En mai, travaille comme il te plaît

Par Eloan & Charlotte

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Alors on danse ?

Par Noa

Collage fait avec amour par Noa

« Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution », cette phrase d’Emma Goldman m’a fait valser ces dernières années de militantisme. 

Comme beaucoup de petites filles blanches en France, j’ai fait de la danse moderne-jazz en activité extra-scolaire. Je me suis essayée à la danse classique, et j’ai fait deux ans de gymnastique rythmique et sportive aka GRS. J’étais franchement pas très douée, j’aimais pourtant beaucoup ça malgré l’exigence et le contrôle des corps de la discipline. J’adorais les paillettes, l’omniprésence de Diddle comme mascotte informelle et les justaucorps trop mims. J’avais notamment un solo au cerceau sur Moi… Lolita de Alizée… gênant. C’était aussi les débuts de la Star Academy dont j’étais totalement fan. Je rêvais de suivre les cours de Kamel Ouali qui faisait des chorégraphies trop fresh. Et pour me rapprocher de mes rêves de starification, j’avais la chance de créer et enregistrer un album avec ma classe de CM2, ou de danser sur l’estrade de la kermesse de fin d’année. Je prenais ça très au sérieux. Forcément, la première colonie que j’ai choisi de faire à 12 ans, nous devions créer notre propre comédie musicale en trois semaines. Demandez-moi le DVD collector, si ça vous intéresse. A l’époque, il était beaucoup plus courant d’allier la danse à la chanson. Lorie comme Britney Spears le faisaient très bien. 

Dans ma famille, les femmes ont, en toute humilité, le rythme dans la peau. Il nous faut peu de temps pour être sur la piste de danse et s’y mettre en mouvement quitte à faire n’importe quoi, on s’en fout royalement. J’ai de nombreux souvenirs de soirées dansantes finissant au petit matin avec une soupe à l’oignon. Miam. 

Les années passant, je me suis éloignée de cette première passion, laissant place aux dramas adolescents. J’y suis revenue quelques fois, davantage pour passer du temps entre copines ou pour me faire remarquer par les garçons, que pour kiffer le moment. Je vous épargne l’anecdote de l’anniversaire de Simon où je danse sur les Blacks Eyed Peas comme les Pussycat Dolls, dans l’espoir de pécho Arthur. A 14 ans, on ne maîtrise pas tout que voulez-vous. Je pourrais aussi raconter mes sorties en boite de nuit perdue en pleine garrigue, après avoir fait le mur et pris un taxi avec mon argent de poche. Les années Tchouk tchouk musik de Priscilla étaient déjà loin… 

Vous l’avez compris, qu’importe mes motivations, j’aime danser et ça ne date pas d’hier. Les milieux féministes et queers dans lesquels j’ai évolué ces dernières années n’ont fait que le renforcer. Notamment, en m’initiant à la mixité choisie sans mecs cis et/ou hétéro. Ce détail là n’a rien d’anodin, il m’a permis de regoûter à la liberté de mouvement avec moins de comportements oppressifs qu’en milieu hétérosexuel. Je peux me laisser aller à la musique sans craindre une main baladeuse ou un forceur qui arrive par derrière sans mon consentement et me colle pour danser. Danser pour danser, et non danser pour draguer. Je ferme les yeux, le sourire aux lèvres et plus rien ne compte. Boum boum boum.

Pendant le premier confinement covidien, je me revois aller régulièrement sur un terrain de sport en plein air, danser danser danser. C’était une telle sensation de liberté et de défoulement ! A la sortie des confinements et au retour de notre normalité, j’ai eu le besoin de faire corps et de me reconnecter à des sensations essentiellement physiques. Je venais de traverser une forme de paralysie et j’avais fort besoin de mouvements libres. Revenir au corps, l’honorer et lui consacrer du temps. Extérioriser tout ce qu’il endure. La course à pied ne marchait pas, ni tout type de sport compétitif. Et dans ma ville de domiciliation, privé de club ou de lieu de la nuit digne de ce nom, je me sentais orpheline à cet endroit. Sortir sous les étoiles avait moins de saveur. J’ai donc fini par m’inscrire à un cours de danse contemporaine sans spectacle de fin d’année. C’est une activité victime d’a priori, à tort et à raison. Moi-même, lors de mes cours de théâtre d’improvisation à l’université, j’étais assez douée pour performer son absurdité, son snobisme et son côté hors sol. La danse contemporaine, proche du classique, est historiquement blanche et bourgeoise, avec son langage, ses codes et ses références culturelles. Lors d’une représentation, il est facile de se sentir décalé.e, en dehors de l’intention artistique. Ne rien capter en somme. C’est un langage qui se pratique et se ressent. Avec le temps, l’exposition et la patience, il devient de plus en plus familier. Dans cette danse, il n’y a pas de sous-mouvement, tout peut devenir un geste chorégraphié. C’est une grande liberté qui peut donner le vertige. Une diversité de corps y est représentée, la fluidité de genre est valorisée. La compagnie (La) Horde du ballet national de Marseille en est un superbe exemple. Son esprit queer et inclusif bouscule les codes de la danse. Le corps y est proclamé politique.

Cela fait maintenant trois ans que je me rends chaque semaine à mon cours de danse contemporaine. Cet endroit m’offre une bulle spatio-temporelle où plus rien ne compte en dehors de la danse. Je pose mon cerveau derrière la porte du studio. C’est un ressourcement qui se nourrit du cirque, du théâtre, des ressentis émotionnels et corporels, de l’improvisation, des pulsions rythmiques. Nous n’avons pas le choix d’être entièrement présent.e à soi, au groupe, à l’espace et à la musique. C’est une disparition temporaire au monde, active dans le mouvement. Rien n’est à produire. Nous sommes juste des corps inutiles qui gigotent pour la beauté du geste et leur plaisir. Des corps qui occupent leur espace, creusent leur place, et peuvent sortir de l’esthétique et du désirable si cela leur chante. Nous sommes beaucoup au sol, à se traîner par terre, ou à faire des sauts, des grimaces, des cris, à sublimer nos sens. Une diversité de mouvements, presque un retour en enfance où bouger devient un jeu sans grand enjeu. Un discours que j’ai retrouvé dans l’essai de Camille Teste lorsqu’elle évoque son rapport au yoga en tant qu’adulte (Politiser le bien-être). En cours, nous nous touchons aussi beaucoup, sans vraiment nous connaître, avec précaution et consentement. C’est étrange au début, si éloigné des normes et de mes habitudes sociales. Les exercices bizarres de danse contemporaine que vous pouvez vous imaginer, et bien c’est exactement ça. Parfois, lorsque je fais un pas de côté et que je nous observe, je souris avec une pensée tendre à mes cours de théâtre passés. 

