Et après ?

Par Charlotte Giorgi

Photo de Koshu Kunii sur Unsplash

Après la décharge de violence de Sainte-Soline, il me semble que tout devrait s’embraser. Et pourtant, je ne sais pas quoi faire, ni comment embraser. Je me consume, de colère et d’impuissance relative. C’est de ça dont j’ai essayé de parler.

            J’arrive pas à dormir, j’arrive pas à me réveiller. Je me traîne de tâche en tâche ; elles me semblent toutes inutiles, futiles, caduques. Quand j’y tiens plus, je cherche quoi faire de la rage. On dit parfois que la colère est un moteur, mais ma colère m’enveloppe comme une compresse désagréable, qui m’empêche de réfléchir, qui m’empêche d’agir. Je me contente d’exploser, sans arrêt. Et comme je ne peux exploser contre un système entier, je dégrade les choses autour de moi, les gens. Je ne me rappelle pas un autre moment où j’aurais pu me sentir comme ça, depuis les Gilets Jaunes. Je retrouve avec effroi les sensations qui m’habitaient alors, et que j’ai sans doute romantisées depuis : cette brume nerveuse permanente, cette haine grandissante, cette impuissance atomique.

            Chaque jour, le climat se dégrade. Le gouvernement ment. C’est dans le nom d’ailleurs, comme je l’ai remarqué en lisant au hasard de la foule une pancarte de manif’ : le gouverne-MENT. Il nie le fait d’avoir fait usage d’armes de guerre ce week-end à Sainte-Soline. Il nie le fait que les forces de l’ordre ont délibérément empêché les secours de passer, alors qu’un enregistrement révélé par Le Monde prouve le contraire. Deux personnes sont encore entre la vie et la mort. Certaines sont mutilées à vie. Et moi, je ne supporte pas l’idée de ne pas avoir été là.

            C’est idiot car loin de moi l’idée de penser que j’aurais été un instrument utile au combat contre l’accaparement de l’eau que mènent les militant·es, qui pour beaucoup sont mes amis et me l’ont eux-mêmes confirmé : je n’aurais rien pu faire de plus. Ma présence n’aurait rien changé, face à l’arsenal militaire déployé par la police pour protéger un trou et un symbole de l’agro-industrie. Je ne sais pas ce qu’il me prend, mais, en faisant défiler les images de cette boucherie, pendant laquelle sont tombées 4000 grenades en trois heures, c’est-à-dire une grenade toutes les trois secondes, je me sens vriller, devenir folle. Je me sens folle : être ici, devoir prendre le métro, marcher, fonctionner, et traverser cette ville peuplée de gens qui s’en fichent. Doucement, constater la glissade vers un monde autoritaire, violent, lentement constater que la guerre pour le partage des ressources qui disparaissent a commencé dans un relatif silence. Les autres, ceux qui marchent dans cette ville, en entendront parler à la télé, et considéreront que cette affaire regarde les militants, la police et le gouvernement. Puis, dans le temps qui passe, la liberté pourra se réduire, les milices de l’ancien monde continuer de s’armer, et il sera trop tard pour réagir. Cette distance entre nos destins communs et nous, il faut la combler, et vite. Se réapproprier nos vies, et leurs conditions matérielles d’existence. Il faut vivre, vite, et se rendre compte que cela demande plus que l’allégeance au système de la facilité. Cela demande de se battre, car à tout instant, le monde vacille et ça ne fait pas « boum », ça se délite sans bruits de botte, ça nous prépare le pire aujourd’hui pour demain, pendant que nous n’y pensons pas encore.

            Nous sommes plus nombreux ces fois-ci. L’acharnement d’un gouvernement aura convaincu presque plus que nous.

Les militants écologistes sont la soupape respirable de mon monde. Ils me rassurent : des gens se soulèvent contre l’accaparement des ressources par les mêmes personnes qui contribuent à les raréfier sans scrupules. Que leurs luttes, qui puisent leur source dans la non-violence, qui désarment plus qu’ils ne sabotent, la machine industrielle qui met en danger des milliers de vies humaines et non-humaines, puissent être criminalisées au point d’être qualifiées de terroristes et de risquer la dissolution est une stratégie de communication non seulement profondément révoltante, mais aussi très grave. Nous basculons.

            Je ne tiens plus en place depuis six jours. Putain, mais que faire ? Et après ?

            Hier, rassemblement en soutien aux Soulèvements. Beaucoup de personnes, je crois. Ce matin, de nouveau, le vide et l’aigreur. Demain, j’espère, un élan.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s