Par Rose
Rose parle pour nous toustes sur ce média, nous qui nous recroquevillons devant des saluts nazis qui se multiplient et des absurdités qui toutes ensemble, jour après jour, semblent tisser notre réalité. Rose parle pour nous et parle bien, elle dit comment se foutre un coup de pied au cul, et aller souffler sur les braises tant qu’elles sont encore chaudes. Rose rappelle aussi qu’en fait, on n’a pas le choix. Que c’est les braises, ou bien les cendres.

Récemment, j’étais à un dîner. Récemment, à ce dîner, on m’a dit que la gauche aimait se donner des frissons en parlant de la montée du fascisme. Que tout allait bien. Récemment, j’ai constaté l’ampleur du déni. Et j’ai compris que beaucoup de privilégiés ne vivaient pas du tout ces dernières années comme je les vivais moi. Écrasée, abasourdie, révoltée, triste, furieuse. Et que ces dernières semaines venaient y ajouter un dernier adjectif : sidérée.
J’ai l’impression que le monde a basculé en quelques jours. Je me suis endormie dans une ère où faire un salut nazi était communément et universellement inexcusable, et je me suis réveillée sur une terre où le premier ministre israélien n’y voit aucun problème. Je navigue dans un monde miroir où l’immonde est excusé, la morale montrée du doigt, l’empathie bannie. Ici : non c’est oui, dire c’est faire, mentir c’est politique. La parole est exponentielle dans son abattage des barricades qui s’étaient graduellement élevées contre l’horreur, la haine et le glacial. Le champ médiatique est inondé. De cynisme, de revers, d’inconséquence aux conséquences si lourdes.
La bête se réveille. Elle était seulement endormie.
Ce n’est pas du frisson. C’est la stratégie militaire « du choc et de l’effroi ». Faire preuve, très rapidement, d’une force écrasante pour asseoir, tout aussi rapidement, sa domination. En multipliant l’horreur et en gavant l’espace public de ses rejetons, nos capacités cognitives sont saturées. Impossible de penser, d’agir, de penser à agir.
Le premier réflexe est celui du repli : sur soi, sur les choses qu’on aime, ceux dont les visages sont maison. J’ai abandonné mes podcast politiques, j’ai laissé de côté google actu et Instagram. J’ai fui. Il fallait que je goûte la vie à nouveau. La mienne. Celle sur laquelle j’ai le contrôle. Il fallait que je sente mon cœur battre. Je devais m’envahir de concret, de simple, de proche. « Un petit abandon », j’ai pensé. Mais avais-je raison ?
Le deuxième réflexe est celui du fatalisme. David contre Goliath. Et qu’est-ce qu’on va faire ? Est-ce qu’on n’est pas déjà tous fatigués, las, à bout ? Qui a le temps de vivre ? C’était quand la dernière fois qu’on a été paresseux ? C’était quand le dernier jour de rien ? Qui souffle ? Mon apnée est permanente. Je compte mes sous, je compte les morts, je compte les dixièmes de degrés en plus chaque année.
Je n’ai jamais aimé compter.
Le choc et l’effroi est une stratégie gagnante. Le capitalisme nous a déjà tous désarmés, de nos passions, de nos rêves, de notre temps. Il suffit de nous cueillir. Chacun de nous aspire à souffler.
Mais peut-être que nous nous trompons de souffle. Peut-être que nos respirations ne sont pas des abandons. Peut-être que c’est le début de la résistance. De s’accrocher aux rires, au droit à l’oubli, à l’insouciance de quelques heures.
Si je souffle, alors que ce soit sur les braises de nos espoirs. Parce que le désespoir est un luxe. L’apathie est le privilège des riches et de ceux qui n’ont rien à craindre. Le fatalisme est l’œuvre des sans-âme.
L’espoir est acte de résistance, parce que nous n’avons pas le choix. Et moi, je fais justement partie de ceux qui ont trop le luxe de la complainte. Si mes journées sont remplies de tâches et d’effroi, elles ne sont pas dédiées à ma seule survie. Il me reste de l’espace pour lutter, parce que j’ai un toit, des choses à manger, de quoi me vêtir et des gens à aimer. Si tous ceux qui ne meurent pas de faim, de froid et de solitude perdent espoir, que nous restera-t-il ?
L’espoir est résistance parce qu’il ne se dicte pas. Malgré ce que ce billet pourrait laisser penser. L’espoir est intime, il s’invite dans les cœurs et chante à tue-tête. L’espoir bouge les corps quand le fatalisme tente de les emmurer.
Il faut qu’on se rappelle.
Des pissenlits poussent entre les dalles béton. On retombe toujours amoureux. Nos souvenirs ont le goût du bonheur.
Ce n’est pas dans le déni, ni dans la certitude que tout ira bien, que mon espoir prend racines. Il prospère dans l’action : j’écris, je lis, j’apprends, je contrargumente, je bénévole pour le collectif, je lobby pour des assos, je paye la presse indépendante, j’ensauvage mon jardin, je regarde dans les yeux, je dis non, j’essaime. Mon espoir n’est pas vain s’il est au service de tout le reste du vivant. Je n’espère pas pour moi, j’espère pour le monde. Et je refuse de jouer leur jeu, celui qui voudrait me rendre passive, petite et isolée. Celui qui me dicte que je suis éco-anxieuse ou hypersensible, le même qui dictait à mes aïeules qu’elles étaient hystériques ou fragiles. Celui qui veut nous faire croire qu’aucun autre monde n’est possible, que les utopies sont condamnées. Celui qui nous culpabilise dès qu’on tente de respirer.
Je ne suis pas anxieuse. Je ne suis pas hyper sensible.
Je sens.
Je suis colère, je suis furieuse.
J’étouffe.
Je suis révoltée.
Parce que je sais que nos utopies sont viables, que le capitalisme est mortel, que l’air est d’or et que les hommes ne font que passer.
Il est temps que nos postures ne soient plus celles de la défensive et de la réaction, que notre calendrier ne soit plus dicté par le leur, et que mon souffle ne dépende pas de leur toute-puissance. L’offensive c’est nos braises. Nous avons tellement d’autres histoires à raconter que celles de leurs torpeurs.
Mon espoir contre leur fatalisme.
Mon imaginaire contre leur colonisation.
Nos respirations et nos utopies contre leur choc et leur effroi.
Soufflons sur les braises.