Cela peut paraître dérisoire, accessoire, futile comme un simple amas de secousses vertébrées sans grand impact matériel. Je le comprends. Je suis pourtant convaincue que la danse a toute sa place dans les luttes politiques. Elle propose sa perception du monde en utilisant un langage différent des mots, un autre canal de communication. Tout le monde n’y est pas sensible ou éduqué.e socialement pour l’être. Cela peut demander de la pratique si le cœur vous en dit. Récemment, j’ai assisté à la représentation de Bugging d’Etienne Rochefort. La chorégraphie est notamment inspirée de l’histoire du VOGUING éminemment militante, né au sein de la communauté noire LGBT à NYC, parodiant les concours de beauté de l’élite blanche et jouant des codes sociaux (la sexualité, le genre, la féminité sociale…). Bugging nous tend le miroir de notre aliénation dans un monde qui déraille. Et c’est sublime doublé d’une virtuosité technique.

La danse est un canal pour les révoltes politiques, autant intimes que collectives. Et il est question là de toutes les danses et de tous les corps. Lea militant.e queer et anti-validiste, No Anger, le démontre à travers sa pratique, par laquelle iel explore la possibilité de réinventer artistiquement son corps handicapé (Quasimodo aux miroirs, MAC-VAL, 2018).

Mon expérience en manifestation est tout autre si celle ci est animée par de la musique, un soundsystem, des chants, des groupes de percussions, des fanfares, des performances artistiques. Ça vibre davantage, la communion est meilleure. La joie se déploie. Comme le dit MC danse pour le climat (Mathilde Caillard), techno-activiste et phénomène médiatique lors des manifestations contre la réforme des retraites ; « Danser pour militer est une longue tradition dans l’histoire des mouvements sociaux. La danse a toujours été énormément utilisée pour faire passer des messages politiques, toucher un peu à l’émotionnel et sortir de nos cercles militant.e.s pour percer le plafond de verre. Une grosse inspiration pour moi sont les militantes chiliennes de Las Tesis, qui, en 2019, faisaient des grandes chorégraphies où elles faisaient masse avec une grande communauté de femmes, avec une chorégraphie qui a été reprise partout dans le monde. ». Camille Etienne et son acolyte, la danseuse Léa Durand, suivent aussi cette voie. Elles associent merveilleusement messages politiques pour la lutte écologiste et chorégraphies sensibles. A son tour, Le Bruit qui court, collectif d’artivistes, milite dans la joie, à travers divers expressions artistiques. J’ai eu la chance de les croiser à la fête de l’humanité l’année dernière pour leur performance Résiste!. C’était percutant et rafraichissant dans ce joyeux bordel que peut être cet évènement. Cela participe à mon sens à rendre les mouvements sociaux désirables, doux, sensibles et vivants.

Alors que ce soit en cachette chez soi, au milieu de la piste sous une boule disco, en pleine manif’ dans le cortège des pink bloc, aux 80 ans de tante Jeannine, à la guinguette du coin, dans un club berlinois ou dans un bal trad’, dansons les copaines !

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Références

(La) Horde :

Politiser le bien être de Camille Teste :

Bugging d’Etienne Rochefort :

No Anger :

Le bruit qui court :

Camille Etienne :

Et en bonus : 

La série télévisée POSE

Music for Maison d’en face :

Jungle – Us Against The World :

Le film Houria de Mounia Meddour :

Turbulence #4 – Un monde à facettes

Par Laura

Photographie par Erik Eastman sur Unsplash

Comme vous le savez, pour celleux qui m’ont déjà lue, il y a quelques mois, fatiguée de Paris, j’ai pris mes clics et mes clacs et je suis partie à Madrid en quête d’une vie plus épanouie. Oublié le français, bonjour l’anglais et l’espagnol. Mais en partant aussi proche de mon pays d’origine, je ne m’attendais pas à subir un choc culturel et à découvrir une autre facette du monde. Laissez-moi vous expliquer.

Déjà remettons le contexte :

J’ai grandi en banlieue parisienne, dans une famille plutôt de la classe moyenne supérieure et ai fréquenté des établissements d’enseignement publics jouissant d’une grande diversité culturelle et sociale. Quatrième génération d’immigrés venus en France, malgré le fait que la culture originelle de ma famille s’est bien diluée depuis leur arrivée, j’ai tout de même grandi entre la culture française, la culture juive ashkénaze et l’héritage de la Shoah.

Une fois arrivée dans ma vie d’adulte, mon environnement a bien changé… Ayant fréquenté une université sélective élitiste puis une école de communication privée, on ne peut pas vraiment dire qu’il y avait une grande diversité sociale et culturelle… Mais il m’a fallu débarquer à Madrid et rencontrer des personnes de multiples origines pour me rendre compte que pendant toutes ces années, j’avais été enfermée dans un entre-soi. Et pourtant, il y a 6 ans, j’avais déjà empoigné mon sac-à-dos pour aller découvrir une autre réalité en Asie. Mais entre-temps, mon sens critique et mon opinion se sont affûtés, radicalisés et politisés, me donnant accès à une toute autre clé de lecture.

Retour à Madrid :

Au gré de mes pérégrinations madrilènes, je rencontre et découvre les histoires des personnes du monde entier, issues de pays que je n’avais jusqu’ici pas ou peu eu l’occasion de rencontrer. Notamment, espagnol oblige, d’Amérique du Sud. Germe alors une prise de conscience. Nombre de ces personnes ont grandi dans des pays qui ont souffert de la colonisation et qui souffrent aujourd’hui d’instabilité économique, politique, de corruption, de grande insécurité etc. Par exemple, une camarade brésilienne nous racontait qu’au Brésil, les habitant.e.s jouissent d’une nature luxuriante produisant de délicieux produits, produits qui sont principalement réservés à l’exportation et dont iels ne peuvent pas profiter ,se retrouvant à devoir consommer des aliments de piètre qualité.

Tous ces échanges me font réaliser à quel point mon pays et toutes les nations occidentales se sont construites à travers une stratégie de prédation des ressources d’autres pays et notamment de leurs colonies – que leur développement, et de fait mon développement, s’est fait au détriment d’autres pays, d’autres humain·es qui méritaient tout autant de pouvoir profiter de ces ressources, voire plus puisque ce sont leurs terres. Cela passe par les ressources alimentaires, mais également par les ressources financières et le pouvoir politique de mon pays d’origine qui m’ont permis en grandissant d’avoir accès à tout un tas de services tels qu’une éducation de qualité gratuite, un système de santé en partie remboursé, des aides au logement, des aides en cas d’inactivité salariale… Certains privilèges dont je n’appréciais pas encore totalement la rareté, la valeur mais surtout l’origine frauduleuse prenant racine dans l’oppression d’autres êtres humains.

