Les billets d’humeur de Motus sont de retour.
Par Charlotte Giorgi

J’ai le syndrome de la page blanche.
Je n’ai pas écrit pendant deux mois.
J’ai l’impression de devoir dire des choses grandioses, interpeller, alpaguer. Être intéressante ou passer inaperçue. Passer inaperçue est probablement la chose qui me terrifie le plus au monde. Peut-être que ça fait de moi quelqu’un de terriblement orgueilleux, ou que je suis simplement obsédée par la mort et le fait de laisser des traces comme un petit poucet immortel grâce à ses miettes de pain.
Je vous jure, j’essaye de démêler l’amas dans ma tête, de définir de quel évènement j’ai envie de parler, parce que si parler pour ne rien dire est insupportable, il n’y a rien de pire que quelqu’un qui fait de l’écriture un but en soi, qui écrit pour écrire. Alors je réfléchis à ces billets d’humeur, à ce à quoi ils devraient ressembler, ou ne pas ressembler du tout.
Je ne veux pas écrire pour le style. Certains écrivent pour ne pas être compris, pour se distinguer de la masse qui ne comprend rien. Je les déteste.
Je ne veux pas écrire pour informer. L’information est une balle perdue : si on ne détermine pas où elle va, pourquoi elle fait l’objet d’une transmission, et dans quelle mise en récit elle est enrobée, je crois qu’elle est presque plus inutile qu’une fake news. Elle rebondit sur les murs de nos quotidiens sans les pénétrer.
Je ne veux pas parler pour les gens. Je veux que les gens parlent. Dans les billets. Qu’ils se racontent, qu’ils se livrent, je veux savoir ce qui les touchent et avec quelle peinture ils peindront sur notre siècle.
Un billet d’humeur, c’est avoir tort. Pour certains. Et être la juste voix pour d’autres. C’est ne prétendre à rien et donner sans concession. C’est être soi-même et décider qu’il faut en faire quelque chose. C’est avoir un avis sans se taire. C’est penser à voix haute. C’est agréger ce qu’on en dit à ce qu’en disent les autres, pour qu’ensemble on puisse porter le sujet en dehors de la poussière, en débattre, s’acharner, s’étriper, se pardonner, avancer. C’est éclairer un fait brut, le regarder dans plusieurs miroirs déformants, comme une fête foraine, pour en extraire toute la substance, toutes les perspectives, le faire passer aux aveux, le métamorphoser en révolte ou en joie.
Je suis profondément persuadée que nos points de vue sur le monde sont légitimes, qu’ils valent le coup, qu’il y a besoin de scientifiques, de sociologues, de grosses têtes et de cerveaux vifs, mais que nous en sommes complémentaires. Je suis sûre qu’une idée bredouillante ici peut, si elle trouve l’espace de se déployer, faire écho à une autre là-bas, et en entraînant une boule de neige, ouvrir une agora.
Je suis aussi convaincue que les mots ont un pouvoir d’action. Nous ne pouvons pas changer la société avant de l’avoir trouvée, d’avoir mis le doigt dessus, compris et exprimé ce que nous désirons, l’élan que nous avons, et donné envie à d’autres d’y plonger leur nez. Parler de la société pour mieux la transformer, au travers de points de vue sur le monde, voilà ce que nous voulons faire et quelle démarche nous ne réussirons pas à construire sans vous, sans vos avis, vos cultures, sans nous entrechoquer, être humbles, questionner sans cesse.
Chaque semaine sur Motus, vous pourrez lire la génération qui subit et transforme son époque. Nous vous raconterons sans tabou et sans compromis, ce qui nous traverse et comment nous frémissons. Nous ne le faisons pas parce que nous pensons que c’est intéressant, ou stylé, ou un bon passe-temps. Nous le faisons parce que nous pensons que c’est nécessaire, dans une société où nos voix sont si souvent caricaturées, et où le monde, pourtant, continue de courir à sa perte. Dans le grand bazar des choses, il existe une génération qui a tous ses défauts, mais qui sera aussi au premier rang des nouveaux horizons. C’est ce que nous voulons raconter, intimement, authentiquement, et avec beaucoup d’espoir.