Par Eloan
Pour qui est déjà terrassé par la douleur de la perte d’un proche, se demander si l’on aurait pas pu, nous, y faire quelque chose et provoquer le miracle dont aurait tant eu besoin, est une culpabilité de trop. Une culpabilité qui vient avec une question terrible : peut-on sauver les gens que l’on aime ? Une question à laquelle Eloan a envie de répondre une fois pour toutes, pour rendre hommage aussi, à celui qu’elle vient de perdre.

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/Trigger Warning : suicide\
Pour vous raconter la petite histoire depuis le début et placer un peu le décor… Il y a quelques semaines de ça, je me suis décidée à écrire sur la mort.
- 1. Parce que même si ce n’est pas toujours évident à s’avouer, ma plume est exutoire et j’avais envie de me replonger dans mes émotions.
- 2. Parce qu’en termes de calendrier, Novembre, c’était comme qui dirait le timing parfait.
Et puis le tourbillon de la vie et son lot d’ironie ne sont jamais loin. J’ai appris, il y a quelques jours, la mort d’un ami, la mort d’un ancien amant. Moi qui voulais ressentir à nouveau des choses pour écrire, me voilà servie.
Initialement, je pensais que ce billet serait pour moi l’occasion de me questionner sur ce gros mot qu’est la mort. Je voulais m’interroger sur la construction sociale et très occidentale de la perte. J’aurais fait preuve d’un pragmatisme rare en écrivant des phrases du genre « La mort c’est la quintessence de la tristesse, c’est le passage d’un tout à un vide. C’est douloureux alors que c’est annoncé dès le début du jeu : on naît puis on meurt, pas de surprise ». Pourtant, dans ton cas, ce fût une surprise. Une demi-surprise. A quelques mois près tu aurais même pu intégrer le cercle très fermé du club des 27, le rock ou le blues en moins. Alors, à ma manière, j’ai décidé d’écrire sur l’importance de prendre soin de soi. Plus important encore, sur la nécessité de ne pas se persuader qu’on peut sauver les gens qu’on aime de leurs propres démons.
Je t’ai toujours connu torturé, par phase, par vague. J’ai toujours aperçu un fond de spleen, même dans tes sourires. C’est drôle, j’aimais ça chez toi, cette ambiguïté, cette façon à toi de toujours résister à ta propre tempête. J’étais convaincue que tu avais déjà tellement surmonté que tu étais insubmersible. J’étais convaincue que tu avais tellement bu la tasse que tu ne te noierais jamais. Les morts ne parlent pas. Je n’utiliserai pas ma voix pour remplacer la tienne. Mais j’ai besoin de te dire que j’étais là moi aussi. J’étais là, à tenter de mener ma barque, quand toi tu semblais perdre pied. J’étais là, comme une bouée, comme un gilet, à essayer de te faire remonter à la surface alors que tout autours de toi te disait de te laisser couler. Je me sentais utile, je me sentais capable de te secourir de toi-même. La vérité c’est que j’ai enfilé moi-même cette jolie blouse d’infirmière, par altruisme, par amour, par égoïsme sûrement aussi. Je voulais être la personne qui te sauverait. Pourtant, j’étais seulement celle qui portait pour deux, une peine qui n’était pas la mienne.
Vous me voyez arriver avec mes gros sabots ? Oui, finalement, la santé mentale se retrouve être la toile de fond de ma rédaction. Pour être honnête, je n’en avais pas spécialement envie, surtout parce que je ne me sentais pas légitime d’aborder un tel sujet. Au début, j’ai pensé qu’en étant ni patiente, ni professionnelle de santé, je n’étais personne pour raconter tout ça. Que j’allais surtout écrire pour moi ou à la rigueur pour vous offrir quelques pages de mon journal intime. Et même si j’aimais bien l’idée de participer à un élan de voyeurisme j’ai compris qu’il était important de voir cette expérience de vie (et même de mort) sous un prisme différent.
Tu es parti, mais moi je suis toujours là, parmi les vivants, parmi ceux qui restent, parmi ceux qui n’ont pas su te retenir. Je veux l’écrire en toute lettre, pas pour m’en persuader mais pour que le message soit audible : je ne culpabilise pas d’avoir quitté le navire avant qu’il ne sombre. Évidemment, j’ai ressenti une profonde tristesse en apprenant ton décès mais ce que je retiendrais c’est cette infime partie de moi qui avait enfin trouvé la paix. Soulagée de ne pas avoir eu à vivre la perte de sa moitié, soulagée de ne pas avoir eu à supporter la douleur de l’impuissance en partant au bon moment. Maintenant je le sais, c’est flagrant quand on prend de la hauteur, qu’on se déleste de tout ce poids. Maintenant je le sais, tu étais le seul à pouvoir te sauver. Non, soyons plus précis, tu étais le seul qui devait vouloir se sauver. Je ne regrette pas d’avoir essayé, à coup de je t’aime et autres pansements, de soigner tes plaies. J’ai été une rustine, une espèce de subterfuge. Tu méritais que l’on t’aime, ça j’en suis sûre mais tu méritais surtout que l’on t’aide. J’avais juste pas les bons outils, pas de vraie blouse de médecin. Et ça je crois que tu l’as compris quand je suis partie mais que ça n’a pas suffit.
Je pense qu’on est la somme des gens que l’on rencontre. Alors tu vois, j’aurais toujours un bout de tes tumultes avec moi, un fragment de ton sourire cassé mais aussi de toutes les jolies choses qui ont existé dans cette tempête. Je les porterai avec fierté, comme une leçon, comme des bijoux, pour continuer à briller malgré tout.