Je me souviens qu’à l’école on nous apprend, qu’un jour notre pays et d’autres ont décidé d’envahir certains pays et de les coloniser. On nous raconte d’une manière sûrement très biaisée et partielle, les ravages qu’ont fait les guerres et démarches qui ont mené à la décolonisation. Quand on y pense, ces faits historiques sont empreints d’une extrême violence, mais je n’ai pas souvenir qu’on me les ai transmis de façon à ce que je me rende compte de leur horreur. De plus, en tant qu’enfant ou adolescente je ne me rendais pas bien compte de ce que cela impliquait concrètement et je me disais sûrement que tout cela n’était que du passé. Enfermée dans ma facette du monde, j’étais à mille lieues de questionner l’Histoire que l’on nous racontait, mes priorités étaient tout autre : attendre avec hâte que la cloche sonne pour aller courir dans la cour ou me concentrer sur l’échéance du BAC qui arrive à grand pas.

Mais aujourd’hui, ces enseignements ont pris une tout autre perspective, une perspective réelle et humaine et ont totalement changé ma lecture du monde. J’ai avalé la pilule rouge et je ne peux plus revenir en arrière… Je ne peux plus fermer les yeux devant le racisme ambiant et hypocrite qui gangrène mon pays (et malheureusement en Espagne ce n’est pas mieux, voire pire…). Je ne peux pas comprendre et accepter qu’on ait colonisé des terres, qu’on en ait extrait des peuples pour qu’iels nous aident à reconstruire notre pays dans l’après-guerre, mais qu’une fois leur ressource travail utilisée, on les remercie par un racisme systémique et les saluent par un “Rentre chez toi!”. Et je comprends la colère du personnage principal du film Athena de Romain Gavras suite à l’assassinat de son frère et à la stigmatisation constante qu’il a dû subir en grandissant (très beau film sur les émeutes des banlieues, faisant écho à l’assassinat de Nahel, avant même qu’il ne soit perpetré, mais très critiqué pour le message politique qu’il fait passé). Moi aussi je serais en colère, si depuis ma plus tendre enfance, j’avais subi des micro-agressions continues liées à mes origines ou mon faciès, si on m’avait constamment fait sentir que je n’avais pas ma place ici.

Des voix se font de plus en plus entendre sur ces sujets, notamment dans les mouvements décoloniaux que je vous invite à suivre. Ces discours avaient déjà attiré mon attention à l’heure où l’on se rendait compte de l’horreur qui se passait à Gaza. Il faut dire qu’entre la Russie qui essaye de grignoter l’Ukraine, l’Israël qui s’installe sur les territoires palestiniens et décime ses populations et la Chine qui zieute Taïwan, il semblerait que la colonisation soit un sujet tout à fait d’actualité… N’étant pas géopoliticienne, je vais m’arrêter ici, je voulais simplement vous partager mon ressenti et la turbulence que ça a occasionné chez moi. Si vous voulez creuser sur le sujet, je vous redirige directement vers des personnes directement concernées et vous invite à suivre des chaînes comme celle d’Histoires crépues par exemple, pour découvrir l’autre facette de la colonisation.

Je sais qu’on dit que briser un miroir cause sept ans de malheur, mais assise devant ces éclats divergents, pour rien au monde je reviendrai à mon reflet unique et je compte bien continuer à collecter d’autres bris de regards pour façonner mon monde à facettes.

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Turbulences, ce sont les chroniques d’une femme cis blanche “privilégiée” hypersensible qui décide de s’emparer et de décortiquer les turbulences sociétales et personnelles qui la bousculent. Un petit plongeon dans l’œil de la tempête pour un grand bain de prises de tête.

Je ne serai pas un point médian

Par Callircé – nourrie par des échanges avec Alyss (de l’équipe) et une amie (pas de l’équipe)

Photo d’Aaron Burden sur Unsplash

“Je déteste le point médian. Perso, je ne l’utiliserai pas. Parce que je refuse d’être réduite à un point après un mot masculin. Moi, je veux mon mot complet, qui me désigne à part entière.”

C’est ce que m’a dit une amie récemment quand on est tombées sur un texte écrit avec le point médian. S’en est suivie une conversation passionnante sur ce qu’on entendait, nous, par “écriture inclusive”, ce qu’elle implique et comment elle se manifeste physiquement dans notre usage de la langue.

Résultat ? Une nuit blanche mais un échange riche comme on les aime !

Parce que s’il y a bien un sujet qui déchaîne les passions quand on en vient à parler de l’évolution de la langue française, c’est l’écriture inclusive. Enfin… Justement, pas vraiment l’écriture inclusive mais bien souvent un point en particulier. Le point médian.1 Alors je me suis un peu interrogée sur cette question. Parce que je pense que l’écriture inclusive ne peut, et ne doit, pas être réduite au point médian.

Car cette porte d’entrée a souvent tendance à cristalliser les réserves (difficulté de lecture, alourdissement des textes..) et les peurs (peur du changement et de l’évolution d’une langue vivante) de certaines personnes pour fermer totalement le débat avec les autres.

C’est dommage car l’enjeu que l’écriture inclusive soutient est crucial. Son essence réside dans la volonté de rendre à nouveau visibles les personnes qui ont été invisibilisées, en particulier les femmes et les personnes s’identifiant comme telles.

Et notre langue a son rôle à jouer. Car elle nous sert à communiquer et elle permet de nommer les idées, les concepts, les personnes pour les faire exister dans la matière. On peut alors les penser et les intégrer dans notre réalité. Car ce qu’on ne nomme pas n’existe pas.

La manière dont on dit les choses est importante car elle montre notre façon d’être au monde.

Mais quand on aborde cette question, elle devient toujours rapidement épineuse car on l’associe immédiatement au point médian.

Pourtant, quand on s’intéresse plus de 30 secondes à ce sujet, on découvre qu’il existe de nombreuses autres manières de rendre l’écriture inclusive. Je ne rentrerai pas dans tous les détails linguistiques et toutes les règles très intéressantes qui existent pour faire vivre et appliquer l’écriture inclusive. D’autres le font bien mieux que moi !2

Mais la réflexion de ma pote, que je rejoins, m’a donné envie de piocher dans ce qui existe pour insuffler plus d’intention à ma manière d’écrire.

J’aime utiliser les “doublons” (écrire auteur et autrice plutôt qu’auteur.ice) ou le neutre (lectorat au lieu de lecteurs et lectrices par exemple) et je suis en amour avec l’accord de proximité (les auteurs et les autrices sont allées faire la fête). Parce que ça me parait naturel et évident. Et surtout ça ne m’oblige pas à utiliser une règle (le point médian) que je trouve trop lourde visuellement et trop clivante. 

