Par des meufs de la rédac
Ce 17 Janvier là, quand tu as annoncé “le réarmement démographique”, tu as surtout lancé “le réarmement” de ma lutte contre le patriarcat. Petite soldate, je me tiens droite et fière devant toi, la larme au fusil. Il est chargé à bloc de tous les scandales #metoo qui envahissent mon feed et s’embrase de tous les procès acquittés, de toutes les paroles bafouées et de toutes les vies écourtées. Je lève mon arme à toutes mes soeurs femmes, trans et non-binaires. Je ne la lâcherai pas. Je ne les lâcherai pas.
Il y a un mois, Macron présentait son plan pour « réarmer démographiquement la France ». Ça a suscité de nombreuses réactions, de la part des femmes et de tous celles et ceux qui peuvent enfanter et qui verront leur vie largement conditionnée par cette possibilité. Avec quelques femmes de la rédaction, bien bien soulées d’être encore considérées comme des utérus sur pattes, on a décidé de vous partager ce qu’on en dit.

Laura
Ceci est un coup de gueule, un coup de rage, un appel à la liberté qui provient du plus profond de mon être – de mon corps qui en a marre d’être oppressé par les injonctions, par les discours de vieux monsieur qui cherchent juste à le contrôler – alors que qu’est-ce qu’ils y connaissent eux aux corps des femmes ? Est-ce que ces corps leur appartiennent ? NON. Est-ce qu’ils ont des droits sur ces corps ? NON. Alors pourquoi ?
Ce Mercredi 17 Janvier en regardant le récapitulatif et les extraits du discours de notre cher président, il y a quelque chose qui s’est rompu en moi. Enfin plutôt un interrupteur qui s’est allumé et qui ne veut plus s’éteindre depuis. Une colère qui a déclaré sa flamme à mon corps et qui a décidé de se marier à lui éternellement. Le feu, le feu, je ne vois que le feu.
Ces mots ont pénétré mon corps et ont fécondé en lui une amère révolte. Je vous jure ce jour-là j’ai eu envie de sortir hurler dans la rue, d’appeler ma meute à faire la Révolution, j’ai eu envie de 1789, j’ai eu envie de faire le piquet, de le mettre au piquet et surtout de voir sa tête sur un piquet.
Hystérique, j’étais. Hystérique, je suis – et cela n’a rien à voir avec mon utérus. Mais comment ne pas l’être ? Quand un “président” qui régit déjà à contresens toutes les sphères de notre quotidien, décide comme ça, solo, que nous les femmes devrions mettre nos corps au service de son entreprise de « réarmement démographique » et nourrir ses velléités de domination – Quand ce président décide de me réduire, moi et la moitié de la population de son pays à notre corps et à sa fonction féconde – dites-moi, comment ne pas l’être ?
Monsieur Macron,
Mon corps n’est pas une arme. Enfin si, si tu l’agresses, si t’essayes de le contrôler, il te brûle, parce qu’il sait se protéger.
Mon corps n’est pas une arme de procréation. Il a la chance de pouvoir enfanter, mais ce n’est pas son unique utilité.
Mon corps n’est pas à ton service et ne sera pas complice de ta politique conservatrice.
Mon corps est une arme de destruction du patriarcat. Une arme de destruction des fils à Papa qui ont décidé, sans foi, ni loi, que mon corps leur revenait de droit.
Et surtout, je ne suis pas que mon corps. Je suis une femme avec un corps certes, mais surtout, je suis une femme avec un cerveau, une femme avec des idées, une femme avec des convictions, une femme avec des envies, des désirs, des ambitions, des projets. Et ceux-ci ne sont peut-être pas d’avoir un bébé.
Enthea
Même si je voulais des enfants, je ne les voudrais pas armes d’une nation qui ne sait que détruire et capitaliser, en méprisant l’entièreté du vivant.
Cette déclaration de “réarmement démographique”, au-delà du choix lexical, m’a fait hurler de rage devant tant d’indécence. Car comment se poser sérieusement la question, cher (non) président, quand on est (par exemple), à 33 ans, en cumulant deux jobs et un doctorat, dans une situation de précarité qui permet à peine d’avoir l’argent de nourrir sa chienne, et le temps de la sortir convenablement ? Je pense pourtant être un brave petit soldat du travail acharné, et j’ai le privilège d’être blanche et valide.
