MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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Quand la décroissance bouche le trou de la sécu 

Par Sale Gosse

Image pixabay : https://pixabay.com/fr/photos/gratte-ciel-architecture-ville-3094696/

La voie royale

Récemment, ma vie a le cul entre deux chaises. J’ai quitté un CDI, ratatinée par les horaires et les injonctions. Portée par l’idéalisation d’une vie d’indépendante. Je renoue avec la déclaration que j’avais faite enfant, la tête renversée devant les façades vitrées des tours de la Défense : « quand j’serai grande, j’travaillerai pas dans un bureau ». À l’époque, je voulais être ornithologue, surtout dans le but tout à fait assumé de pouvoir toucher les oiseaux. Non merci le futur entre quatre murs, assise en angle droit et l’horizon à quelques centimètres, à s’épuiser pour des tâches impossibles à imaginer quand on a huit ans.  

Fatalement, il a fallu grandir. J’étais bonne élève, j’ai donc naturellement continué mes études pour, malgré moi, finir en angle droit derrière un écran. L’ornithologie avait été abandonnée au profit de l’écologie et de la politique. J’étudiais le dérèglement climatique à une époque où l’écologie ne se racontait pas à la télé et où trier ses déchets représentait la quintessence de l’engagement. Le monde ne me plaisait pas et je n’imaginais rien d’autre que d’avoir un métier destiné à le changer. J’entrais ainsi sur le marché du travail : diplômée d’une grande école, et révoltée.

Et comme tout ménage à trois, entre marché, grande école et révolte, la dynamique est casse-gueule.

Conjuguer travail et activité

Récemment, ma vie a le cul entre deux chaises donc. Je cherche à ne dépendre professionnellement que de moi, mais je ne me donne pas les moyens de mes ambitions. La raison tient en un quart de ligne : je manque de confiance. Ainsi, pour ne pas perdre la face et continuer de pouvoir manger, je postule parfois à des offres d’emploi suffisamment désirables pour renoncer à ma quête de liberté. Désirable, pour moi, c’est quand on me promet d’inventer un avenir où l’humanité ne périt pas d’ici 2050. L’enjeu me paraît de taille. Ça reste personnel.

C’est ainsi qu’il y a peu, je me retrouve en entretien en évitant de mentionner cette histoire de confiance, quand vient le moment de parler rémunération. Le chiffre avancé est si bas que je demande de le répéter. Il est si bas que même mon côté protestant n’arrive pas à faire semblant de rester enjoué. Pour justifier la honte et adoucir le choc, l’employeur se perd dans une grande symphonie de concepts :  projet de société, aventure humaine, management empathique… J’écoute, lasse, cette tentative infructueuse de légitimer la précarisation. Ce n’est qu’ensuite qu’arrive la véritable surprise, le privilège qui s’invite à la table du prolétariat, le capitalisme qui s’habille en sobriété : on me demande si je connais la décroissance et on m’explique, premier degré, qu’il existe d’autres formes de richesse que celle économique. La personne en face de moi en est convaincue puisqu’elle l’expérimente elle-même depuis qu’elle passe ses étés dans des éco-lieux. Ça fait deux ans.

La tasse est bue. Le naufrage, concret.

Le travail serait donc cette obligation statutaire et financière, qui ne prête aucun mérite à notre utilité sociétale concrète, alors que l’activité serait un hobbie auquel les gens s’adonnent sur leur temps libre, mais qui manque de sérieux parce qu’il ne sert pas d’objectif de croissance ? Et lorsque le travail découle d’une activité (artistique, éducative ou militante) est-il normal de considérer que la permission de l’exercer est un cadeau en soi et que sa rémunération n’est autre qu’un bonus optionnel ? Sommes-nous condamné·es à glorifier la performativité ? 

Le culte de la performance

L’économie ne répond pas au réel. Et la supercherie commence très tôt. Elle commence quand on nous fait croire que des écoles sont grandes et n’ont rien à voir avec le déterminisme social, elle continue quand le marché du travail broie passions et hobbies pour ne valoriser que des compétences au service d’elles-mêmes, elle s’achève enfin quand on vous explique, à 33 ans, que votre salaire est bas justement parce que votre cause est juste et qu’on vous invite à embrasser la décroissance pour faire face à votre précarité. La supercherie s’insinue dans les mots et dans les postures, la richesse ne serait pas qu’économique mais les riches vivent en moyenne 11 ans de plus que les pauvres. Et Beyoncé fait des pubs pour Levi’s. Alors quand on s’essaye à cette proposition, que la richesse ne serait pas qu’économique, quand on nourrit notre altérité, nos espaces vides, nos croyances, quand on prend le temps de le sentir passer, de transformer nos peines et nos amours en images et en poèmes, quand nos arrêts sont féconds et quand nos inspirations se font plus longues, alors la société nous rappelle que la paresse est un péché, que le temps file et doit servir à faire de l’argent, que l’utilité n’est reconnue seulement si elle se chiffre et se met au service de la performance et que dans la fable de la cigale et la fourmi, il n’y a pas de place pour le plaisir. Le bonheur doit s’épanouir dans les creux, dans le temps restant, dans les interstices de l’utilitaire.

Récemment, ma vie a le cul entre deux chaises, parce que je ne vous ai pas encore avoué le pire. Le pire c’est que j’ai toujours huit ans, dubitative devant les tours de la Défense, convaincue de mon futur en leur dehors, à toucher les ailes des oiseaux. Le pire c’est que pourtant, je capitule. Face à l’exigence de performance, face à l’injonction du travail légitime, face au désir d’être quelqu’un, et pas rien, dans une gare. En dépit de toutes les forces déployées pour résister, on m’a inondée. Et bien que je regarde avec dédain les flots qui me submergent, le pire, donc, c’est que je ne suis même pas certaine de le refuser, cet emploi sous-payé. Puisque entre continuer de débroussailler le chemin de mon indépendance ou obtenir un statut en échange de ma liberté, il n’y a que dans une de ces deux situations où je pourrai répondre clairement et sans hésiter à la sempiternelle question « et toi, tu fais quoi ? ».

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