MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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La légende raconte qu’on va dans le mur

Par Charlotte Giorgi

« Et toi alors, vers quoi tu t’orientes ? »

            Les regards se braquent sur moi, le show is about to begin. La table familiale guette ma réponse, avide. Vite, me ranger dans une case. Je ne leur en veux pas, je comprends. Ils veulent me comprendre tout pareil, pour continuer à discuter, pour être rassuré : non, je ne suis pas une brebis égarée qui aurait besoin d’être remise dans le droit chemin. Je les comprends, ils ont besoin de se raccrocher aux branches déjà poussées, et les miennes sont de toutes petites pousses sur lesquelles on ne peut pas suspendre un manteau. Je les comprends, et ma réponse est sur le point de les décevoir. C’est ça qui fait mal. (Leur déception, pas ma réponse.) (je suis fière de ma réponse quand ils ne le sont pas) (mais j’aimerais tant qu’ils le soient)

« Tu t’orientes vers quoi ? »

Comme si la vie était faite de droites que notre GPS intérieur nous ordonnait de prendre pour atteindre la destination ultime, comme si la vie c’était de partir d’un point A pour arriver à un point B. Et si j’avais envie de marcher au hasard ? D’errer un peu, et d’en profiter au passage ? Et si j’avais envie de m’asseoir au milieu du chemin pour regarder les arbres ? Ou bien d’explorer plusieurs chemins ? Comment on fait quand on a ces envies-là qui plombent les discussions familiales parce qu’elles posent question et n’attendent pas de réponses ?

Je ne m’oriente vers rien. Je continue ce que je fais depuis trois ans : travailler à la construction d’un média dont ils oublient souvent le nom et dont ils ne comprennent pas grand-chose pour le reste. Avant, ce n’était pas grave, je le sentais. Avant, j’avais le graal, le sésame ultime pour la tranquillité : j’étais étudiante. Peu importait, que je travaille à côté à mes « popcasts » et autres inepties un peu trop modernes, j’aurais aussi bien pu faire de la pâte à modeler en sortant de mes cours.

            Mais ce mois d’août-ci, le traditionnel repas est chargé d’une gravité que je ne connais pas. J’ai perdu mon statut ; il est temps de savoir si je dégringole ou non. Et contre toute attente, je dégringole. Mon emploi je le créée, alors il n’existe pas. Je n’ai pas de contrat à leur montrer, à célébrer autour d’une bouteille de champagne, alors je suis une chômeuse, et dans leur bouche ce mot décrit plus qu’un statut, je suis maintenant définie exclusivement par lui. Je ne suis plus étudiante, je suis dans « la vie active ». Finies, les journées à ne rien faire d’autre qu’être assise et laisser mon petit crâne se remplir pour les entretiens d’embauche. Maintenant, je fais partie de l’appareil productif du pays. Je dois leur fournir une réponse, là tout de suite, concernant ma fonction, mon utilité de citoyenne. Peu importe, les années de militantisme et de bénévolat, les gens attendent devant leur steak que je leur décrive par le menu détail comment je vais produire de la richesse sonnante et trébuchante, moi et mon petit tupperware de salade sans viande préparée et mis soigneusement de côté pour moi. (merci Mamie)

            Et je ne leur décris rien qui vaille. Je ne fais rien comme il faut. J’étais pourtant bonne élève, ils ne comprennent pas. Qu’est-ce que j’ai foutu, dans ma grande école, pour atterrir à côté de la plaque ? Quel peut bien être ce désir malsain d’être toujours à la marge? À leurs yeux, je ne peux être que deux choses : une grosse provocation, ou une ratée minuscule.