Bien sûr qu’une grossesse nous est difficilement envisageable, pour la plupart. Parce que même si le mot « charge mentale» a la côte en ce moment, qu’en est-il de son actuelle répartition au sein des foyers ? Car quand mon corps aura enflé jusqu’à m’en faire souffrir même la nuit, quand j’aurais vomis mes boyaux pendant des mois, puis été déchirée en deux pour donner la vie, quelles solutions me seront offertes pour me guérir, pour me reposer, puis reprendre ma carrière, ma vie ?
Parce que les violences obstétricales sont trop nombreuses (tu connais « le point du mari ? C’est un point de suture au périnée qui se fait post-accouchement en cachette de la mère, et qui est réalisé dans l’unique but de « resserrer » le vagin. Ce point provoque de très fortes douleurs à la personne qui le subit, mais il est utile pour le plaisir « du mari » parce que sinon, après, on a la chatte trop large, tu comprends.). Parce qu’on doit laisser notre enfant à des inconnue.s pas toujours compétent.e.s dès beaucoup trop jeune. Parce qu’ensuite nous sommes obligés de l’envoyer dans une école que l’Etat choisit pour nous, en privant de soutien et en fermant toutes les écoles alternatives. Parce que dans ses écoles il aura un uniforme de bon petit soldat et l’obligation d’un Service National Universel, parce que, on ne l’oublie pas, ce sont des armes de guerre. Et dans tout cela, qu’advient-il de ma vie professionnelle ? Comme beaucoup de femmes, je devrais la mettre en pause, plus longtemps que prévue, ou bien mettre ma santé physique et mentale en péril pour essayer de tout cumuler, en sachant que ça ne sera jamais assez pour être concurrentielle par rapport à un homme, et éviter les remarques et les 5000 injonctions liées à la maternité.
Je déteste profondément ce que mon pays est en train de devenir, et si je dois procréer un jour, si nous n’avons pas, malgré tous nos efforts, détruit la planète d’ici là, soit certain cher (non) président, que ça ne sera pas dans ce pays violent qui ne respecte ni les enfants ni les personnes minorisées, et nous considère comme des consommables, pour la guerre, l’argent, ou leur plaisir.
Charlotte
Si nous avons pris la plume spontanément, c’est pour redire les choses qui ont déjà été dites. Que nous passons notre temps à dire. Que tant disent écouter sans nous entendre. Si la proposition de Laura de coucher sur le papier un petit bout d’une rage très spontanée a été exprimée, et qu’au sein de la rédaction tout le monde a acquiescé, c’est parce que ça fait sérieusement flipper, en fait. Si nous sommes trois à avoir écrit et tant à avoir eu envie de le faire, sans trouver le temps, sans savoir poser les mots corrects, c’est parce que ça laisse sans voix, ce genre de truc.
Il y a celles qui détestent leur ventre et ce qu’il leur offre comme destin incompressible. Il y a celles qui n’ont pas envie d’y réfléchir, qui vivent ailleurs que dans leurs entrailles. Il y a celles qui trouvent que donner la vie c’est sublime. Toutes sont merveilleuses et quant à moi je fais partie des dernières ; j’ai presque 25 ans et je suis plus fertile que je ne le serai jamais. La question des enfants s’est posée à moi depuis toujours comme elle se pose à nous sans qu’on puisse s’en dépatouiller, et je suis au seuil d’une vie à construire dans un monde qui dégénère, avec cette réponse sur les bras : j’aimerais donner la vie.
À qui? À mon enfant. Celui ou celle qui naîtra. Donner la vie ce n’est pas vous la donner. Confier une existence à des puissances qui ne savent que parler en effectifs, en fusils et en expansion de partout. Le don de la vie, je fais le voeu de me battre pour qu’il revienne à mon enfant, mes enfants, et celles et ceux que je n’aurai peut-être pas la capacité de concevoir, mais pour qui je me battrai, le foyer que j’aurais souhaité me constituer, les gens que j’aimerai tant qu’ils porteront ce don là, cette vie là. S’il faut passer la mienne à protéger cette faculté là, celle de décider, celle de faire les choses pour soi, pour la vie, et pour rien d’autre, je me jetterai dans ce combat-là sans vergogne. J’y serai accompagnée par Laura, par Enthea, par tous les gens que j’ai rencontrés sur le chemin d’une vie digne, qui lui donnent un sens, et qui me font penser qu’on gagnera. Parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas se permettre de perdre.
