L’amour capitaliste & l’attachement éphémère

Par Enthea

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure. Sans compromis, elles vous entraînent dans les pensées de la jeunesse d’aujourd’hui, celle qui repeint l’époque à son image.

Aujourd’hui, Enthea vous emmène dans une réflexion sur l’amour et le capitalisme, poursuite de sa chronique La dialectique du pet de rupture sur les relations.

Amours capitalistes. Illustration d’Aloyse Mendoza pour la chronique.

J’ai envie d’exploser d’amour.

En permanence, et pour tout ce, celles et ceux qui me font vibrer. Mais c’est compliqué d’exploser d’amour dans ce monde frileux des sentiments, comme si c’était menacer l’équilibre des choses.

J’ai envie parfois, de déposer cet amour comme un petit cadeau pour la personne concernée, et disparaître. « Fais en ce que tu en veux, je n’ai pas besoin d’être là, je n’attends rien de toi. Je voulais juste te donner ça. Ça n’est pas fragile. Ça n’est précieux que si tu le décides. Mais j’imagine que ça pourrait te faire du bien.»

Ça ne fonctionnerait pas, parce qu’il y a confusion entre amour et attentes. Entre sentiments et attachement.

« Je m’attache pas, moi. »

Moi je m’attache aux gens qui ne s’attachent pas. C’est plus simple, parce que je sais qu’on ne va rien construire ensemble. Et leur non-engagement me permet de vivre toute l’amplitude de mes sentiments, très forts, très vite, sans avoir à redouter les conséquences. (Les conséquences, par exemple : un couple monogame ennuyeux, dans lequel je me perdrais pour finir par oublier mon identité et où l’on devrait discuter de qui a laissé l’éponge moisir au fond de l’évier)

Mais au final, je me demande ce qui nous a à ce point ruiné le cœur, pour en arriver à vouloir des relations, en cherchant à ne surtout pas avoir de relation.

Ou alors, est-ce que tout va bien ?

J’ai été éduquée en tant que fille, je me suis identifiée dans mon enfance, aux modèles féminins que l’on nous proposait. L’imaginaire collectif m’a appris à attendre que l’amour de ma vie m’apporte mon propre bien être, et à me dévouer à mon entourage, à mon détriment.

Imaginez, à l’âge adulte, les dégâts que ce genre d’habitudes peut avoir sur l’équilibre des relations. Et le rapport à soi même.

M’attacher à quelqu’un·e sans en faire une priorité dans ma vie est un combat de chaque instant, contre les réflexes que j’ai depuis toute jeune. Prendre du recul sur cette danse étrange que fait mon cerveau lorsque je tombe sous le charme d’une personne, qui m’a apporté de nouvelles perspectives. J’ai découvert la possibilité d’aimer pour ce qu’iels sont. Sans projeter ni avenir, ni attente, ni résultat.

Cette notion de résultat me paraît avoir beaucoup de place dans la manière dont nous percevons les relations. On nous apprend que faire entrer quelqu’un·e dans notre vie, de manière sensuelle ou romantique, doit se faire dans l’optique de combler ou faire aboutir

quelque chose. Du plan cul au futur mari, la notion de rentabilité de la relation est induite. Nous sommes, du fait, les parpaings, le ciment, (ou la bétonneuse, pour les plus motivée·e·s) des un·e et des autres.

Aujourd’hui je suis gênée de cela. Gênée pour les personnes que je veux fréquenter, et gênée pour moi. Je me demande si l’on a pas abîmé un paquet de relations qui étaient simplement belles, juste parce qu’on a essayé de les rendre rentables, de les faire fonctionner sur une durée qui n’était pas adaptée, ou bien de focaliser sur ce qu’il manquait pour que ce soit « une vraie relation ».

Est-ce que l’on y gagnerait pas, à apprendre à se regarder, s’écouter, se vivre, au-delà de nos failles ? J’aime et ai aimé plusieurs personnes. Fort. Mais j’ai peur, sur un instant d’inattention, d’oublier de les considérer dans toute la beauté de leurs identités, et du lien que nous avons, et de projeter des envies de rentabilité, et injonctions. J’ai peur de demander un avenir dont je ne suis pas vraiment sûre de vouloir, en sacrifiant le présent. J’ai peur d’attendre des comportements différents de leur part, alors que l’on a pas signé pour ça. J’ai peur d’oublier tout ce que je commence à comprendre, et de me laisser embarquer par mes vieux réflexes. D’abîmer ce lien précieux, potentiellement éphémère, qui existe parce que nous sommes deux à en prendre soin.

Je ne veux plus capitaliser sur mes relations, ni leur donner un sens précis, une case dans laquelle rentrer, un but, et une identité sociale. Je ne veux plus de statut pour apaiser mes insécurités, je ne veux plus posséder ni appartenir, je veux juste aimer. Autant qu’on en a besoin et envie.

Parce que c’est chouette, à la base.