Et ça soulève une autre facette très intéressante de l’écriture inclusive : la langue est vivante, par définition elle évolue au gré des changements de notre société. Je trouve que ce n’est pas effrayant mais merveilleux.

Peut-être est-ce un peu inconfortable mais le jeu en vaut largement la chandelle.

Une langue qu’on cherche à figer est une langue qui se sclérose. Une langue qui se sclérose est une langue qui s’appauvrit. Et je pense aussi que c’est ainsi que s’appauvrissent les idées et une société tout entière (oui, rien que ça !).

C’est donc plutôt chouette de prendre du recul et de dépassionner un peu le débat pour s’interroger sur le but premier de l’écriture inclusive : soutenir une société plus égalitaire à travers le langage.

Pour terminer, l’écriture inclusive ouvre une porte essentielle à mes yeux : celle de la responsabilité. Elle nous pousse à nous questionner sur notre usage de la langue française et surtout, elle nous offre l’occasion d’avoir un rôle actif et engagé dans notre manière de communiquer.

Je reste convaincue que le langage est un outil extrêmement puissant dans la lutte contre les inégalités, quelles qu’elles soient. Et l’écriture inclusive est un outil génial pour y parvenir. Il est protéiforme et reste un espace d’invention formidable en perpétuelle évolution, pour peu qu’on accepte de discuter et de chercher ensemble de nouvelles manières de la faire exister. 

Alors aujourd’hui, j’essaye d’écrire au maximum en écriture inclusive et de me l’approprier, à ma manière. Je cherche continuellement les moyens les plus naturels de le faire pour moi. Et non, personnellement ça ne passe pas par le point médian. Peut-être qu’un jour, ce sera le cas. 

Mais pour l’instant, j’aime l’idée d’apporter de l’intention à ma manière d’écrire d’une autre façon. D’une façon qui permette tout de même de faire avancer les choses. D’insuffler des idées d’égalité grâce aux mots que je choisis et l’ordre dans lequel je les aligne. Ce n’est pas encore un réflexe mais ça le devient de plus en plus.

Et ça me remplit de joie car je me revois petite fille, quand on m’a expliqué que “le masculin l’emporte sur le féminin”. Je me souviens du sentiment d’injustice et d’incompréhension qui m’avait traversée.

Comme une sorte de trahison de la part de ce que j’aimais le plus : les mots.

Aujourd’hui, l’adulte que je suis reprend le pouvoir sur eux et décide enfin de casser cette règle pour remettre au goût du jour celles qui ont du sens et qui résonnent en moi.

Autant à travers le fond que la forme.

1  En écriture inclusive, le point médian est utilisé pour regrouper au sein d’un même mot les formes au masculin et au féminin, comme dans un·e apprenti·e par exemple.

2 Sur ce point, je vous invite à visionner la super vidéo de Scilabus « L’écriture inclusive a-t-elle un intérêt ? Quelles preuves ? », disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=url1TFdHlSI, et à lire l’ouvrage du collectif des Linguistes Atterrées dans son tract « Le français va très bien, merci », paru chez Gallimard en mai 2023.

Poésie polémique

Par Jonas

Photo de Finwal sur 123rf

En mars, c’est le renouveau, le retour à la vie
On fête le printemps et puis… la poésie

C’est devenu récurrent, événement national
On se gausse, on s’éprend, d’une pause verbale
En rimes ou bien en prose, c’est le Printemps des Poètes
Je ne connaissais pas la chose et je me suis senti bête
En apprenant que Tesson en était le parrain
Lui le grand aventurier, l’arpenteur des chemins

Bon, Sylvain en modèle, c’est un peu réducteur
Et sans vouloir faire d’zèle, des autrices, des auteurs
Se disaient que la poésie n’a pas besoin d’un type
Au courage exemplaire mais aux propos limites
Quand il s’agit de vanter la gloire de la patrie
Le mythe du bon français qui sent un peu le pourri

Mais passons les raisons car peut-être on a tort
Et qui sait si Tesson n’est pas un mec en or
Ce qui est incroyable c’est l’échafaud dressé
Pour cette bande d’incapables qui ont osé parlé
Mettre en doute une idôle, défendre le pluralisme
Cette fois, c’est pas de bol, car on dit l’homme artiste
Que Sylvain par ses mots, fait rayonner la France
Qu’il faut bien être idiot pour ne pas faire allégeance

La tribune mise à sac a-t-elle bien été lue?
Moi j’aime la poésie quand elle chante de la rue
Quand elle nous illumine, quand elle ouvre la voix
Pas quand elle carabine ou nous dicte sa loi
Qui s’accorde le droit d’ériger des icônes
Devrait laisser le choix que d’autres les détrônent

Mais cette cacophonie est signe de l’époque
On s’exclame on s’écrie sans jamais d’équivoque
Je prie pour que l’on s’offre une pause, un répit
Que chacun, que chacune sans rage ni stratégie
Puisse écouter et lire des avis opposés
S’exprimer et se défendre sans jamais s’imposer
Je me rends pourtant compte que l’on n’est jamais neutre
Et que ces alexandrins me servent de thérapeute

Alors pourquoi écrire me direz-vous sans doute
Quand à chaque parole, on se perd un peu en route
Peut-être pour essayer dans les vagues et les flots
De garder des repères qui nous tiennent hors de l’eau
Se dire que peut-être rien n’est tout noir ou tout blanc
Mais que remettre en cause, sans cesse se questionnant
Sur nos normes, nos principes, nos convictions profondes
C’est le début d’une piste, la voie d’un nouveau monde
Et si c’est laborieux, l’ouvrage de toute une vie
C’est peut-être bien là le rôle de la poésie.

Ressources :

  1. Tribune, Libération : Ici
  2. Critique de la tribune, JDD : Ici

Des interstices – épisode 2 : Désintégration positive

Par Alyss Haller

Photo de Prill sur Getty Images

Il y a bien peu de choses dont nous pouvons être sûr·e·s, mais s’il y en a une sur laquelle nous sommes à peu près d’accord, c’est que nous, êtres humains, tous autant que nous sommes, aspirons au bonheur – quelle que soit l’idée que nous mettons derrière. Certaines personnes l’ont déjà trouvé, d’autres le cherchent encore, d’autres encore pensent l’avoir perdu, ou ne pas avoir su le saisir quand il était à portée de main. Des philosophes ont tenté de le définir (et ne sont pas d’accord) ; des économistes et des sociologues de le mesurer (dans les pays, au travail…) ; notre époque a même vu l’avènement d’une nouvelle pratique qui prétend nous apprendre à le cultiver : le développement personnel. Des conseils bien-être prodigués en masse par les influenceur·euses lifestyle aux programmes d’accompagnement en ligne à deux bras et demi et un rein, en passant par les webconférences gratuites et toute une littérature spécialisée, il est presque impossible d’y échapper. De sorte qu’aujourd’hui, si on n’est pas heureux, c’est qu’on le fait un peu exprès.

