MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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EDITO DU 1ER MAI. « Je dirais qu’on n’a plus qu’à vivre »

Par Charlotte Giorgi

Le 1er mai, c’est supposément notre journée. 

À nous, les casse-couilles. À nous les casse-couilles, qui est devenue, cette année particulièrement, la génération fatiguée, burnoutée, démotivée, perdue. Les deux (le casse-couille et la fatigue) se battent à mort depuis qu’on est entrés en politique, et ces derniers temps, on est plus à sec que casse-bonbon. 

Photo de Annie Spratt sur Unsplash

Pour parler de mon petit cas minable, ça fait un moment déjà que je radote. Ça va pas. Je mets deux heures à sortir du lit et je mange comme quatre parce que j’ai rien à foutre d’autre. J’ai pris dix kilos et dix ordonnances de prozac. Une semaine sur deux je dis : « c’est compliqué en ce moment ». « j’y arrive pas, ces jours-ci ».

Et je suis pas spécialement différente des gens qui m’entourent, c’est ça l’angoisse. En plus d’être inutile, je suis donc d’un ennui vertigineux. La meuf est KO technique, elle va nous sortir l’excuse de Trump, l’infobésité, l’hiver ou le désespoir écolo. On est tous sidérés par le fascisme qu’on prédit depuis des années. On en parle en boucle, et puis on finit par se taire et se complaire dans une période d’hibernation, où les uns dorlotent les autres et où, globalement, on se laisse porter. Grand classique : elle a éteint les infos et dort dix heures par nuit pour “se retrouver”. 

Ce qui a tendance à me faire ouvrir un oeil, depuis ma sieste de mois et d’années, c’est ce constat que le repos m’enfonce dans mes draps et me neutralise. Casse couilles, je voulais bien. Inintéressante, ça m’embête. Qu’est-ce qui nous arrive, pour qu’on radote et qu’on mouline et qu’on pédale dans la semoule de notre mal-être pas nouveau ? Et pourquoi les gens qui me veulent du bien m’ont conseillé de disparaître ? 

Parce que là il faut me reposer on me dit, un peu lasse de mes geignarderies. J’ai écouté, de bonne guerre : j’ai arrêté d’écrire, de parler, d’inventer, de me mettre en colère, et puis du coup, d’être intéressante. Mon corps improductif est devenu vide aussi. Et ça, je crois que ça me met en rogne plus qu’autre chose. Alors en plus d’ouvrir un oeil circonspect depuis mon lit d’hôpital pour zinzin, j’ouvre aussi la bouche. Des mois sans éditos, à me reposer? C’est vrai que ça paraissait être une bonne idée en vrai. Pas con, ce concept : ne rien faire, se laisser dériver à travers les mois. On est déjà en été et je suis juste moche et triste. 

Des mois à laisser mon cerveau s’engluer dans la médiocrité ambiante, ça fait des dégâts. 

J’en suis devenue médiocre, et fatiguée de me trouver naze. Je sais plus aligner les mots ou incendier les gens. Je sais juste respirer et j’en ai rien à foutre. Alors je me dis qu’on a tout mélangé. D’accord pour foutre par terre le superflu, les gens qui nous drainent, les conversations de façade ou de posture, les mini choses du quotidien qui font chier, les barrières, les empêchements, le surcontrôle, le flicage de nous-mêmes. Mais qu’est-ce qu’on est cons d’y abandonner notre créativité, et les exigences que nous devons avoir envers nos pensées politiques, nos résistances et la fertilité de nos stratégies.

Pire, se retirer du monde me paraît être une punition pour tous ceux qui nous suivront dans cette galère infernale. En vrai disons-le, mettre nos vies sur pause, nos discussions politiques au placard, nos luttes acharnées pour faire vivre un mouvement social à la benne, nos critiques passionnées pour avancer vers des interstices de dignité à la poubelle, je n’ai pas la sensation, pour vous parler depuis le placard où j’ai balancé tous mes projets depuis des mois, que ce soit un bon remède à nos crises existentielles, qui sont d’ailleurs davantage des combats politiques qu’on se résout à perdre comme des abrutis. Arrêter de les mener, ces combats, arrêter d’être dans l’action, arrêter de se lever tous les jours pour prendre notre part dans ce chaos monstrueux qu’est notre société, ça ne m’a pas reposée, au contraire. J’ai la sensation d’un vide qu’on m’a poussé à créer, pour me remettre, pour respirer, pour aller mieux. Aller mieux dans un espace aseptisé, où rien dans notre corps ne lutte ou n’avance, où l’on flotte, où l’on arrête le temps pendant que dehors tout continue de tourner, c’est faire l’expérience de la vie qui se retire de soi, et du déchirement très net du voile qui nous sépare des rails du métro sur lesquels se jeter. Désolée d’être honnête : je n’ai jamais eu autant envie de me flinguer que depuis que je me repose. 

