DE L’INJONCTION AU VOYAGE

Par Une Voyageuse Heureuse

Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Chaque mois, notre voyageuse heureuse vous emmène dans son baluchon pour repenser le voyage d’une manière durable et humaine. Aujourd’hui, elle vous parle de l’injonction au voyage…


J’ai pris ma décision, ça y est. Je rentre en France. D’ici quelques jours, j’aurai le plaisir de déguster un bon camembert sur baguette. Rien que d’en parler, j’en bave déjà. En attendant ce moment de joie, je voulais parler de ce sentiment que j’ai ressenti et qui m’a poussé à partir au Brésil. 

Je vous ai déjà parlé de ma peur de partir et de voyager seule dans mon billet ‘Une bouteille à la mer’. C’est mon ex qui m’a donné la force de passer à l’action. Il passait des heures entières à me parler de ses voyages, de ses expériences et rencontres extraordinaires. Sur les réseaux sociaux, je suis des centaines de comptes de voyageurs·euses. Le genre de contenu qui te vend du rêve, qui te donne envie de tout plaquer et de vivre d’amour et d’eau fraîche. Donc je suis finalement partie, et je me suis pris une grande claque. Il s’avère que le voyage en backpack (sac à dos), comme mode de vie, ce n’est pas pour tout le monde. 

Je ne dis pas ça pour décourager celles et ceux qui souhaitent voyager, loin de là. Seulement voilà, pour une personne à tendance anxieuse, réaliser tout ça, être sans cesse en mouvement, à devoir découvrir, enchaîner visites et rencontres, ça en devient très vite fatigant. J’utilise le verbe “devoir” car il a toute son importance. J’ai ressenti une si grande pression à devoir réaliser toutes les activités les plus célèbres. Et oui, si tu ne réalises pas le Top 10 Trip Advisor, tu as “raté” ton voyage… 

Le voyage, c’est un choix. Choisir de sortir des cases toutes tracées du tourisme classique et des grands tours opérateurs pour aller vers un tourisme qui nous correspond. Pour moi, il prend son temps et entre en contact avec les locaux. Pour d’autres, le choix est un peu différent. Des personnes qui parcourent toute l’Amérique Latine en avion en seulement 3 mois, j’en ai rencontré… Comment ne pas résister avec des vols à moins de 50€ pour traverser le monde entier ? Puis, on ne va pas se mentir, voir toutes ces personnes profiter de la facilité pour voyager ainsi ça donne envie, on finit par remettre en question ses propres valeurs…

Mais je me demande, à quel moment est-il devenu envisageable de parcourir un continent à cette vitesse ? 

Je me rappelle ce moment dans mon voyage où je suis tombée sur cette trend TikTok qui dit “Ce n’était pas la dépression, c’était seulement [nom de là où tu habites]” en montrant des personnes moroses en France puis vivant leur meilleure vie à l’étranger. D’après Prabhakar Raghavan, Vice-président senior de Google 

“D’après nos études, près de 40 % des jeunes,
            lorsqu’ils cherchent un endroit pour manger,
        ne vont pas sur Google Maps ou Search.
Ils vont sur TikTok ou Instagram. “

Cela montre bien l’importance des réseaux sociaux dans nos prises de décisions actuelles. Alors, lorsque je voyage, si je ne fais pas de plongée, si je ne fais pas des tours en bateau ou ne me fais pas des ami·e·s pour la vie comme sur toutes ces publications TikTok, est-ce que mon voyage en vaut quand même la peine ?

La réponse est bien évidemment OUI. Ce voyage avait pour but de prouver à mon ego que, malgré mon anxiété et mes peurs, je pouvais le faire. Mais je réalise que tout ce que l’on vit en voyage, on peut l’intégrer dans sa vie de tous les jours. Toutes ces personnes heureuses à l’étranger le sont en réalité, car elles ont changé leur manière de vivre au quotidien. Je ne regrette absolument pas d’être partie, néanmoins, avec le recul, je ferais peut-être certaines choses différemment (comme partir avec un répulsif anti-moustique). J’aurais aussi aimé voir des contenus différents sur les réseaux sociaux qui me vendent une réalité et pas l’imaginaire du voyage. 

Moralité de l’histoire ? Comme disait Françoise Sagan (écrivaine française) : « Ce n’est pas parce que la vie n’est pas élégante qu’il faut se conduire comme elle. ». Alors à toi qui te poses peut-être la question de partir à l’étranger sur une courte durée, de traverser de nombreux continents en avion, pose-toi cette question : qu’est-ce que je cherche dans ce voyage, qu’est-ce qui dans l’idée de voyager, me rend vraiment heureux·se ? 

