Par Noa
Le mois dernier, les plateaux tv faisaient la promotion d’un livre ouvertement transphobe. Le mois prochain, on ne sait pas qui sera à la tête du pays. Mais ce mois-ci, c’est le mois des fiertés. Si elle ne nous a jamais quittés, l’odeur de lutte qui se dégage de la préparation des cortèges nous prend les narines cette année. De nombreux combats sont encore à mener pour des conditions d’existence équitables pour toustes. Exister, ça commence par être visible, se raconter. C’est ce que fait Noa dans ce billet.

Fierté. Nom féminin. XIe siècle, fiertet. Issu du latin feritas, «cruauté», dérivé de ferus, «sauvage».
Le mouvement des Pride, que les francophones ont littéralement traduit par fierté, est né d’une émeute, menée par des personnes trans comme Marsha P. Johnson.
Lorsque je me suis rendue à NYC, je me devais, comme un pèlerinage, me rendre au bar The Stonewall Inn à Greenwich Village. C’est précisément là où tout a commencé en 1969 : violences policières, répression d’État et riposte communautaire LGBT+ étaient au programme. Je me souviens en avoir des frissons et ressentir être à un endroit chargé en histoires. Et cela fait partie d’un des précieux moments où j’ai ressenti dans tout mon corps joie, reconnaissance et fierté d’en être.
Ma toute première pride, je l’ai organisée avec mon collectif feministe de l’époque, à la sortie du premier confinement covidien. Une double libération que je nomme seulement aujourd’hui en l’écrivant ici.
Je date les balbutiements de ma prise de conscience à l’été 2015, en pleine post-rupture amoureuse hétérosexuelle. Je saignais l’album Chaleur Humaine de Chris. J’éprouvais une véritable obsession pour cet artiste étonnant. Je me délectais de ses discours sur la fluidité du genre et de la sexualité, tout en poésie et corporéité. A travers ses prises de parole, je découvre aussi l’existence de la pansexualité. En continuité, le podcast Dans le genre de Géraldine Sarratia m’accompagnait dans mes questionnements identitaires. Je remettais en perspective le rapport à ma féminité. Elle se nourrissait principalement de normes hétérosexuelles et bourgeoises. La contre-culture dans laquelle je choisissais d’évoluer se résumait à un mélange de culture dominante et hippie. Cherchant ma propre valeur dans les désirs masculins, mon chemin sinueux à hétéroland a continué encore quelques années.
Mon coming out, comme on dit, je l’ai fait à mes 28 ans lorsque j’ai pu annoncer à mon entourage proche, tomber fort en amour pour une femme. Je me sentais à une place vraie, proportionnellement aux élans passionnels morbides que je ressentais alors au moment de cette histoire. Je n’ai pas eu d’évidence intime ni de turbulences intérieures atroces concernant mes désirs lesbiens. Je n’ai pas cherché à savoir et à comprendre leurs origines. Ce fut une continuité intérieure, en cohérence avec ce que je devenais et où j’en étais dans ma vie. Les deux pieds dans le féminisme radicale, entourée de lesbiennes et personnes queer. Ce fut ma riposte intime contre le patriarcat et la normativité hétérosexuelle. Aussi appelé lesbianisme politique.
Puis plus largement, dans un deuxième temps, je l’ai annoncé à ma famille. Alors en couple exclusif pour une tout autre histoire amoureuse. Avec la présence soutenante de ma petite soeur, je leur ai fébrilement posé que je choisissais une femme comme amante et partenaire de vie.
A cette période, j’ai fait une boulimie de représentation Lgbtqiap+. J’avais toute une culture à rattraper. Le lesbianisme s’arrêtait à TATU et au célèbre baiser entre Madonna et Britney Spears aux MTV Music Awards. Autant dire, rien. J’ai grandi en Ardèche, aux prémices d’internet, un temps où les lesbiennes n’étaient représentées ni dans les médias, ni en littérature ou au cinéma. Encore moins sur KD2A.