Cette culpabilisation latente (ou carrément explicite) liée au fait d’aller mal, je l’ai vécue – et peut-être que toi aussi.

Si tu as lu l’épisode zéro de cette chronique, tu sais que je suis passée, comme ça arrive à plein de gens, par des épreuves pas forcément réjouissantes. Et là où certain·e·s restent debout en serrant les dents, ou planquent leurs émotions sous le tapis du déni, moi, je me suis effondrée, oscillant entre sanglots paroxystiques dignes d’une pleureuse grecque et longues heures d’abattement avalée par mon canapé, figée dans la torpeur asthénique d’une huître zombie. Bref, j’ai fait ce qu’on appelle une « dépression réactionnelle ».

Sans aller jusqu’à dire que cette situation me convenait, j’estimais qu’il était somme toute plutôt normal de ne pas être au mieux de ma forme compte tenu des circonstances (famille dévastée, poste supprimé, rupture consommée, rêves dynamités).

Telle n’était pourtant pas l’image qu’on m’en renvoyait.

Cette image, c’était d’abord celle d’une faiblesse, d’un défaut de maîtrise de soi. Le genre de chose dont on ne parle qu’à mi-voix, avec cet air de connivence un peu désolé et cette légère torsion de la bouche (on ne sait pas trop si c’est du dégoût ou de la pitié). Un peu comme on évoquerait une MST : un truc vaguement honteux et contagieux. Il y a cette idée tacite que la dépression, c’est un truc de fragile. Un truc qui touche seulement les personnes déjà un peu bancales, qui n’ont pas su faire face – ou garder la face. Pourtant, si tu as un ulcère ou un cancer colorectal, personne ne songera à dire que c’est de ta faute. Mais quand ça touche à la psyché, quand c’est dans ta tête, tu es censé·e contrôler, choisir même.

L’autre face de cette image, c’est l’aspect pathologique. La dépression serait une maladie à soigner. Par conséquent, elle exige une médication pour l’éradiquer : les antidépresseurs. Attention : je ne nierai pas que certaines formes de dépression chronique, liées par exemple à des déséquilibres hormonaux ou à des causes neurologiques, requièrent un traitement adapté. Je ne crois pas non plus qu’il faille se priver absolument des moyens de soulager la douleur que la pharmacopée moderne met à notre disposition (je n’ai jamais adhéré aux idéologies érigeant la souffrance en vertu ou en fatalité, et je remercie avec ferveur le dieu du flurbiprofène de m’éviter une fois par mois de me plier en deux en poussant des râles d’agonie). Mais ce qui me dérange dans ce raisonnement, c’est l’idée sous-jacente qu’être en bonne santé, ce serait aller toujours bien. L’homéostasie parfaite. Alors que la vie, c’est tout le contraire : des joies, des peines, des surprises, des rebondissements, des défis ; bref, du mouvement et du changement. Et qu’un individu dépourvu d’affect, ça porte un nom : psychopathe.

Ce diagnostic de dépression, prononcé sur un ton au dogmatisme définitif et livré avec son ordonnance d’escitalopram ou de venlafaxine, j’avais juste l’impression qu’il m’enfermait dans une boîte. Une boîte qu’on aurait soigneusement étiquetée, avant de l’enterrer bien profond (au trente-sixième dessous, à vue de nez) et de l’y laisser pourrir : « voilà Madame : problème identifié, solution toute trouvée, merci bonsoir, personne suivante ». Alors que moi, j’avais envie d’en faire quelque chose, de tout ça. J’avais besoin que ce soit constructif.

Alors, j’ai fait des recherches.

Et j’ai fini par tomber sur Kazimierz Dąbrowski : quelqu’un qui pensait comme moi qu’une bonne santé mentale ne se mesure pas au fait de rester calme face au désastre (a fortiori dans un monde bourré d’injustices et d’inégalités), et qui était un psychiatre reconnu. Il a bâti sur cette idée sa théorie de la formation de la personnalité par la désintégration positive (c’est moins compliqué que ça en a l’air). Pour Dąbrowski, des symptômes dépressifs peuvent être le signe d’une crise de croissance, un peu comme à l’adolescence. Soumise à un bouleversement (deuil, traumatisme, ou tout autre événement déstabilisant), la psyché se retrouve en déséquilibre, le temps de parvenir de nouveau à une forme d’unité. C’est l’occasion d’une remise en question profonde de ses choix de vie, des valeurs héritées de son éducation et de la société, et d’évoluer vers un stade de développement plus authentique, avec de nouveaux choix, personnels, conscients et assumés.

Cette vision des choses n’amoindrit ni le danger (réel) ni la souffrance que de telles crises représentent pour les personnes qui les traversent, mais elle a le mérite de les replacer dans un processus, un cycle, là où la médecine occidentale a tendance à segmenter, à isoler (les parties du corps, les moments de vie). Je crois qu’à chaque fois qu’on découpe comme ça le monde (bien droit en suivant les pointillés), on perd du sens. Sauf qu’une vie qui a du sens, c’est un peu la base du bonheur, non ? 

En tout cas, moi, ça m’a vraiment aidée, de sortir de cette vision binaire en noir et blanc : bonne santé vs maladie, aller bien vs aller mal (d’ailleurs, je n’ai jamais su répondre à la question « ça va ? » – j’ai appris à le faire en moins d’un quart d’heure ou de cinquante lignes, comme les conventions l’exigent, mais j’ai toujours l’impression de mentir un peu).

Et puis, le bonheur sans mélange, ça n’existe pas, tout comme le malheur absolu : la plupart du temps, la vie, c’est un entrelacement complexe de choses agréables et désagréables, parfois impossibles à démêler, et sur lesquelles on n’a pas toujours prise. Des étincelles de joie qui brillent au milieu du marasme (comme le gâteau au chocolat de tante Cécile après une journée pourrie) et de petites taches qui viennent ternir un moment de félicité (le relou qui passe avec sa musique de merde à fond sur son enceinte alors que t’étais en extase devant un coucher de soleil au bord du lac). À moins qu’elles en rehaussent plutôt l’éclat.

Je me dis qu’il faudrait peut-être apprendre à chérir aussi ses malheurs. Pas pour s’y vautrer avec complaisance, version ouin-ouin ou martyr, mais parce que, pour peu qu’on ne les rejette pas en bloc, ils nous construisent aussi. Parfois (souvent) plus que les moments heureux. Et puis parce qu’ils nous permettent de chérir d’autant plus ces derniers.