Les poubelles de Paris ne sont pas celles qu’on croit

Par Charlotte Giorgi

La colère gronde, dans les faubourgs. La colère gronde, les poubelles s’accumulent. Quand on est comme moi, comme beaucoup, révolté·e par la manière abjecte dont notre démocratie décline, et par l’indifférence violente d’une partie de la société qui a le malheur de prendre les décisions, alors ce n’est pas les poubelles, qui nous empêchent d’avancer dans la rue vers autre chose.

Paris, 15 mars 2023

            Nous sommes le 16 mars 2023. Le soleil point derrière la tour Montparnasse, qui, obnubilée par les sommets, ne s’attarde pas à décrypter ce qui se joue au sol.

            Au sol, comme d’habitude, des passants pressés, les rayons des premières lumières de l’aube qui se reflètent sur les grandes parois de verre, des klaxons et des vieillards sans abri éveillés par l’odeur du jour.

            Au sol, pas comme d’habitude, des montagnes de déchets, dont certains sont emportés par le vent et déposés aléatoirement aux alentours. Des poubelles éventrées, accumulées, laissées pour compte, des poubelles noires et des poubelles jaunes, des détritus qui volent, qui pourrissent, qui jonchent.

            Les passants les enjambent, la tour Montparnasse regarde ailleurs. Le soleil point sans dire un mot, la journée ne regarde pas en face d’elle. À la radio, pour celles et ceux qui l’allument ce matin-là, on entend pester. Les bourgeois sont insurgés : Paris risque la submersion pathologique, la situation sanitaire est explosive ; bientôt on verra des rats dans le septième arrondissement, où ont-ils donc la tête ?

            Les éboueurs de Paname sont en grève. La réforme des retraites, très peu pour eux.

Le malaise a grandi ces derniers jours chez les nantis de Paris. Car les grèves, on peut facilement les contourner : la boîte envoie un petit mail d’excuse « pardon, mais ce sera télétravail aujourd’hui ! Cadeau : vous n’avez pas à venir jusqu’au bureau et êtes exceptionnellement autorisés à travailler de sous votre couette ». Mais après huit jours à slalomer entre les ordures, même les chaussures de ceux qui ont le privilège de s’en foutre commencent à être souillées.

Les éboueurs de Paname sont en grève, et pour une fois, ça les fait chier, tous ces gens en costume. Leur idée de la liberté se situe dans leur costume justement : le fait de le porter leur donne la désinvolture nécessaire à leur vie confortable, la permission oisive de ne pas prendre part aux tâches les plus essentielles et basiques de la société (produire la nourriture, traiter les déchets, soigner les malades,…) et de les déléguer à d’autres. Eux, seront libres et heureux : ils auront le confort, le confort de prendre les soi-disant « responsabilités », les décisions, le pouvoir, et pourront, après une dure journée de labeur se vautrer dans le plaisir de l’ignorance sociale.

Militer ? Non merci. La lutte ? Un gros mot. Qui a besoin de lutter de nos jours ? Pas moi. Et pour les autres, je ne veux pas le savoir.

Les éboueurs vont peut-être passer leur vie à la gagner, ça ne leur fait rien. Ils n’y croient pas, à ce truc de pénibilité. Les éboueurs vont passer leur vie à la gagner, car leur espérance de vie ne se trimballe pas en costume. La retraite, autant l’appeler la mort. La mort, la seule encore capable d’arrêter la folie des costumés.

Mais les cadres aiment leur travail. Leur costume. Ils singent le sérieux tout en planant au-dessus des masses. Ils ne les connaissent pas. Ce qui les intéresse ? Exploiter leur labeur, quoi qu’il en coûte. Leur faire croire que c’est ça la vie : gagner le droit à en avoir une.