Alors, ce 1er mai, je suis capable d’une seule chose : proposer un pacte. 

Le pacte : ne nous donnons pas de raison d’être vide plus qu’ils nous le souhaitent, rendons-nous ce service les uns aux autres, de nous secouer, de nous maintenir éveillés, alertes, en lien, à l’écoute du monde, de ce qu’on peut y faire, des actions qu’on peut y mener, et du sens qui est à l’origine de tout ça. 

Ça suffit le repos qui repose pas, les choses qui nourrissent pas et le putain de vide qui nous fait croire qu’il est la solution. Moi je propose d’être à la hauteur de nos fatigues et de nos lassitudes. De se combler, quand on flanche, de résister au silence et au néant, de choisir de pousser là où il faut : à l’endroit des exigences politiques, des forces qui fanent quand on ne les abreuve pas, des collectifs qui se dérobent sous nos pieds quand on se dit que c’est nous tenir ensemble qui nous épuise, alors que nos solitudes béates et inertes, nos vacances qui coupent tout et nos manières de nous vider la tête nous abrutissent et nous désactivent plus que tout autre chose. 

J’ai longtemps pensé qu’ils nous désarmaient, eux, les adversaires, les libéraux les start ups les plans sociaux et les absurdes d’en face. Mais j’avais pas pensé qu’on pourrait se déboulonner tous seuls comme des grands, en coupant les infos et les intelligences, en ayant la flemme, en prenant du temps pour soi que pour soi, en s’excusant pour toutes les occasions d’être généreux ou solidaires qu’on n’a pas saisi, en se flagellant sans rien changer pour la suite. 

Qu’on me comprenne bien : j’écris ça avec l’énergie d’une palourde, considérant qu’aller à la manif cet aprem sera le pic d’énergie de ma journée, et que cet édito je pourrais quand même arrêter de me forcer si ça vient pas – c’est ce que je fais depuis des mois. Mais je m’y refuse. Parce qu’il fait beau, ou qu’aujourd’hui ça va, ou que je sais pas. J’en profite pour m’engager à ne pas être inerte. Faut que je retrouve l’endroit où j’étais avant, l’endroit d’où je puisais l’intérêt pour cette vie et ses beautés. Bien sûr, je vous souhaite le repos et de ne jamais arriver à cet état d’essorage qui rend inoffensif au point qu’une pichenette des opposants politiques pourrait nous faire plier bagage et trouver refuge à Bali pour un stage de méditation de pleine conscience. Je nous souhaite des cadres d’existence qu’on n’est pas obligé de maintenir grand ouverts avec nos petits bras qui repoussent les murs, des gens intelligents et solides pour nous enguirlander et nous pousser au cul, je nous souhaite des environnements qui nous épargnent d’avoir à sans cesse lutter contre nous-mêmes pour lever le petit doigt. Mais je suis désolée : je crois qu’en cette journée de lutte des travailleurs et travailleuses, je nous souhaite de travailler à rendre la lutte possible, parce qu’elle est à la fois le moyen et la fin de nos vies intéressantes et riches. 

J’espère qu’en mai on fera ce qui nous plaît vraiment, c’est-à-dire embrasser nos libertés, créer jusqu’à ce qu’on soit satisfait du nouveau monde, vivre quoi, vivre en opposition à ces destinées de zombies qu’on nous vend comme des havres de paix ou des miracles d’épanouissement. 

Je ne veux plus qu’on confisque ma plume pour me laisser me reposer, c’est ça qui me fait mourir alors que je suis bien vivante, j’ai vingt-six ans et il fut un temps où j’étais une grenade dégoupillée, et je suis fatiguée mais d’être vide, d’être sans but, d’errer au lieu d’exploser comme avant, je ne veux plus fâner, je ne veux plus errer, je veux me déployer même quand c’est fatigant, je veux qu’on s’empêche de sombrer dans la médiocrité de l’apathie, je veux qu’on déborde de ces lits dans lesquels on dort sans arrêt, je veux qu’on soit pleins, juteux, vifs, et qu’on fasse du 1er mai une lutte contre les parts de nous qui leur donnent raison de nous sous-estimer. 

Mon grand-père, décédé cet hiver, m’avait écrit au début de Motus. Il avait dit : “les mots ne sont que moyens. Ils doivent aboutir à la vie, mais tu as déjà prouvé que tu n’étais pas une désincarnée, alors vive les mots et vive la vie”. 

Être désincarnée n’est pas une fleur, c’est une condamnation. Vivre c’est lutter, alors vivre c’est fatigant. Mais mourir, ce n’est pas se reposer, c’est s’éteindre. À partir de là, je dirais qu’on a plus qu’à vivre. 

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