MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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La place (à soi) des aidant·es

Par Noa

Photo de Joshua Hoehne sur Unsplash

Par cette histoire personnelle, et pour la symbolique familiale du mois de décembre, j’ai souhaité parler de la situation des aidant.es en France.  

Le lundi 19 septembre 2022, j’atterris à Montréal avec une amie pour en rejoindre une autre. C’est un voyage que je préparais depuis des mois et rêvais depuis des années. Au même moment, Papé, mon grand-père maternel, fait un accident vasculaire cérébrale (AVC) sur le plateau Ardéchois où sont rattachés tous ses souvenirs estivaux d’enfant vacher. Je l’apprends par ma mère en appel vidéo dans un café montréalais, et cela colorera toute la suite de mon séjour. Sur le moment, je me sens profondément impuissante à plus de 5000 km, accompagné de son décalage horaire. Ma présence ici me semble absurde. Je veux être auprès de lui à son chevet, lui tenir la main, lui masser les jambes, lui mettre des musiques de Brassens, lui donner à manger, participer à l’organisation des visites à l’hôpital, rencontrer l’équipe professionnelle qui le soigne. Je ne peux pas, je suis ici maintenant. J’ai l’automne québécois à découvrir, ce désir à assouvir. Papé en recevra une carte postale, de ce village de pêcheur bordant le fjord du Saguenay. Lieu paisible où les peintres viennent immortaliser les couleurs automnales, loin de la tourmente familiale, pendant que tu te bas contre ta propre mort. Impuissante, je vous dis.

Travaillant avec des personnes qui ont tous types de handicaps cognitifs, notamment suite à un AVC, je mesure rapidement toutes les répercussions que cela peut impliquer.

Avec cet AVC et ses séquelles, Papé a traversé un enchaînement de malheurs ; perte de son autonomie, de son indépendance, d’un certain statut social, sa maison, la possibilité de conduire et ses occupations préférées. Son amour aussi. Sa femme a pris le large avec une demande de divorce à presque 90 ans. Que reste-t-il de soi dans ces moments-là ? Comment ne pas se perdre et ne pas être dépassé par cette toute nouvelle réalité ? 

Ses enfants n’étaient pour lui, plus juste cela, iels sont devenu.es ses aidants, et lui l’aidé. De nouveaux rôles, les cartes sont rebattues. 

Un.e aidant.e non professionnel.e est une personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre gratuit, à une personne en perte d’autonomie, du fait de l’âge, de la maladie ou d’un handicap, dans la vie quotidienne. 

En France, 57% des aidant-es sont des femmes (baromètre APRIL 2021). Un autre genre de travail domestique gratuit et invisibilisé pour elles. Dans ma famille, le choix s’est fait entre ma mère et son frère. Et il a été plutôt évident que mon grand-père aille chez sa fille. Tout d’abord, leur entente est meilleure. Et puis, c’est en cet endroit qu’il avait anticipé d’aménager un appartement accolé pour ses vieux jours en solitaire. Il y avait aussi ses activités de jardinage, de tourneur sur bois, de bricolage et d’arboriculture. 

Ma mère s’est arrêtée de travailler assez vite. Puis, au bout de trois mois, elle a repris en négociant le plus de télétravail possible. 66% des aidant-es sont d’ailleurs actif.ves (baromètre APRIL, 2021). Le retour au domicile, la cohabitation, le soutien moral, la gestion du quotidien, fut éprouvant avec la sensation d’être totalement livré à soi-même, abandonné par le corps médical, comme si cette nouvelle place de proche soignant était si naturelle. Mon père, soignant et bienveillant dans l’âme, a été d’un soutien essentiel et a entre autres permis à ma mère de passer le cap de la toilette intime lorsque ça a été nécessaire. Que deviennent alors les espaces à soi ?  