Plus tard dans la journée, on parle de 49.3. À cette réforme, presque 70% des Français·es s’opposent. Mais le gouvernement fait miroiter notre démocratie viciée : l’élection est un couronnement, le vote présidentiel, une fois tous les cinq ans, supplante tous les autres. Le président est élu, point. Au premier tour de cette présidentielle d’ailleurs, il n’avait récolté que 27% des suffrages exprimés. L’abstention, s’élevait, elle, à 26%. Assez de démocratie. Le président est élu, point. Il a le champ libre. Il peut fermer ses oreilles. Il peut se rendre sourd, se vautrer dans un mépris devenu tristement habituel. Il montre aussi la sale habitude qui l’habite : ce qui doit se passer, en France, c’est son plan. Sa stratégie. Son programme. Nos vies, nos espaces de débat doivent s’y conformer. On ne peut pas dévier de la trajectoire toute tracée. Du plan. Pas le temps d’écouter les gens. De faire machine arrière. Pas le temps d’accorder du crédit à cette masse idiote et violente, le président sait mieux. Il a fait des études, il a baigné dans son jus bourgeois et sourd. Les autres n’ont rien compris, les autres doivent suivre le plan, la stratégie.

Ils fonctionnent par mécanique, comme des robots, tous ces gens. Ce sont des drones : ils flottent, habillés de fer, loin du sol et de la réalité des poubelles. La vérité c’est qu’ils sont incapables de réagir quand leur algorithme est programmé pour avancer tout droit et sans encombre et qu’une courbe s’amorce. La population est une variable d’ajustement. Elle n’est peut-être même pas ça.

Que dire de plus que les mots du rappeur Médine, dans un entretien à Politis « La politique de Macron se résume ainsi : j’utilise ton corps de travailleur, je l’essore jusqu’à la dernière goutte et je n’écoute rien de tes revendications. Clairement, le Rassemblement national a le trousseau des clés pour l’Élysée en 2027. Il lui a été donné par Emmanuel Macron et les élus Renaissance » 

La plupart du temps, les bourgeois, engourdis dans leurs chemins tout tracés, leurs idées plus intelligentes, plus fine que celles de la masse qui leur permet d’élaborer leurs plans à grands frais pendant qu’elle trime, ont le luxe de ne pas regarder là où ils mettent leurs pieds. De toute façon, ils écraseront tout sur leur passage.

Aujourd’hui, les déchets que notre société boulimique et malade produit, c’est à eux de les gérer.

Les éboueurs de Paname sont en grève.

Dans l’après-midi, le même gouvernement qui promettait un vote dégaine le 49.3. Ce n’est plus une question politique, c’est une question d’arrogance, d’entêtement abruti : Macron et sa clique n’ont même plus de majorité à l’Assemblée mais restent obnubilés par leur plan, LE plan.

            La droite, qui a donc refusé cette réforme, ne votera pas de motion de censure pour faire tomber le gouvernement. Tout est lunaire, le soleil décline sur les poubelles. Poubelles sociales, ruines politiques.

            De toute façon, ce n’est plus là que tout se joue. Dans la rue, sur la place de la Concorde, spontanément les gens se rassemblent pour ne plus se quitter avant que la colère trouve son compte. « Ça va péter », on lit, sur les pancartes. La politique est là, dehors. Les poubelles accumulées avec la grève servent de barricades, c’est parfait. On y met le feu. La politique reprend son souffle, souffle sur les braises.

            Ça va péter. La masse pense, et pense mieux que vous. C’est elle qui décide, à la fin.

            C’est elle qui vit.

          Ça va péter.

Les chaises dissonantes

Par Enthea

Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Chaque mois dans sa chronique La Dialectique du Pet de Rupture, Enthea vous parle de relations, et des enjeux de pouvoir qui les entourent. Aujourd’hui, elle nous raconte l’héritage familial, et la place des femmes autour de la table, leurs chaises disposées pour ne pas déranger, et la dissonance qui vient aussi s’y asseoir.

Illustration réalisée gracieusement pour cette chronique par Aloÿse Mendoza, merci à elle!

« Mets le plus gros plat du côté de ceux qui mangent le plus »

Régulièrement, je mange chez mes grands-parents, en famille. Ma mamy est une personne qui a toujours fait énormément de choses, mais qui commence à être âgée et à avoir des difficultés à garder ses habitudes, à cause de ses douleurs aux mains. Ce détail a son importance, parce que justement…. Dans mon histoire, il n’a pas tant d’importance.

Depuis aussi loin que je me souvienne, ma grand-mère cuisine pour toute la famille, elle y met un point d’honneur, elle met les petits plats dans les grands, fabrique de la décoration, pour que nous déjeunions toujours autour d’une table magnifique. Elle préparait même des repas spéciaux supplémentaires pour mon frère et moi, quand on était petits. La cuisine, c’est une institution. C’est son institution. La boisson, le choix du bon vin, du bon crémant, c’est celle de mon grand-père.