Turbulence #3 – N’avez-vous jamais rêvé de disparaître ?

Par Laura

Photographie par Arthur Silve (@oups_cest_flou)

N’avez-vous jamais rêvé de disparaître ?

Je vous le demande très sincèrement parce que moi ça m’arrive régulièrement. Ce matin encore par exemple, je me réveille et comme à mon habitude, j’allume ma boîte de connexion aux autres pour regarder l’heure. Et bim me voilà aspirée pour une heure (Note : ne plus regarder mon téléphone dès le réveil). Les titres, les images, les vidéos défilent devant mes yeux : les émeutes au salon de l’agriculture, la Macronie méprisante, le courage et l’indignation de Judith Godrèche aux Césars, la répression policière violente de la ZAD de la Crem’arbre… Pompée, atterrée, horrifiée, je fais disparaître tout ça d’un mouvement de doigt. Extinction des lumières. Disparaître. J’aimerais disparaître de ce monde de brutes, de lutte permanente.

J’ai une autre confession à vous faire.

J’ai une drôle de colocataire un peu envahissante avec qui je dois partager mon corps.  Elle aime bien s’asseoir sur ma tête et me rendre encore plus petite que je ne le suis déjà. Elle aime bien me susurrer à l’oreille des choses pas très sympa. Elle est cette voix incessante bloquée dans une boucle d’insatisfaction de mes moindres actions et réactions. Elle adore jouer avec les connexions de mon cerveau et débrancher quelques fils pour le faire patiner. Le soir au moment de me coucher, elle tourne en boucle dans sa petite roue d’hamster pour me garder éveillée. Et la nuit, elle est tellement au taquet, que je me réveille fatiguée.

J’ai le plaisir de vous présenter cette fausse amitié que j’ai avec mon amie l’anxiété.

J’ai longtemps essayé de m’en débarrasser, mais dans mon corps c’est comme si une trêve hivernale éternelle avait été déclarée et impossible de la déloger. Cachets, plantes en tout genre, chien tête en bas, « resting child pose », pranayama, j’en ai eu ma dose… Je vous rassure quand même, des fois elle me laisse des pauses. Mais à peine je me réjouie de son départ, que la voilà qui repose son bazar. Qu’est-ce que j’en ai gaspillé de l’énergie pour essayer de la faire partir de ma vie. Mais je crois qu’aujourd’hui il faut juste que j’accepte sa présence et que je stoppe la résistance. Il faut que j’apprenne à cohabiter avec mon anxiété si je veux réussir à survivre dans ce monde intense, incessant et d’une violence inouïe. Alors oui je vous avoue que des fois j’ai envie de disparaître. D’ailleurs je n’en suis pas fière, mais j’ai déjà réussi à le faire… Retour en arrière.

Mars 2020 – L’humanité est enfermée, les soignant·es sont au premier rang tentant de sauver des millions de patient·es du virulent virus qui nous a toustes assiégé. Cloîtré·es, on essaye de se donner un semblant de dignité face à notre inutilité en les applaudissant à notre fenêtre, qui laisse apercevoir une lueur d’espoir : on parle de faire les choses différemment, un halo de bienveillance semble commencer à pointer le bout de son nez alors que tous les soirs chacun·e attend anxieusement le décompte des décès.

Mars 2020 – Pendant ce temps dans un monde parallèle – Mon corps m’a lâché. Assignée à mon canapé, il a refusé d’être confiné et a juste décidé d’arrêter de fonctionner. Abandonnée par mon ancre, je me suis réfugiée dans une bulle de sérénité, incapable de processer cette nouveauté. Déconnectée des actualités, de mon téléphone et des monstruosités du monde extérieur, j’ai basculé dans une autre réalité. Je me suis construit un nouvel univers intérieur nourri par cette lueur d’espoir qui m’a également frappée un soir que je tapais des mains sur mon balcon pour partager ma compassion. 

Mai 2020 – Quelle liberté, nous voilà déconfiné·es ! Je redécouvre la beauté de mon quartier, je relie avec mes chères amitiés, tout ça, derrière le filtre de mon altérité. Cette redécouverte du monde extérieur fait craqueler les murs soigneusement isolés de mon studio avec vue sur mon mirage durement édifié. Plonger, creuser, m’enterrer. Après avoir voulu disparaître du monde, c’est ce même monde qui m’a fait disparaître.

Oui le problème avec le fait de disparaître, c’est quand il s’agit de réapparaître… Le choc de son monde imaginé contre la réalité est souvent brutal. Solution testée et non approuvée. Alors comment faire quand des fois on n’arrive pas à supporter le monde dans lequel on est né ? Comment faire quand nos fils d’actualité deviennent juste une entrave à notre sérénité ? Je n’ai sincèrement pas trouvé la solution miracle… Mais aujourd’hui j’ai décidé d’empoigner ma plume et de coucher sur le papier ce qui me tracassait et j’ai le plaisir de vous annoncer qu’à la fin de l’écriture de ce billet, mon anxiété s’est calmée 🙌

Une lueur d’espoir pointe à nouveau son nez depuis ma fenêtre. Agir plutôt que subir. Serait-ce le remède à tous mes problèmes? Reprendre le contrôle en partageant, en sensibilisant, en manifestant, en poussant la réflexion, en exprimant son opposition, en menant des actions, en construisant des solutions. Alors certes, des fois, face à l’inefficacité de notre activité, on peut vite retomber dans notre puits agité·es de fragilité (comme ont pu nous le raconter Charlotte et Enthea dans leur article sur l’expérience du burn out militant). Mais personnellement, pour essayer de mater mon anxiété, j’ai décidé d’être dans l’action plutôt que de me retirer de l’équation. Être ou disparaître, telle est ma question.

Turbulences, ce sont les chroniques d’une femme cis blanche “privilégiée” hypersensible qui décide de s’emparer et de décortiquer les turbulences sociétales et personnelles qui la bousculent. Un petit plongeon dans l’œil de la tempête pour un grand bain de prises de tête.

Mémé dans les orties

Par Laura

Photo de Nathan Eddy sur Unsplash

Mémé, ma chère Mémé,

Je t’écris aujourd’hui parce que les mots me manquent et surtout parce que tu me manques. Je n’ai pas compris et je ne comprends pas ce qui s’est passé… Personne ne comprend d’ailleurs, toi y compris. Comment, toi, notre Mémé Renée adorée, notre Mémé dont tout le monde admirait la vigueur, la fraîcheur d’esprit, l’intelligence, pouvait, d’un coup d’un seul, se fâner comme ça.