Le gouvernement estime à 11 millions, le nombre de personnes soutenant au quotidien un proche en perte d’autonomie ou en situation de handicap. Une personne sur 6. Ça en fait une situation assez fréquente. Notre situation familiale n’a donc rien d’extraordinaire au niveau sociétal, elle l’est par contre pour nous.  

Ce dont ma famille a le plus souffert, c’est du désert médical en milieu rural, du manque de relais à proximité, des répercussions émotionnelles et familiales. Par ailleurs, ma famille est privilégiée à plusieurs égards. Nous sommes blancs et de classe moyenne supérieure. Actuellement mes parents vivent sous le même toit que Papé et mon frère aîné, et soutiennent matériellement ma petite sœur en études supérieures. Ils font partie de cette génération pivot à aider en même temps au moins un parent et un enfant à charge. Iels sont propriétaires de leur maison familiale. Ma sœur a un diplôme et une expérience en tant qu’infirmière, et je suis psychologue clinicienne avec une expérience du milieu hospitalier, sanitaire et médico-social. Je peux expliquer à ma famille le bilan neuropsychologique lorsque les professionnels n’ont pas eu le temps de le faire par exemple. Ou encore guider ma mère par téléphone lorsque Papé tente de se suicider, ne trouvant plus de sens à sa nouvelle réalité. Nous connaissons donc toutes les deux le fonctionnement, les besoins et les acteur.ices du soin. Les quatre types de capitaux de Bourdieu (1986) sont ainsi présents : économique, culturel, social et symbolique. Comment cela se passe-t-il lorsque ces capitaux sont absents ? Dans mon travail, je côtoie des personnes qui ont vécu une errance et une misère, renvoyé chez elleux après un AVC, sans accompagnement, sans suivi, sans suite, et parfois sans entourage soutenant. Essayant de reprendre le cours de leur vie alors que tout semble différent, à commencer par elleux-même. 

Qu’est ce que cela dit de notre société ? Le système de santé français est en crise et inégalitaire malgré ce que les politiques peuvent en dire. Et ce depuis bien avant la crise sanitaire du COVID 19, qui n’a fait que mettre en lumière cette autre forme de démembrement du service public. Il ne passe pas une semaine sans que j’entende qu’une personne aidante professionnelle quitte son poste à l’hôpital publique car ce n’est plus tenable ou pour cause d’épuisement professionnel ou de maltraitance institutionnelle, si ce n’est pas plus grave. Actuellement, l’hôpital public est déserté, l’hôpital n’a peut-être jamais autant dysfonctionné. Des radeaux se construisent pendant que le bateau prend l’eau. 

Alors je me dis, que ces prochaines années, la société va encore davantage avoir besoin de tous ses aidant.es pour prendre soin, à défaut de professionnel.les médicaux, paramédicaux et médico-sociaux et d’un système de santé équitable sur tout le territoire français. C’est aussi le propos du collectif « pas sans les 11 millions d’aidant.es ! » en 2022. Je vous invite à aller lire leur plaidoyer. 

Il ne s’agit plus de se raconter que cela peut être pire ailleurs. Il s’agit de rester vigilant.e au maintien de nos droits et de nos services publics, et de lutter pour les préserver pour une réelle société du care.

Papé, tu as une vie bouleversée, mais de ce chaos, nous pouvons faire quelque chose, tu peux encore trouver de la joie. Tu as retrouvé la parole, déjà. Et dire c’est beaucoup. Pouvoir dire, c’est beaucoup. Tu es parmi les tiens. Et comme tu as aimé t’occuper de nous. Comme tu aimais couper du bois pour nous réchauffer. T’occuper de tes légumes pour nous nourrir. Je crois que tu peux encore faire cela. Prendre soin de nous. 

 

Aller plus loin :

analyse féministe sur la vieillesse : Qui a peur des vieilles de Marie Charrel

sur le handicap : De chair et de fer par Charlotte Puiseux, Nos existences handies de Zig Blanquer

ou encore sur le care : Carol Gilligan, Joan Tronto, Cynthia Fleury

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