Ça arrive peu mais ça arrive qu’elle parte en vacances avec ses copines, abandonnant la maison au patriarche. Je m’amuse, à l’imaginer jongler avec des casseroles, se tromper dans les torchons à vaisselle, et se perdre dans le frigo. Mais pensez vous. Non. La solution était toute trouvée ; puisque la personne qui cuisine gratuitement n’est pas là : payons une autre personne pour réaliser cette tâche : appelons le traiteur.

Voici le décor de l’histoire, mais ce n’est pas le sujet. Le déclic qui me fait écrire, c’est cette éternelle musique familiale, que l’on rejoue à chaque moment de retrouvailles, et qui commence à me vriller les oreilles.

Nous sommes une tablée de neuf convives, et nous sommes tous valides et suffisamment qualifiés pour savoir débarrasser des assiettes, rassembler les couverts, apporter des plats, remporter ceux-ci quand ils sont vides, changer la bouteille d’eau, prendre le pain au passage… Etc.

Nous sommes 3 femmes : ma grand mère, ma mère, et moi.

Neuf moins trois égal six.

Il y a donc 6 hommes, soit deux fois plus d’hommes que de femmes. Et pourtant, nous sommes seulement trois, les trois femmes de chaque génération, à nous lever pour gérer entre chaque plat le bon déroulement du repas et le confort des convives. Nous sommes également assises côte à côte, sur les trois chaises les plus pratiques pour se lever et aller directement à la cuisine sans déranger. Il ne faudrait pas les déranger. Qu’est-ce qui justifie que nous agissions ainsi ? Ma grand mère a été éduquée dans cette posture, et elle met un point d’honneur à la tenir. D’ailleurs elle est toujours si coquette et si parfaite, que son mari ne l’a jamais vue démaquillée : elle se réveille avant lui pour pouvoir s’apprêter. Quant à ma mère, je l’ai toujours vue à la cuisine, pendant que mon père attend d’être servi, ou part avant d’avoir débarrassé la table. Alors, si j’en ai conscience et que ça m’agace pourquoi je perpétue la tradition ? Au début, c’était instinctif : il y a quelque chose de rassurant à former des « clans », à trouver une place, une identité et une utilité qui fait plaisir à tout le monde. La sensation est valorisante. Mais je ne trouve plus ma valeur dans la satisfaction des besoins d’autrui. Je devrais donc m’arrêter « d’aider » (faire ma part, en fait) et rester à table avec les vrais hommes, boire du vin, et continuer à parler fort comme si de rien n’était ? Pendant que les deux autres femmes de la famille s’agitent pour faire disparaître les preuves du festin, en bonnes petites fées discrètes et efficaces ?

Ne pas prendre ma part ne changera rien.

Mon frère vient parfois prendre/ramener des choses en cuisine avec moi. On discute beaucoup tous les deux, donc il me suit, et propose naturellement une « aide » parce qu’il est gentil. Parce que c’est une « aide » et non pas la place qu’il se sent de prendre naturellement. Parce que pour beaucoup, on « aide » encore à débarrasser la table. On « aide » au ménage. On ne partage pas, on ne prend pas en charge sa part du moment passé ensemble, on « aide » par gentillesse, ponctuellement. Et tout le problème se situe là. La répartition éclatée au sol des tâches domestiques dans un couple influence les interactions en famille. Qui elles-même influencent la construction des couples. Et on tourne en rond.

« Sur une table, il y a 9 personnes. Si toutes les femmes sont occupées à préparer le dessert, qui va faire la vaisselle ?

Blague de Chat GPT, février 2023

Et toi, est-ce tu « aides » ? (1)

(1) Les excellentes BD de Emma Clit sur la répartition des tâches dans les relations : https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/

La chronique précédente d’Enthea : https://motuslemedia.fr/2023/02/18/deterrer-ses-baleines/

Catherine, journaliste, et le long chemin d’un engagement

Par Soldat Petit Pois

Photo de Joppe Spaa sur Unsplash

Aujourd’hui sur notre podcast écolo Oïkos, je reçois Catherine,  journaliste passée par bien des questionnements autour de ce métier clé dans les prises de conscience écolo, et membre de l’association « Climat Médias », qui milite pour… ben plus de climat dans les médias 🙂

Avec Catherine, on a bien entendu parler du rôle de la presse dans l’écologie, de l’objectivité journalistique, et de la pression des citoyens sur leurs organes de presse qui s’intensifie et fait naître pas mal de chartes ces derniers temps. Mais c’est pas tout : Catherine a aussi accepté de mêler toutes ces notions à son propre parcours.