Eloan
Faire des enfants à tout prix. Mais à quel prix ? Pousser les gens à faire des enfants, pour qui ? Pour quoi ? Pour l’Etat ? Et tout ça pour ne pas se concentrer sur ceux qui sont déjà là ? Sur tous ces enfants qui sont “démographiquement” déjà présents dans les effectifs. Monsieur Macron, permettez-moi cette interpellation, pourriez-vous intéressez-vous à eux, à eux réellement je veux dire, à leur bien être, à leur juste place plutôt qu’à leur nombre ?
Peut-être que je prends le sujet à l’envers, de travers. Mais en écoutant tout ça, en essayant de mettre en silencieux ma petite conscience féministe juste quelques secondes, c’est le cri de tous ces mômes en détresse que j’ai entendu. Des petits français, nés au mauvais endroit, au mauvais moment, dont les parents et tous ceux qui prennent le relai derrière sont abandonnés par notre mère à tous et la seule importante à vos yeux, la mère patrie.
Monsieur Macron, il y a déjà tant à faire dès maintenant, avec les petits et grands humains qui constituent la société que nous sommes. Il y a déjà tant à améliorer, à rafistoler, à accompagner. Ne nous poussez pas à la procréation, la conception, au don de la vie. Faites votre job pour celles et ceux en devenir avant de penser à ceux à naître et qui ne seront peut-être jamais.
Alyss
Quand j’ai entendu cette expression : « réarmement démographique », je n’y ai d’abord pas cru. Ça ressemblait beaucoup trop à un scénario dystopique comme nous en avons toustes lu – j’ai pensé tout de suite au livre de Wendy Delorme : Viendra le temps du feu, où « contribuer », c’est-à-dire se reproduire, est un devoir civique prévu par le Pacte National pour faire face au manque de jeunes. C’était censé être une fiction.
Et puis ma seconde pensée a été une sorte de soulagement un peu égoïste : on ne m’ennuiera plus avec ça, puisque j’ai volontairement soustrait mon utérus aux fonctions reproductrices qu’on ne cesse de lui enjoindre de remplir. Salpingectomie partielle. À près de 40 ans, on a fini par me considérer assez mature pour prendre une décision à propos de mon corps (m’appartient-il vraiment ?) : j’ai enfin eu le droit d’envisager sereinement un rapport sexuel, sans avoir à redouter l’accident de préservatif ou à me gaver d’hormones. Avec un peu de chance, je pourrai en profiter un peu avant la pré-ménopause qui signera ma date de péremption sur le marché de la meuf désirable – mais passons.
Depuis que j’ai 11 ans, je sais que ne veux pas avoir d’enfants. Déjà à cet âge, je sentais à quel point ça m’aurait enfermée dans une vie, un rôle, auxquels je n’avais aucune envie de me limiter. J’avais conscience de tout ce que ça m’empêcherait d’accomplir, de connaître, d’être, même.
Parce que quoi qu’on en dise, c’est majoritairement aux femmes qu’on fait porter l’essentiel des charges liées aux enfants et au soin d’un foyer. Et quels que soient les prétendus progrès de ce qu’on appelle « l’égalité homme-femme », c’est encore très (très) loin d’être assez pour rééquilibrer les chances.
C’en est si loin, qu’un matin de septembre, je me suis allongée sur une table d’opération, j’ai fermé les yeux et inhalé un gaz anesthésiant qui m’a plongée dans un coma réversible, et, inerte, j’ai laissé une équipe médicale pratiquer trois incisions dans mon ventre, injecter de l’air par mon nombril pour décoller la peau de mes organes, sectionner mes trompes, vider autant d’air que possible (le reste mettra quelques jours à s’éliminer par la peau), suturer, me réveiller. Encore hagarde et nauséeuse, j’ai regardé mon ventre tuméfié, douloureux, rendu violacé par les hématomes et la colle chirurgicale, et j’ai pensé : « ça y est, je suis enfin tranquille. »
J’aurais préféré que monsieur Macron ne me donne pas raison.
Alice
Réarmement démographique, j’ai d’abord cru que nous parlions de réarmer le pays, avec ces armes qui m’ont toujours effrayées. Vous savez ces objets qui d’un coup d’un seul peuvent ôter la vie. Décider du droit de vie ou de mort sur quelqu’un.
