Par Charlotte Giorgi
Cette semaine, comme une envie de saluer cette dignité si nécessaire qu’apportent les activistes écologistes entré·es en grève de la faim contre un énième projet écocidaire, au milieu du présent si médiocre.

Nous sommes le dimanche 24 septembre 2023, boulevard Saint-Germain, à Paris. C’est l’aube, et le drapeau français flotte sur le bâtiment en face duquel se trouve son arbre.
Il se cramponne. À la vie, à la justice, et à cet arbre. Il est affaibli, et n’a pas mangé depuis deux semaines. Il est d’une force impeccable et n’a rien cédé depuis si longtemps. Les élu·es et activistes en tous genres se sont relayé·es sous son platane, certain·es sont même monté·es à ses côtés, se suspendre à la hauteur des fenêtres du ministre de la transition écologique. Ce matin, c’est dimanche, les gens se reposent et l’aube offre un spectacle de solitude à celui qui est encore perché.
C’est cette heure-là que les forces de l’ordre ont choisie. Celle qui masque leur absolue cruauté, leur violence plus vraiment légitime et les décisions incompréhensibles appliquées avec fracas au petit matin. On l’arrache à l’arbre et on piétine sa contestation. Il est emmené à l’hôpital, et derrière les vitres du ministère, on doit soupirer. Ouf, les arbres là-devant sont immobiles, silencieux. Prêts à assister muettement aux saccages du monde prévus en ce jour qui point.
« Il » s’appelle Thomas Brail et c’est l’un des militants les plus dignes qu’il m’ait été donné de voir. Thomas a entamé une grève de la faim début septembre pour faire réagir les pouvoirs publics face au projet de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse, un projet qui raccourcirait le trajet en voiture d’un automobiliste de 12 petites minutes. Et ravagerait pour cette folie de la rapidité, des centaines d’hectares de terre. Écocidaire, anachronique, disons-le, débile : cette ambition ridicule semble être la personnification d’un « vieux » monde qui se fout de nous à l’infini. Mais elle n’a rien de la blague, et pour faire cesser l’absurde, mes camarades sont prêt·es – désormais c’est bien clair – à mourir.
Cette semaine, Thomas a prévu d’entamer une grève de la soif.
Cette semaine, l’Etat français a choisi de bétonner, et s’il pouvait, sans doute bétonnerait-il aussi les bouches de celles et ceux qui s’y opposent. Il bétonnerait par-dessus nous, il accélérerait notre grève, nous pousserait à faire la grève de la vie tant qu’on y est, tant qu’il peut trouver des excuses plates à sa lâche criminalité sans personne pour s’accrocher aux arbres et aux lueurs pour le contredire.
Thomas demande un moratoire.
Alors que j’écris ces lignes, le ministre affirme que « plusieurs projets de routes vont être arrêtés ». Mais pas l’A69.
Thomas demande un moratoire.
Le ministre demande à Thomas de mourir, comme il demande à des tas de gens de mourir, engloutis sous le béton, les pénuries qu’il prépare et l’étuve qu’il nous construit.
Je n’avais jamais entendu parler de grève de la faim dans les mouvements écologistes dans lesquels j’évolue. C’est un outil nouveau, une porte qui s’ouvre dans ma tête, une détermination qui ressemble fort à un désespoir. Je le comprends, mais je suis tellement en colère que ce désespoir accable celles et ceux qui se battent pour la vie. Qu’il les fasse se rapprocher du vide et de la mort. Qu’il les envoie à l’hôpital, qu’il les fasse tomber des arbres. Je suis tellement en colère de nos ventres qui grondent, soit parce qu’ils se privent, soit parce qu’ils sont privés. Je suis tellement en colère de deviner la suite, encore le statut quo, encore la mort qui triomphe et nos désolations qui s’entassent, incapables de provoquer le sursaut dans un monde qui célèbre le vide et qui décapite tout le reste et les élans.
Bravo Thomas, et bravo mes ami·es. Je suis si fière de cette dignité, que vous déposez sur un présent médiocre qui ne vous mérite pas. Merci de nous nourrir de cette dignité-là, sans vous ma colère m’aurait consumée entièrement.
Pour soutenir la mobilisation contre l’A69 : https://www.helloasso.com/associations/gnsa-groupe-national-de-surveillance-des-arbres/formulaires/3