De ses débuts de jeune journaliste, en recul des débats, et inconfortable face aux positions écolos qu’elle trouvait alors un peu extrêmes, jusqu’à l’enfermement loin des infos pendant une période où elle a tout quitté et versé dans les sphères complotistes du mouvement écolo, jusqu’à arriver enfin à un équilibre plein de volonté d’agir, son parcours est la preuve que l’engagement n’est jamais linéaire, qu’il demande du temps et quelques claques pour enfin permettre de se réapproprier les combats qui nous tiennent à coeur.

Notre conversation est disponible sur toutes les plateformes d’écoute! Bonne écoute 🙂

La mauvaise fille

Par Charlotte Giorgi

Un peu après le 8 mars, je me suis rendu compte d’un truc. Un truc un peu con. Un truc un peu moche. Un truc qu’on attend des femmes même quand elles s’en sont pris plein la tronche : qu’elles soient de bonnes victimes.

Photo de Nicolas J Leclercq sur Unsplash

            Il y a quelques jours, j’ai vu passer sur les réseaux sociaux, comme beaucoup d’entre nous,  le visage d’Hilona. Son histoire aurait du m’interpeller directement, me sauter au visage.

Hilona, c’est une « fille de téléréalité ».

Par un réflexe inconscient, mon cerveau a décidé de balancer l’histoire qu’elle s’apprêtait à raconter parmi les discours futiles, les faits divers de bas étage. Le mot « violence » qui était parfois associé à la vidéo que je voyais tourner sans prendre le temps de la regarder, ne m’a même pas questionnée.

Et je ne suis pas la seule, féministe, engagée, victime de violence de la part des hommes, à n’avoir pas assimilé Hilona aux autres féministes de sa génération. Ce n’est pas, ce ne sera jamais une Adèle Haenel, bien qu’elles s’inscrivent dans un même élan, dans une même colère qui s’exprime enfin.  

Hilona n’avait pas la chance d’être une actrice de renom. Une journaliste. Une femme sérieuse.

Hilona faisait partie de cette catégorie de femmes que la société croit connaître avant même d’avoir essayé : idiotes, avides de pouvoir et de célébrité crasse, vulgaires. J’ajouterais même peut-être : des corps. Des femmes qui sont exposées, là, dans la petite lucarne, et qui correspondent tout à fait au schéma sexiste, en ne répondant qu’à un seul critère d’exigence de la société : le corps. La beauté « populaire », qu’on ne voit certainement pas dans les grands magazines de mode, celle qui discrédite tout le reste. Des harpies qui crient et gesticulent, mais dont la parole a peu de poids : elles ne sont pas là pour ça. Des femmes comme le patriarcat les affectionne et les fabrique. Des femmes dont, avant même qu’elles aient ouvert la bouche, on sait qu’on ne les écoutera pas.

            Toute féministe que je sois, je n’échappe pas à la bête et méchante règle. La vidéo d’Hilona, exemple foudroyant d’un cas de violences conjugales, je vais mettre une semaine à la regarder, et encore, parce que je m’ennuie un peu et que je voudrais tuer le temps en me délectant d’une énième crise de couple de célébrités.

            Sauf qu’il est loin de s’agir d’un crêpage de chignon. La vidéo d’Hilona est courageuse, brillante, juste. Elle s’y livre en détail, après avoir longtemps gardé le secret (alors que sa vie est scrutée quotidiennement par des milliers de personnes), sur les violences qu’elle a subies de la part de son ex-compagnon, Julien. Le schéma classique est déroulé sous nos yeux par la voix déterminée et émue de la jeune femme : violences psychiques, physiques.

            Mais surtout, surtout, Hilona décrit avec une grande précision les angles morts. Les choses pas assez grandiloquentes pour une lutte de cette ampleur : les changements de comportement constants, au point de devenir folle, les proches qui n’y voient que du feu ou n’assemblent pas ensemble les moments de folie décousus, l’espoir qui rend aveugle plus encore que l’amour, la peur de le perdre, lui, celui qui agresse et menace, parce qu’il est, malgré tout, celui dont on est tombé amoureuse.