Mais non. On ne parle pas de ces armes là, on parle d’utiliser nos corps pour réarmer le pays avec des bons petits soldats. Ce choix de mots nous a évidemment toutes et tous fait penser à la dystopie de Margaret Atwood, The Handmaid’s Tale. Et finalement je ne sais même plus ce qui m’effraie le plus, que l’on utilise des armes où que l’on s’approprie mon corps dans sa fonction reproductive.
Monsieur Macron, vous avez fait le choix de ne pas avoir d’enfant.
Un choix que tout le monde respecte, c’est le vôtre. Voilà que vous prenez la parole pour parler de réarmement démographique. Jamais pour parler de préservation du vivant, de respect de tous les êtres humains à égalité. Non non, vous prenez la parole pour imposer aux autres un choix que vous avez vous-même refusé de faire.
Toujours plus loin dans votre quête de pouvoir.
Nos corps nos choix, on ne cesse de vous le répéter. Je n’ai jamais voulu d’enfant, on m’a toujours répondu “tu verras ça changera”, “mais pourquoi tu n’en veux pas”.
Mais jamais je me suis dit qu’un président de la république oserait poser cette injonction à faire des enfants.
Vous feriez mieux de vous battre – puisqu’apparemment vous ne savez utiliser que le champ lexical de la guerre – pour préserver notre santé, notre terre, le vivant.
Alexandra
Que dire de plus que mes soeurs n’ont déjà dit ? Quel autre cri peut encore sortir du fond de mes entrailles pour crier ma révolte ? Réarmement démographique. Rien ne va dans ces termes. Tout me choque. Parce que derrière ces deux petits mots se cachent de grandes idées perverses et déconnectées de la réalité. Dangereuses.
Lier la natalité et la guerre, ça n‘a jamais fait bon ménage. Asservir le corps des femmes pour soutenir l’appétit démesuré et égoïste des puissant.es, ce n’est pas une option envisageable. Et pourtant. C’est ce qui se trame depuis la nuit des temps. Réduire le corps de celles qui peuvent enfanter à un simple ventre. Belle petite usine de production d’humains pour en faire de la chair à canon ou pour payer les retraites.
Réarmement démographique. Quelle horrible tintement dans nos oreilles. Abasourdie, apeurée, révoltée, choquée, en colère. “Hystérique”, comme on l’entend trop souvent dès qu’une femme pense et parle avec trop de passion. Voilà comment je me suis sentie lors de ce discours. Et j’ai pensé à nous toutes. À celles qui ne peuvent pas avoir d’enfants et qui en souffrent, celles qui en ont déjà eu et le regrettent parfois, celles qui en ont et s’émerveillent chaque jour de ce cadeau qu’elles ont choisi de se faire, celles qui ne peuvent pas en avoir et qui le vivent sereinement, celles qui en ont parce qu’elles ont subi l’innommable. Et celles, comme moi, qui peuvent en avoir mais n’en veulent pas (et le vivent très bien).
Pas assez d’enfants ? Quid de celleux qui dorment chaque soir dans nos rues et qui n’ont nulle part où aller ? Ils n’attendent que ça de rentrer dans vos statistiques de bureaucrates.
Pas assez d’enfants ? Et donc la solution ultime, c’est d’en faire à tour de bras tant que le sang coule entre nos cuisses ? Faire un enfant, ce n’est pas un acte léger.
C’est un appel du plus profond de l’âme. Un instinct qu’on suit ou non. Un instinct présent ou non. Une envie dévorante ou non.
Mais en aucun cas, ça n’est un outil pour réguler la natalité. Nos corps ne sont pas à disposition, même si beaucoup l’oublient, chaque jour et partout dans le monde.
Nos corps et les choix qui y sont liés nous APPARTIENNENT. Sans préambule, sans demi-mesure, sans négociation.
Alors non “Mister President”, même du sommet de votre tour d’ivoire, entouré de vos cerbères gorgés de patriarcat puant, vous n’asservirez pas nos corps. Et méfiez-vous de nos ventres qui grondent de colère et de révolte. Ne nous prenez pas pour de petites choses fragiles et dociles. C’est mal nous connaître. Et surtout, surtout, souvenez-vous toujours :
“Nous sommes les enfants des sorcières que vous n’avez pas brûlées.”
Puissantes, indomptables et libres.
(Et accessoirement, allez bien vous faire f***** avec vos idées réacs.
Cordialement.)