Je t’écris aujourd’hui parce que je suis en colère. Ce n’est pas palpable, mais je crois que je tiens le coupable : J’accuse.

J’accuse cette société âgiste1 dans laquelle on vit.

J’accuse cette société qui se rit de nos différences dans l’indifférence.

J’accuse cette société qui abuse de sa supériorité pour nous faire sentir minorité.

J’accuse cette société de s’amuser de nos altérités et de les transformer en fragilités.

J’accuse cette société de nous imposer une date de péremption quand nous ne sommes plus aptes à la fécondation.

J’accuse cette société de nous évincer quand nous ne sommes plus obligé·es de travailler.

J’accuse cette société de nous infantiliser quand nos capacités ne sont plus à leur totalité.

J’accuse cette société parce qu’elle te fait penser que tu ne peux plus rêver, que tu ne peux plus désirer, que tu dois vivre dans le passé sans futur à planifier, que du haut de tes quatre-vingt cinq ans et de ton sourire plein de dents, tu n’as plus le droit de t’amuser et de profiter comme une enfant. Mais du temps tu en as et tu devrais pouvoir l’occuper comme tu le souhaites, te construire ta vieillesse sans te soucier des idées pré-faites.

Tu me dis que tu es « vieille ». Mais qu’est-ce que ça veut dire « vieille » ? Le Larousse me dit que c’est un adjectif qui décrit une personne qui atteint un grand âge mais elle ne dit pas que c’est une personne hors d’usage, fragilisée, isolée, minimisée, silenciée. Ça c’est ce que notre société capitaliste utilitariste a fait de nos vieux, des vieux corps abandonnés attendant le dernier jugement. Mais être vieux ça peut aussi dire : avoir un enfant comme Robert à soixante-dix neuf ans, faire de nouvelles rencontres comme Denise à quatre-vingt ans, faire le tour du monde comme Dominique à cent un ans, continuer d’opérer à quatre-vingt neuf ans comme Alla, sauter en parachute comme Dorothy à cent quatre ans, teufer en rave comme Renée soixante-dix neuf ans ou encore transitionner comme Peter à quatre-vingt dix ans. Alors toi, qu’est-ce que tu voudrais faire maintenant que tu es vieille ?

Tu passes ton temps à me dire que je suis belle mais tu refuses de l’être toi, belle. Parce que ta peau est ridée et tâchée ? Parce que ton dos est courbé ? Parce que tes cheveux sont grisés ? J’aimerais te prêter mes yeux pour que tu vois à quel point tu es précieuse. À quel point tes tâches de vitiligo forment un arc-en-ciel de couleurs qui ravit mon cœur. J’aimerais te convaincre que tes cheveux, dont tu ne cesses de te plaindre, ne sont qu’une magnifique forêt aux milles reflets, dansant dans la lumière et te rendant si singulière. Ton visage, comme un magnifique paysage que je rêve de pouvoir continuer à admirer pendant encore de longues années.

Petite on t’a dit de te glisser dans une encoche pour ne pas te faire voir par les boches. Plus grande on t’a dit de t’effacer pour laisser la place aux masculinités et de t’occuper plutôt de tes bébés. Plus vieille on t’a rabaissée en bas de l’échelle, en attendant les corneilles. Ton dos a ployé sous le poids de ces décrets. Normal qu’aujourd’hui le mètre indique que tu es petite. Mais nos cœurs mesurent à quel point tu es grande.

Mémé, je n’ai pas assez de mots pour te dire à quel point tu comptes, as compté et compteras. Il te reste peut-être moins de distance que moi à parcourir, mais ces mètres peuvent tout autant être appréciés que les premiers. Comme on dit, ce n’est pas la destination qui compte mais le voyage. Alors mémé, vas-y, ouvre la fenêtre, admire les paysages, enlève le toit, laisse tes cheveux voler au vent, parce que t’en as encore pour un petit bout de temps.

Ton petit ragondin

1 L’âgisme regroupe les stéréotypes (la façon d’envisager l’âge), les préjugés (ce qu’inspire l’âge) et la discrimination (la façon de se comporter), dont on est soi-même victime ou dont autrui est victime en raison de l’âge. (Définition de l’OMS)

Disqualification militante

Par Noa

Photo de Maurício Mascaro sur Pexels

Lorsque j’ai commencé à écrire cet article sur mon vécu militant, je me suis vue lister mes participations aux actions dans les luttes féministes, écologiste et de justice sociale. Les collectifs ou associations que j’ai co-créé avec des copaines. Les multiples apports sensibles, pratiques et théoriques dont j’ai bénéficié. Les rencontres faites. Un CV militant en somme. Comme une personne faisant la liste de ses conquêtes sexuelles ou romantiques afin de justifier à ses adelphes toute sa juste place dans la communauté queer. Une personne devant faire preuve de sa bonne foi d’hystero-gauchiasse. 

Ces besoins de légitimité et de reconnaissance par les pairs sont terribles. Ils sont à mon sens de véritables freins à l’endurance de l’engagement. Et sont étroitement liés à la pureté militante. Cette espèce d’archétype de l’activiste idéal·e que tout le monde a plus ou moins en tête selon ses références, sa culture militante ou ses années d’expériences sur le terrain.

Pour mieux comprendre d’où je parle, voici mon socio-profil ; à 31 ans, j’ai principalement milité dans des cercles féministes. Je suis passé d’un engagement des idées à une pratique de terrain plus directe. J’ai cotôyé les milieux auto-géré, anti-fasciste et écologiste, principalement en Bourgogne Franche-Comté. Le reste du temps, je suis salariée à temps partiel dans une association du médico-social. J’y ai un poste de cadre avec les responsabilités et les conditions matérielles associées. Je suis une femme blanche, cis-genre non valide et non-hétéra. J’habite en ville, dans une maison avec trois colocataires humain.es et non humain.es. Je suis du ventre mou de la classe moyenne. 

Trouver ma place est un enjeu intime profond chez moi, et j’ai eu l’espoir de l’avoir trouvée au sein des cercles féministes et de la communauté queer militante de ma ville. Je m’y suis donnée toute entière ; mon temps hors du travail salarié, mon énergie et ma santé tant physique que mentale. Trouver ma juste place sans oppresser avec mes privilèges de classe, c’est beaucoup d’essais-erreurs inconfortables. 

Lors de ma période militante la plus active, je me sentais dans une famille choisie. Entre militant.es, nous partageons des expériences intenses en émotions. Nous sommes rassemblé·es autour de la même énergie de transformation et de lutte. C’est beau, c’est puissant. Ça se loge dans les tripes et le cœur. Un merveilleux outil de formation politique aussi théorique que stratégique. J’ai aimé m’oublier dans l’action politique et dans l’attention portée au collectif.