            J’ai regardé l’enchaînement des vidéos. Une longue heure, allongée dans mon lit, incapable de reprendre mon souffle pendant que je subissais l’uppercut de la violence partagée, banale. J’ai reconnu beaucoup de choses dans l’histoire qui m’était racontée, et les détails m’ont sauté au visage, pour une fois qu’ils étaient dits. Pour une fois que la sincérité, courageuse et qu’on ne peut pourtant jamais exiger, déliait à voix haute les nœuds et la complexité de la violence. Sans binarité, sans schéma tout fait.

            Parce que ce serait trop simple de pouvoir faire la lecture de ces affaires avec une grille méchant ou gentil dans laquelle classer les protagonistes. Ce serait trop facile, de pouvoir établir que la seule connexion entre la femme battue et l’homme violent, c’est une situation d’abus perpétuel, de Mal. Je sais bien, qu’en tant que féministes, nous pensons bien faire en répétant à l’envie que « ce n’est pas de l’amour », mais quand on ne l’a pas encore compris, quand on est amoureuse et violentée, alors vers qui se tourner si le mouvement féministe n’intègre pas cet imbroglio de sentiments qui fait la réalité de ces relations malsaines ?

            Qu’une Hilona, avec cran et honnêteté raconte son cheminement ambivalent, les liens indéfectibles qui lieront toujours son histoire à celle de son agresseur, et exprime de manière concrète et implacable que « le jour où je parle c’est terminé pour toujours », c’est un témoignage ultra précieux qui nous est livré. Car oui, c’est là que se trouve tout le paradoxe de l’emprise et de la violence : on ne veut pas forcément qu’elle s’arrête. On préfère se creuser jusqu’à l’os, ronger tout ce qu’il reste, on préfère tenter, encore et encore et encore, on préfère parfois espérer jusqu’à la mort.  

            C’est à ce moment-là, celui où arrive la complexité des choses, qu’Hilona devient, dans la culture commune, « une mauvaise victime ». Une victime qui l’a un peu cherché, en plus d’être déjà une simple fille de téléréalité, une victime qui n’en était pas juste une mais qui s’est impliquée dans son histoire au lieu de la fuir, les bleus au visage, comme la femme battue qu’on se figure et que l’on a envie d’aider.

            De la même manière, une femme qui aurait rendu des coups, une femme qui aurait cédé à l’implosion de ses nerfs en devenant irritable, dure, froide, n’est plus crédible. Elle sort du champ acceptable. Pourtant, n’importe qui peut se figurer que nos réactions à la violence ne sont pas toutes les mêmes, et qu’elles peuvent être exécrables, parce que les femmes ne sont pas juste des martyrs, mais aussi des êtres humains fonctionnels. On notera au passage que la même vague de discrédit s’est abattue sur Amber Heard, avec la poussée des nombreux masculinistes pour qui le procès qui l’opposait à Johnny Depp était une façon de contre-attaquer #MeToo cinq ans plus tard, était une occasion en or de montrer que les femmes sont des menteuses. Amber Heard n’était pas une bonne victime, et l’opinion, pourtant baignée dans le contexte post #MeToo, s’est régalée du festin atroce.

La vidéo d’Hilona est un uppercut, parce qu’elle laisse à voir tout cela, avec la transparence de tout le cheminement. Elle permet à des milliers de jeunes femmes qui ne se reconnaissent pas dans les féministes parfaites, dans les victimes impeccables, dans la beauté lisse des témoignages qu’elles ont entendus jusque-là, de réaliser, d’aider, de comprendre. Elle nous permet à tous et toutes de voir la réalité des violences en face, au-delà des fantasmes et de l’imaginaire ultra simplifié qui nous enveloppe et nous trompe.

Mettre du vernis sur tes ongles

Par Charlotte Giorgi

À propos d’une rencontre inopinée dans les dédales de l’algorithme Facebook, lui qui ne fait pas la différence entre les vivants et les morts. Et si nous en prenions de la graine et en tirions quelques leçons sur notre rapport à la finitude ?

Photo de JF Martin sur Unsplash

C’est par hasard que je t’écris. À toi, en particulier. Je t’avoue qu’il y a quelques mois que je n’ai pas pensé à toi. Ce n’est pas une confession, j’ai juste l’impression de devoir être honnête. On ne parle pas souvent, toi et moi. Et puis, tu n’as pas de droit de réponse, alors je crois que je te dois au moins la sincérité.

Je n’ai pas pensé à toi parce qu’il n’y a pas beaucoup de place dans le monde des vivants pour les gens comme toi, ceux qui ont basculé de l’autre côté. Je sais que tu le sais, puisque tu as été à ma place.