A mes 15 ans, la première personne lesbienne de mon entourage fut une collègue animatrice plus âgée, en centre de loisirs. Je ne me souviens pas de ce que ça avait pu susciter en moi ou non. Pendant mes années étudiantes, je note la naissance timide de désirs à l’égard d’une autre étudiante. Je ne suis allée dans aucun bar LGBT. Une de ces années, je me rends par hasard avec une amie à la projection du documentaire Bambi par Sébastien Lifshitz en présence de la concernée. C’était passionnant, cette rencontre m’a profondément marquée en son genre. Cela retrace le parcours de Bambi, aka Marie-Pierre Pruvot, femme trans née en Algérie en 1935. Elle performe ensuite sur les planches du cabaret Madame Arthur dans le Paris des années 50, puis au Carrousel, devenant une vedette mythique du music-hall en France. J’y vois aujourd’hui une ancêtre directe du drag queen. Ce lieu refuge que fut la scène face aux oppressions, lui a permis son autodétermination et son émancipation.
La fierté concerne aussi le vif sentiment qu’on a de son mérite, de sa dignité. Sous les drapeaux LGPTQIAP+, je peux encore douter de ma place, de mon drapeaux, de ma communauté. Pourtant ma vie n’en est que plus flamboyante, riche et authentique, depuis mes coming in & out. Ce dont je ne doute jamais, c’est bien de notre liberté d’être et d’aimer.
Je pense avoir une identité queer discrète, à l’image de ma personnalité et non en réaction à un sentiment de honte ou de peur quelconque. Je m’observe me demander régulièrement si tel de mes choix esthétiques ou culturels est motivé par un souci d’identification ou d’intégration à la communauté LGBT+, ou par mes propres désirs, complexes et influencés de toutes manières. Je peux tout en fluidité explorer autant ma part bimbo que quechua. Écouter Aya et Rebecca Warrior. Je peux me définir sur un spectre plus large, à un endroit entre lesbienne et pansexuelle. J’aime me déplacer entre ces identités. Je sais aujourd’hui que je n’ai pas à choisir. Je suis une boule de disco parée de toutes ses facettes qui illuminent le dancefloor.
J’ai eu la chance jusqu’à maintenant de n’être la cible d’aucune violence directe, d’homophobie ou de rejet explicite. Ni dans ma vie personnelle ni dans ma vie professionnelle. Je me sens épargnée, et j’ai conscience des privilèges de classe, de genre, de race et culturels qui m’en protègent. Mon passing hétéro est aussi un privilège dans ce sens. Et pourtant, en 2024, la projection d’un film lesbien n’est pas à l’abri de perturbations lesbophobes et misogynes, comme lors de Love Lies Bleeding à Bruxelles en avril dernier (il sort ce mois-ci dans les salles obscures françaises).
Je le sais, ces privilèges ne sont pas partagées par les personnes trans de ma communauté, encore moins par mes sœurs transfem. La transphobie systémique d’état actuel est d’une grave violence à coups d’offensive et d’appel à la haine. Les conservateur.ices et les réactionnaires n’ont aucune honte, c’est à ça qu’on les reconnait. Le facisme aux portes du pouvoir légitime leur violence lgbtphobe. Les agressions se banalisent de manière terrifiante en cette période de forte tension politique.
Je ne vais pas chercher à conclure sur une note plus douce, restez en colère les copaines !
Pour agir, selon le thérapeute et militant Morgan Noam :
- “être intransigeant.es avec les discours anti-trans (lgbtphobes en général)
- donner la parole aux concerné.es et les écouter
- refuser de promouvoir des contenus transphobes
- s’informer et s’éduquer
- signer les pétitions
- soutenir financièrement des associations communautaires (Acceptess T, Front transfem, Fransgenre…) et donner aux cagnottes
- se syndiquer
- militer auprès de collectifs ou associations locaux
- faire front commun toute l’année”
- faire front populaire maintenant !