Jamais eu aussi peur d’être essoufflée

Par Charlotte Giorgi

Je n’ai jamais été très sportive. Mais il faudra l’être pour le mouvement social. Comment on apprend à garder le souffle ?

Manifestation parisienne, 1er mai 2023, Charlotte Giorgi

« Le président compte sur l’essoufflement »

« Le président compte sur l’essoufflement »

« Le président compte sur l’essoufflement »

Ça jacasse, ça répète, ça martèle à l’envi sur les plateaux télé, à la radio. L’atmosphère se suspend, le temps politique se fige, se fait petit en attendant le fameux, l’essoufflement.

Heurts du premier mai, on est tout sauf apaisé·es. Mais la rengaine des médias tourne en boucle dans ma tête. Cette idée, ce poison d’idée, qui prédit que tous les mouvements sociaux, aussi justes, aussi déterminés soient-ils sont amenés à se fracasser nécessairement sur le temps, à se diluer dans le printemps.

Cinq mois de colère sourde pour celui-ci, celui des casseroles et des 49.3, celui des retraites, et c’est vrai que les saisons changent, que oui, le printemps est là, et qu’il me fait peur. L’euphorie qu’il apporte, la vague d’insouciances qu’il charrie. L’oubli, le recouvrement des angoisses de l’hiver sous les bourgeons et les soleils. L’envie de s’installer en terrasse, un verre devant soi, de fermer les yeux et de se dire que ce n’est pas si mal. La lassitude qui nous gagne, l’impression de l’irrévocable, le sentiment des jours qui s’enchaînent et nous enchaînent, des saisons qui nous roulent dessus.

            J’aimerais que la révolte explosive en moi dure sans fin, parce que c’est elle, fin mars, qui m’a rappelée aux choses essentielles, aux vrais combats que parfois je délaisse sans faire exprès, aux trucs terre à terre qui sont engloutis par le quotidien, les injustices qui se banalisent, l’apathie qui se généralise.

            Je n’irai pas jusqu’à dire que j’étais heureuse de retrouver cette rage féroce le mois dernier. Parce que ce serait bizarre, et presque un peu indécent. Mais j’avais l’impression d’être vivante au bon endroit, d’avoir retrouvé un bout de sens, au-delà de l’intellect, d’être au plus profond de moi, certaine de la justice, de là où il fallait rechercher sans relâche la dignité. J’ai rarement vécu des moments de colère comparables, dévorants, puissants.

            La rage des tripes s’est estompée comme elle s’estompe toujours un peu avec le temps. Mais le fond raisonnable n’a pas bougé et il nous donne aussi raison : l’absurdité d’une démocratie qui n’a plus de ça que le nom, le mépris insupportable d’un pouvoir qui peut tout, le déchaînement de violence pour l’acharnement d’un orgueil. Cet orgueil dont sont pétris nos hommes politiques, issus des mêmes cercles clos de pensées, des mêmes langages et qui pourrissent par le haut nos quotidiens, en étouffant nos rebuffades avec la vie chère, le travail comme boussole, la négation absolue des humains qu’ils ont en face d’eux et dont ils font une masse compacte et idiote.

            Alors l’essoufflement, il tient aussi à ma mobilisation. Je suis, comme vous peut-être, ce qui s’essoufflera ou ne s’essoufflera pas. Et je ne sais pas vraiment à quoi m’accrocher pour continuer à respirer et que le boucan ne s’arrête pas. J’espère qu’ensemble on trouvera de quoi faire mentir les faiseurs de destin, le rouleau compresseur du temps qui passe et nous essore. J’espère qu’on saura s’organiser, se relayer : car c’est de ça dont il est question, plus que de volontés. C’est efficaces qu’il faut être : les belles idées ne se tiennent pas d’elles-mêmes.

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