Ce que je veux dire, c’est que nos sociétés tiennent leurs morts à l’écart. Leurs disparus : ça veut bien dire ce que ça veut dire. J’ai lu il y a quelques temps un article où un monsieur réunionnais racontait que ses filles mettaient du vernis sur les ongles de leur grand-mère décédée lors de sa veillée funèbre. En métropole, c’est impensable. Ça m’a paru lunaire. Fou. Comme si la mort pouvait nous attraper à son tour. Comme si la mort était contagieuse. Alors oui, ces mois-ci je n’ai pas cherché ta tombe dans un cimetière éloigné et désert qui ne te ressemble pas, qui ne ressemble à rien de ce que tu as été.

            Non, c’est par hasard que j’ai croisé ton nom sur Facebook. C’est justement cette inhabituelle proximité, cette porosité infranchissable entre le passé et le présent qui m’a replongé dans ce monologue intérieur dont j’ai l’impression qu’il t’est destiné. J’invitais des gens, mes amis, à un évènement Facebook. L’algorithme ignorant me proposait des noms, et je cliquais machinalement : « inviter ». Inviter, inviter, inviter. Et puis, tout d’un coup, ton nom. Un moment de sidération.

            Parce que tu es morte. Je ne peux pas t’inviter, je ne peux plus, tu n’es plus là. La coupure nette entre le passé et le présent s’est imposée à moi, violente et intransigeante.

            Ici, dans ma culture, on ne peut inviter aucun mort aux évènements. Après l’enterrement, la possibilité de passer du temps avec nos chers décédés n’est plus possible. Ça ne nous viendrait pas à l’esprit.

            J’ai réalisé que cela me rend triste. J’envie ces autres mondes, où la vie et sa fin forment un continuum, où il n’y a pas de rupture nette mais des suites, des étapes, des changements. Je les envie pour les fêtes qu’ils continuent de célébrer avec les personnes qu’ils ont aimées et qui restent là, parce qu’ils croient aux esprits, aux fantômes, aux dieux. Toutes ces choses que l’on méprise parfois tout en oubliant qu’elles représentent toutes des moyens de ne pas subir la réalité assommante que nous prenons pour seule vérité. Ici, notre rationalité à toute épreuve crée aussi notre terreur des choses qui nous dépassent. La mort, par exemple, dont nous préférons nous dire qu’elle anéantit et clôt le chapitre à tout jamais.

            Je me souviens même avoir eu peur du mot, enfant. L’avoir trouvé au détour des pages d’un livre et m’être forcée à le regarder, à décrypter la forme des lettres qui se déployaient sous mes yeux, et essayé par-là d’en capturer le concept. La mort ne rentre pas dans les cases que nous construisons pour comprendre le monde, pour lui donner un sens. Nous choisissons donc régulièrement une sorte d’amnésie collective, qui nous met bien en peine de continuer à tisser des liens – par tout un tas de moyens que nous n’utilisons pas – avec celles et ceux qui se sont endormis.

            Je ne t’ai pas invitée à mon évènement Facebook. J’ai été faire un tour, simplement, sur ton profil, curieuse. Il n’a pas changé. Le dernier message en date : celui de ton fils, qui annonce que tu nous as quittés.

            Je ne suis plus triste, aujourd’hui. Mais je prends notre collision de tout à l’heure sur le grand internet pour quelque chose de très sérieux, un signe, au-delà de toute raison. Je m’autorise à y puiser du réconfort, une source de liens, une continuité dans ma relation avec toi. Je me trouve un peu ridicule, mais je crois qu’il n’y a rien de plus digne et convenable que qu’entretenir de bons rapports avec la finitude.

Je crois qu’autour des discussions sur l’euthanasie par exemple, notre société tient entre ses mains le début de la pelote de laine que nous pourrions dérouler pour entretenir une nouvelle relation, plus fluide, moins traumatisée, à la mort. J’espère que nous saurons bientôt, comme tant d’autres peuples, inventer des manières de vivre avec vous, vous qui êtes partis, mais qui, j’en suis sûre, ne nous avez jamais quittés.

Chat GPT : l’intelligence artificielle va-t-elle nous remplacer ?

