier. Alors, le temps de pleurer est terminé pour moi. Le temps de la peur s’arrête aujourd’hui. J’ai décidé de partir.

Ça y est, ma bouteille à la mer est jetée, et moi je me lance dans la grande aventure qu’est le voyage. Sans oublier cette personne qui a réveillé en moi cette flamme qui n’est pas prête de s’éteindre. J’espère à travers cette chronique, allumer la votre.

« Ne traversez pas la vie en dormant. » Amina Slaoui

Réflexions d’un gars lassé par le salariat 

Par Jonas

[Précision de taille : je suis artiste, pas économiste ou historien, idéaliste sans aucun doute, décroissant très probablement et dans cette chronique, je vais essayer de vulgariser et de parler selon mon prisme personnel. J’ai lu, regardé, écouté pas mal de choses sur le sujet mais il est sûr que ce n’est pas un essai exhaustif ni la volonté de faire le tour de la question. C’est une tentative de réflexion et je suis preneur de vos retours, opinions, savoirs,… pour qu’on puisse réfléchir ensemble à un modèle de société plus juste et plus épanouissant pour toutes et tous.]

Constant failure. Young man spilled drink on the keyboard while working and trying to wake up. Drinking a lot of coffee. Concept of office worker’s troubles, business, problems and stress.

Salut! 

Moi c’est Jonas, c’est mon premier texte pour Motus et si j’en arrive à écrire cette chronique ici, c’est notamment parce que j’ai le temps. Aussi parce que j’aime bien écrire, que j’ai à ma disposition un ordinateur, une connexion internet, un lieu chauffé pour l’utiliser, de l’électricité en permanence et pas bien chère mais breeeeef. 

J’ai le temps.

J’ai le temps puisqu’en octobre, j’ai terminé mes deux ans de chômage après presque une décennie de travail. Et plutôt que de retourner dans le monde sérieux du salariat, j’ai décidé d’affronter la précarité de l’artiste au RSA. 

J’ai le temps donc. Et avec ces nombreuses heures qui me sont offertes, libres et improductives, j’ai décidé de me questionner sur ce qui, d’ordinaire, nous accapare 10% de notre vie : le travail. C’est que, une vie dure en moyenne 700.000 heures dont 67.000 sont consacrées au travail, 30.000 aux études (et, tant qu’on est dans les chiffres, 200.000 au sommeil!) ce qui n’est, vous en conviendrez, pas rien. Ayons l’honnêteté de dire que c’est tout de même beaucoup moins qu’il y a un siècle certes où le travail constituait l’écrasante majorité de la vie d’une écrasante majorité de gens.

Pourtant, depuis le début de la révolution industrielle (le 19ème siècle, pas si long ago à l’échelle de notre Histoire), on nous promet un avenir radieux à coups d’évolutions technologiques, de machines pour remplacer l’humain et un labeur de moins en moins pénible. Keynes, pas le moins célèbre des économistes, a même eu cette vision prophétique il y a presque un siècle : on travaillera seulement 15 heures par semaine en 2030.
Mais alors qu’on approche de la date tant espérée, le salaire minimal peine à décoller, on nous parle de nous serrer la ceinture, l’âge du départ à la retraite est bien parti pour reculer sur le quinquennat de Macron (qui affirma sans faux semblant sur France 2 il y a peu “ Si on veut réussir, si on veut avancer, on n’a pas d’autre choix que de travailler davantage”).

Et ce discours prend place alors que de plus en plus de personnes refusent le travail indigne et essayent de tenir tête à une précarité persistante. La vague de grèves du secteur pétrolier qui a secoué l’actualité a mis en lumière un phénomène particulièrement vicieux : ce sont toujours les emplois les plus indispensables qu’on tord jusqu’à l’épuisement. On l’a vu avec le secteur des soins pendant le Covid, avec les instituteurs et institutrices en conflit ouvert et permanent avec l’Education Nationale depuis des années. Alors que par un stratagème f(i)lou, les riches patrons, propriétaires multiples, stars en paillettes et divas sur crampons s’en foutent plein les poches sans la moindre retenue.

Vous vous en doutez, le chantier est vaste et votre attention limitée, je vais donc essayer de séquencer mon propos et de vous offrir mensuellement une chronique qui traitera de la question du travail en sortant de l’idéologie dominante du métro-boulot-dodo qui se fissure de toutes parts.
Je vous donne alors rendez-vous dès janvier pour le premier numéro qui retracera les grandes lignes de l’histoire du travail.

PS : chaque mois, quelques liens pour approfondir le sujet avec des concepts et des théories plus complètes : 

Un livre : “Paresse pour tous” de Hadrien Klent

Une (ou plusieurs) vidéo(s) : ABC Penser 

Un podcast : Travail en cours “Où est passé le temps libre?”