MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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Turbulence #5 – Libre comme Schengen

Par Laura

Photographie par Will Francis sur Unsplash

Turbulences, ce sont les chroniques d’une femme cis blanche “privilégiée” hypersensible qui décide de s’emparer et de décortiquer les turbulences sociétales et personnelles qui la bousculent. Un petit plongeon dans l’œil de la tempête pour un grand bain de prises de tête.

Vous vous rappelez quand on devait passer des postes frontières entre les pays européens ? Quand on devait payer des droits de douane ? Quand on devait subir les affres de l’administration pour tenter d’obtenir un visa et de partir à l’aventure dans nos pays voisins ?

Moi, non, puisque je suis née l’année où le traité de Schengen est entré en vigueur en France : 1995.

Quasi 30 ans après l’abolition des frontières, passer un week-end à Bruxelles est aussi facile que partir quelques jours à la campagne, on peut pédaler sur des kilomètres de voies de vélo transfrontalières aménagées pour traverser librement l’Europe de l’Espagne à la Norvège, nos territoires potentiels d’études et de vie facilement accessibles s’étendent sur 29 pays, on peut même décider de travailler quelques mois dans un pays, puis quelques semaines dans un autre et ainsi de suite, sans limite de temps et de frontière.

Pour une baroudeuse comme moi, c’est le rêve ! 4500 km2 de terrain de jeu pour voguer au grès de mes envies. Baroudeuse, d’ailleurs, je ne l’ai pas toujours été. J’avais eu de la chance de découvrir quelques pays avec mes parents, mais c’est le programme Erasmus, une autre belle création européenne, qui m’a définitivement refilé la « traveling fever » (fièvre du voyage). Immergée dans l’architecture fonctionnelle et minimaliste d’Helsinki, dans les vapeurs des petits pains à la cannelle, à la découverte de la Laponie intemporelle, je me suis enivrée de cette liberté inconditionnelle de mouvement. Comme Obélix, je suis tombée dans la marmite et cela m’a à tout jamais transformée.

Depuis j’ai posé le pied dans dix-sept des vingt-neuf pays de l’espace Schengen et j’ai même posé mes valises plus durablement dans l’un d’entre eux : l’Espagne. Fatiguée de la vie parisienne et de l’esprit français, je suis partie tester la vida loca madrilène. Après six mois de vie enchanteresse dans le pays du Jamón, j’ai désormais décidé de m’y installer plus durablement. Mais voilà la lune de miel est terminée et les premières remises en question et doutes pointent leur nez.

Techniquement, je suis désormais une « digital nomad », c’est-à-dire que je bosse depuis mon ordinateur, pour la France, mais depuis un autre pays. J’ai toujours détesté ce mot, je n’ai jamais voulu en devenir une, mais force est de constater que j’en suis une… Vous vous demandez pourquoi je suis autant crispée à l’écoute de ce mot ? Tapez dans un moteur de recherche « Digital nomad » et vous verrez tous les mots qui en sortent : gentrification, néocolonialisme…

Et c’est en effet un vrai problème aujourd’hui qui a contribué au changement de paysages de nombreuses villes, où les vieilles enseignes traditionnelles se font remplacer par des « Specialty coffee », des espaces de coworking et autres colivings et surtout à une hausse des loyers et du coût de la vie dans les zones concernées. Des villes comme Lisbonne ont déjà bien été impactées et ce phénomène est également en train de sévir sur Madrid.

Est-ce que j’ai envie de contribuer à cela ?

Le problème n’est pas le « digital nomadisme » en soit, mais plutôt la dynamique capitaliste qui s’empare de ce phénomène. Les promoteurs immobiliers, les entrepreneurs, autres investisseurs et même des fois les pouvoirs publics, saisissent cette opportunité et toute une économie se développe derrière, au dépend des locaux.

Par exemple… 

Une autre semaine dans le quartier cosmopolite et authentique de Lavapiés à Madrid. De nouveaux habitants se font expulser de leur immeuble au profit de la construction de nouvelles résidences de standing qui vont être louées à des expats ou transformées en Airbnb. Une autre semaine à écumer les pages d’Idealista pour espérer trouver mon futur chez moi. De nouveaux citoyens se mobilisent contre la gentrification du quartier. Rien qu’entre mon arrivée et aujourd’hui, c’est-à-dire six mois, les prix des locations ont flambé. Vous connaissez, c’est partout la même, dès qu’il y a moyen de se faire du pognon, les propriétaires en  profitent et n’hésitent pas à augmenter généreusement les prix, car avec la pression de la demande actuelle, ils savent que quelqu’un finira par accepter de payer ce prix.

Et c’est bien ça le problème. Les digital nomads ayant souvent des revenus bien supérieurs aux locaux et l’habitude de standards de prix bien plus élevés, ils acceptent aveuglément, souvent en toute insouciance, de payer un prix bien au-dessus du marché car ils peuvent se le permettre. Mais personnellement, j’ai les yeux grands ouverts sur la situation et je refuse de soutenir son développement. Cette semaine, pourtant désespérée dans ma recherche de logement, j’ai laissé passer une opportunité d’un appartement promettant une vie très douce, m’opposant au prix mirobolant que la propriétaire refusait de baisser. La gentrification ce sera sans moi, je n’ai pas envie que le quartier, l’ambiance et la ville que j’apprécie autant ne disparaissent.

Puis je me suis dit, et si pour m’ôter cette odieuse étiquette de « digital nomad », je me mettais en recherche d’un emploi local ? Pour la troquer contre celle d' »expat ».

Surprise par le peu d’offres présentes, j’ai fait mes recherches et découvert que l’Espagne avait le taux de chômage le plus élevé de l’Union Européenne, et faisait face à un gros problème de fuites des cerveaux, notamment chez les jeunes générations. Nouveau doute… : devrais-je vraiment chercher un emploi ici et rajouter un élément à la pression du marché de l’emploi espagnol ? Spoiler alert, j’ai très vite baissé les bras face au peu d’offres d’emplois correspondant à ma recherche et décidé de continuer avec mon activité d’autoentrepreneur.

Oui, le digital nomadisme (et le tourisme plus généralement) qu’entraîne cette liberté de mouvement, peuvent à la fois profiter économiquement au développement des localités, mais aussi dans une grande mesure, les transformer et les faire disparaître. Je ne prône pas un retour en arrière, mais je souhaite tout de même m’interroger sur leurs dérives. Je suis heureuse et reconnaissante de pouvoir me déplacer librement au sein de l’espace Schengen grâce à l’Union Européenne, mais à quel prix ? Ais-je vraiment envie de contribuer à la destruction de cultures locales ? Ais-je vraiment envie que la poursuite de mon bonheur altère le bien-être des communautés autochtones ?

C’était ma turbulence de ce mois de Mai. On se retrouve le mois prochain, pour un dernier partage de mes réflexions madrilènes avant la pause estivale de Motus.

PS : Je me suis concentrée ici sur les dérives économiques et sociales du digital nomadisme, mais il a également bien-sûr un impact écologique considérable de par les déplacements qu’il implique, surtout lorsqu’ils sont réalisés en avion.

PS2 : N’oubliez pas d’aller voter le 9 Juin ou de faire une procuration sur internet si vous ne pouvez pas vous rendre dans les urnes pour soutenir votre vision de l’Europe. 

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