            J’explique, ce n’est pas clair, je m’embrouille, on me demande sans cesse comment je vais faire…ben… pour l’argent enfin euh… financièrement ? Et je n’en sais rien, et je ne m’en fiche pas, et bien sûr que c’est important, mais c’est trop tard. Je suis discréditée. Une association, ce média ? Qu’est-ce que c’est que ça, « non-lucratif » ? De nos jours, ça ne veut rien dire. Je tente une percée parmi les cris et les larmes : « non-lucratif » ça n’exclut pas l’argent, c’est juste qu’on l’utilise pour fonctionner. On ne peut pas l’accumuler, voilà tout. Mais les gens ne font pas la différence. Ils ne comprennent plus rien. J’ai défiguré le repas. Ils me regardent, l’œil luisant de pitié, avec un pauvre sourire qui hurle. Je me donne moi-même le coup fatal : « de toute façon, c’est le début. Je ne gagne rien, pour l’instant. ». Comment ça, « rien » ? Pas un sou ? Rien du tout ? J’attends le RSA ? C’en est fini de moi. Je quitte la table en gardant la face.

            Puis je vais pleurer dans ma chambre. Je vomis mes doutes et je cherche mon courage. Là tout de suite, je ne le vois pas. On me dit que je suis courageuse, et ça me fait pleurer. Ce sont les autres, les courageux·ses. Celles et ceux qui se lèvent le matin, abasourdi·es par le discours des grands travailleurs qui doivent gagner de l’argent plus qu’être utile à la communauté, celles et ceux qui s’épuisent à créer une richesse jamais redistribuée, celles et ceux qui se lèvent mais ne savent plus vraiment pourquoi, tous ces gens qui continuent plus qu’ils ne vivent, qui abandonnent leurs idées sur le bord d’une route réaliste, qui ont résisté comme moi peut-être avant de se faire aspirer. Les mauvaises graines qui n’ont jamais germé. Je les salue, au passage. Je voudrais tant qu’elles aient eu ma chance, celle de tout envoyer valser au tout début, sans attendre.

            Quel confort au contraire, pour moi, de signer ce billet, de pouvoir créer avec les autres de ce média qui grandit, un espace où l’on partage, un endroit où l’on essaye sans garantie de succès, où l’on a le temps de trébucher et de se soigner ensuite. Quel immense bonheur que de constater que ce n’est pas du courage mais l’envie d’être digne qui m’anime, car du courage, j’en manque si souvent. Il suffit d’être libre, et c’est déjà pas mal. Pour l’héroïsme, on repassera.

            Sur Motus & Langue Pendue, nous tentons. Nous construisons un média associatif qui, selon les certitudes des grands spécialistes, va droit dans le mur. Il mettrait à disposition gratuitement, nous rapporte-t-on, des contenus engagés sur le grand internet ! Il ne serait pas objectif, et complètement orienté ! Il parlerait comme un journal intime, de manière crue, de manière personnelle, et surtout de manière libre ! Il écrirait pour les écoterroristes, les féministes hystériques et les mouvements sociaux ! Il prendrait la forme d’un collectif de jeunes de toute la France, qui sait que le milieu militant et les thématiques engagées sont parfois inaudibles, et qui veut les traduire pour leurs potes et pour les autres ! Il fonctionnerait sur le principe de solidarité, et le revendiquerait ! Il serait un média un peu fou et complètement sensé, et qui s’amuserait de ces contradictions !

            Choc, stupeur et séisme autour des tables familiales où l’on célèbre les fiches de paye. Bon, mais la légende raconte aussi que le média est têtu, et qu’il reprend du service pour une quatrième saison d’irrévérence, malgré les doutes le soir sur le lit, malgré l’époque intraitable, malgré la marge inévitable, que l’on rejoint lorsqu’on est une mauvaise graine mais qu’on compte bien germer. Les repas de famille estivaux sont déjà loin, la plume aiguisée. Prenez garde, nos doutes feront peut-être germer les vôtres. On n’en a pas peur ici. On chérit les détours et les pas de côté.

Et on a de la place pour celles et ceux qui ont l’impression de n’en avoir jamais eu.

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LES ÉTATS GÉNÉRAUX DU SEUM : RDV LE 10 SEPTEMBRE À PARIS !

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Mercredi 10 septembre 2025 de 18h30 à 1h au Point Ephémère à Paris, on vous invite aux Etats Généraux du Seum 🪩

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