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Depuis quelques mois, c’est la panique sur les plateaux télés, dans les bureaux des directeurs d’universités et partout ailleurs… Chat GPT par-ci, Chat GPT par-là… Voilà qu’un robot peut faire la conversation (presque) aussi bien qu’un être humain. Qui va perdre son travail ? Qui va être remplacé ? Est-ce la fin du règne de l’espèce humaine ? Et la vraie question ne serait-elle pas : qui sont les vrais robots ? On vous explique tout et on en discute dans ce nouvel épisode de notre podcast d’actu Vacarme des Jours!

Bonne écoute !

Entretien avec Marc Dufumier, ingénieur agronome

Par Soldat Petit Pois

Photo de Vi Tran sur Unsplash

Dans ce nouvel épisode d’Oïkos cette semaine, je suis super honorée de recevoir notre invité du jour, parce qu’il me sort complètement de ma zone de confort. Eh oui, sur ce podcast, finalement, on entend assez rarement la parole scientifique. Parce que je crois que les discours favorisant les experts excluent trop souvent les personnes comme vous et moi du débat public. Et pourtant, il suffit de vivre dans notre monde avec un peu d’empathie pour se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond. Alors ici, je me suis attachée à vous montrer que l’engagement, c’est fait pour tout le monde, et à vous présenter des profils différents des experts des plateaux télé. Chanteurs, écrivains, danseurs, activistes climat,… ce sont eux que vous avez entendus principalement ces derniers mois, ceux qui pensent que la culture aussi doit fondamentalement changer, au-delà de nos émissions carbones.

Et pourtant, la force de nos discours n’existerait pas sans les scientifiques qui la soutiennent avec leurs savoirs et leurs connaissances.

Celui que je reçois aujourd’hui sur Oïkos est un ingénieur agronome éminent, qui contribue activement à nous montrer par la science que d’autres solutions sont possibles pour notre monde.

Il s’appelle Marc Dufumier, et je lui ai posé des questions de mon point de vue de non-scientifique, avec mes lacunes et mes interrogations. Il y a répondu avec une grande bienveillance et beaucoup de pédagogie. Je suis très contente de pouvoir vous partager notre conversation aujourd’hui! On y parle de la sécheresse, de maintenir le dialogue avec les agiculteur·ices, des vers de terre et de bien d’autres choses…

Et encore un grand merci à Marc Dufumier d’avoir répondu à mon invitation!

Bonne écoute!

Invitation à notre soirée de lancement!

Cher·es ami·es 🫶🏻

Après quelques jours de campagne pour financer nos prochains podcasts, on ne relâche pas la pression et on continue de se mobiliser pour atteindre notre palier de 2500 euros 💪🏻 Vous pouvez toujours nous aider & recevoir de jolies contre-parties par ici : fr.ulule.com/motus-langue-pendue

Mais… cette campagne était un peu trop virtuelle à notre goût, alors 🚀 surprise : on vous invite à passer la soirée avec nous le samedi 18 mars à partir de 19h30 à l’Académie du Climat à Paris! 🚀

Au programme : 

🗯 Une (re)présentation de notre média avec diaporama hilarant inclus

💫 Une table ronde autour du renouvellement des imaginaires avec trois invitées exceptionnelles 

🥂 Des discussions endiablées autour d’un verre à la Buvette de l’Académie 

🎼 Des performances artistiques pour les doux rêveurs que nous sommes

La bonne nouvelle? c’est gratuit et ouvert à toustes ! 

On espère vous y voir nombreuses et nombreux!! 

L’évènement Facebook juste ici 

À la Une

MOTUS & LANGUE PENDUE A BESOIN DE VOUS !

Vous l’avez compris, on lance donc aujourd’hui notre toute première campagne de financement participatif !

L’objectif ? Nous faire connaître et récolter 5000 euros pour produire deux nouveaux podcasts en 2023 !

On vous a concocté des petits cadeaux de remerciements, et vous pouvez trouver tous les détails sur notre page Ulule.

On sait que l’époque est pas franchement propice au don, et que vous auriez sûrement milles autres projets à soutenir que nous, petit média émergent. Et on comprend bien. Mais sachez simplement que même des petits dons nous aideront un max. Si chacun de nos abonnés Insta et Linkedin donne ne serait-ce que 3 euros par exemple, on aura déjà atteint et dépassé notre premier palier !

On a besoin de vous cher·es ami·es, lecteur·ices, auditeur·ices. Si vous appréciez notre travail, faites un don, même tout petit, sur notre page Ulule, et faites passer le mot autour de vous!

Toutes les infos ici : ulule.com/motus-langue-pendue