Mais le militantisme est une fonction sociale si exigeante, que le moment de basculement vers le bas est vite arrivé. Le soutien matériel et social du milieu permet à ce jeu d’équilibre de tenir, un temps. Pour ma part, je me nourrissais beaucoup de cet enveloppement affectif. Tellement que si je pouvais ressentir le besoin de m’en distancier, j’avais aussi très peur de l’isolement, du rejet et de la déliaison que ça pourrait entraîner. 

Malgré une sincère bonne volonté, les pratiques militantes reproduisent ce jeu de la compétition sociale et de la hiérarchisation de l’estime, au concours du ou de la meilleur·e militant·e. Ce jeu à sens unique m’a lassée. Le fonctionnement frôle celui de l’algorithme des réseaux sociaux où plus tu te montres, plus tu es vu·e, reconnu·e et être de confiance face à la communauté. 

Erika Nomeni évoque dans son ouvrage “L’amour de nous-même” un autre type de règles : « dans la communauté queer, soit-disant plus politisée, on dira volontiers qu’on n’aime pas les normes. On en recrée en réalité qui s’approchent des normes dominantes : les corps « tendance » sont toujours des corps minces et blanc, même s’ils sont tatoués. Certains poussent jusqu’à faire semblant d’être moches, en s’habillant mal et en se faisant des coupes mulet. Certain-es diront évidemment qu’iels déconstruisent le genre, bien que les meufs fem aient toujours autant la côte, surtout si elles sont blanches, cis et minces. » 

Je ne suis ni butch, ni androgyne, ni punk. Mais blanche et perçue comme mince. Je me retrouve dans cette pression discrète à performer dans la radicalité. 

Aurore Koechlin, dans La Révolution Féministe, parle de “radicool”. Génial, non ? Pour elle, au sein de certains cercles militants, la radicalité est cultivée pour elle-même, une radicalité plus de posture que de stratégie, comme une performance de soi pour se faire valider par ses pairs. Je la rejoins aussi sur ce sentiment de prêcher des convaincu·es et d’être coupé des masses de celleux là même que l’on pense défendre.

Cette dynamique revient à une forme de déconstruction qui avance en excluant ou à un miroir inversé de la domination déconstruite. 

La productivité y est valorisée, avec le capacitisme, la disponibilité et le validisme qui vont avec. Aller toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus fort, toujours plus grand. Dans ce sens, les exigences et les attentes du milieu militant sont proches du capitalisme contre lequel il lutte, une conception viriliste et guerrière. Les personnes qui ne peuvent s’y contraindre ou qui en sont le plus critique, sont les premières à lâcher, à se cramer… une dynamique inégalitaire et culpabilisatrice qui passe aussi par la compensation de celleux plus actif·ves jusqu’à s’épuiser à leur tour. Le milieu militant souffre de l’image de la personne forte et puissante, véhiculée à travers des normes non assumées.

Qui peut bien se permettre de mettre la lutte avant sa santé ?

Comme beaucoup de personnes sexisées*, je ne me sens pas légitime pour tout un tas de sujets ou de situations. Et des crises de légitimité, y’en a beaucoup dans le militantisme. Il suffit qu’une personne ne soit pas concernée, pas assez déconstruite, trop ceci ou pas assez celà, elle se musèle, s’auto-censure. 

Au printemps 2023, j’ai pris mes distances. Je ne parlerai pas d’un épuisement militant, ce n’est pas ainsi que je l’ai vécu. Mais davantage comme un désenchantement (big up Mylène) progressif. 

Je ne pouvais manifestement pas suivre le rythme, et mon estime de moi en prenait pour son grade. Je me sentais dépendante du milieu tout en m’y sentant insécurisée, ce qui augmentait mes angoisses affectives. Mon anxiété sociale n’a pas été ménagée en ces lieux dits “safe”. Je ne me reconnais pas dans les codes valorisés ; esthétiques et performatifs. Je suis doute, nuance, indécision, observation et questionnement. Je suis davantage tristesse que colère. Toutes formes de violences me terrifient voire me paralysent. Je suis sensible aux dynamiques collectives et interpersonnelles. Je me sens souvent plus menacée par moi-même que par mon environnement. Je suis bien éloignée des compétences psycho-sociales demandées pour le poste de militant·e. Je suis désormais hors concours, disqualifiée.

Toutefois, il m’est encore douloureux de faire le constat des changements sociaux qu’a impliqué cette distanciation choisie : des ressentiments, des gênes, des incompréhensions, des déceptions, des ruptures, des silences, des rendez-vous manqués, des amitiés avortées. 

Je ne pourrais pas militer de nouveau sans un équilibre affectif stable. La lutte n’a pas le temps et a toujours mieux à faire que de prendre soin. Les urgences matérielles et calendaires passent avant. Et lorsque le.a militant.e a le temps, iel reprend des forces avant de retourner au front.

Je veux avoir le temps de cuisiner, dormir, être avec mes proches, créer, écrire, bouger, danser, lire, marcher, faire de la merde, m’ennuyer, ralentir (cf Courir l’escargot de Lauren Bastide).

Est-ce que cela fait de moi une personne seulement passivement opposée à la culture viriliste, blanche, capitaliste, hétérosexiste ? Est-ce que cela fait de moi une lâche, une déserteuse ? 

Le.a militant.e court après le temps. Il y a urgence de tout révolutionner, et c’est souvent une question de vie ou de mort. Mon urgence est autre. L’urgence de lutter pour le soin, de soigner celleux qui luttent. Le soin n’est pas au centre des préoccupations alors même que la confrontation à la violence est quotidienne. La violence en est devenue si banale qu’elle en est normalisée, faisant de bons petit.es combattant.es à l’affectivité froide. 

Pierre Niedergang (Vers la normativité queer) avance que « la critique du pouvoir psychiatrique et disciplinaire, hérité notamment du philosophe Michel Foucault, conduit les anti normatif.ves radicaux.ales à évacuer et exclure la question de la santé psychologique”. Il propose alors de “penser l’action politique à partir du traumatisme, à partir de la politisation des affects, à partir du tissage et de la réparation”.

Ce besoin de trouver ma place est toujours inassouvi. Ni le militantisme ni les amitiés féministes ne m’ont soignée. Ce n’est certes pas leur but. Certaines plaies ont été pansées, d’autres de manière plus temporaire. Il me reste à trouver ma place ailleurs. Un équilibre à trouver autrement. 

Les mêmes valeurs m’animent et donnent du sens à ma fragile existence. Je tâtonne, je cherche ailleurs, je continue de me perdre et m’échoue à d’autres endroits.

*personne sexisée : terme utilisé pour les personnes concernées par le sexisme, donc par la domination des hommes cis hétéro.

Ressource complémentaire :