La dialectique du pet de rupture [Introduction]

Par Enthea

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure. Sans compromis, elles vous entraînent dans les pensées de la jeunesse d’aujourd’hui, celle qui repeint l’époque à son image.

La chronique d’aujourd’hui parle d’amour, de tout ce qui l’entoure, et elle est signée Enthea.

Photo de Lina Kivaka sur Pexels.com

La dialectique du calbute sale(1) : as-tu écouté ce merveilleux podcast d’Ovidie ? Écoute-le, et ris avec elle. Seulement ensuite, reviens à cette chronique, dont le titre est un hommage, et une continuité à ces questions sans réponse, et à ces terrains politiques et de pouvoir que sont les relations et les ruptures.

Si tu n’as jamais connu d’interaction d’ordre sentimental qui t’ait attiré·e dans les affres de la détestation de toi, des doutes et de la perdition : je suis vraiment heureuse pour toi sœurot, keep going !

Si à l’inverse tu as déjà traversé le désert du manque de quelqu’un qui t’a roulé dessus au tractopelle après une humiliation en règle, alors : bienvenue. Prends une tisane digestion légère et un plaid léopard, et viens te poser, on est ensemble, on est légion.

Pour paraphraser celle qui a inspirée nombre de réflexions féministes, l’écrivaine Virginie Despentes(2): j’écris de chez les désillusionné·e·s et celleux qui pensaient avoir tout vu et hallucinent encore, pour les paumé·e·s, les infiniment tristes, et celleux qui souhaitent en rire, pour ces histoires que l’on ne comprend pas, et celles qui nous ont beaucoup appris. Ça sera beau, ça sera triste, on sera vénères (mais on l’est déjà), ça sera doux, on sera ému·e·s, et surtout, ces histoires sont les histoires de nous toustes. Car, si beaucoup de choses nous différencient – et on adore –, l’amour nous réunit également. On cherche à s’aimer, se désaimer, se retrouver, et l’on se prend les pieds dans des schémas toxiques, issus de nos éducations empreintes de patriarcat. 

D’accord, mais, ce titre de chronique, on en parle ?

En premier lieu, rendons grâce à la personne sans qui ce titre n’existerait pas : une relation destructrice dont la guérison fut le point de départ de ces réflexions. 

T’est-il familier, ce moment où ta dignité s’éclipse discrètement par la porte de derrière et te laisse (mal) gérer une situation ?

Un soir, j’ai invité un amant, torturé, qui ne m’a jamais respectée, à passer la nuit chez moi. J’avais cette petite phrase qui tournait dans ma tête : « Il ne se passe jamais rien de bien après 2 h du matin » (3). J’ai soigneusement ignoré cette phrase. Il était 1 h 43.

Il vient chez moi. Saut à suivre jusqu’au moment où on décide de faire du sexe pas incroyable, car c’est encore – ce que je croyais – ce que l’on pourrait faire de moins pire.

Saut à suivre jusqu’au moment où, en pleine action, il me regarde dans les yeux, s’écarte de moi et, en continuant de me fixer avec défi et colère, lâche la plus grosse caisse, le plus gros vent, la plus longue note que j’ai entendus de ma vie.

« Et voilà ! Maintenant je sais ce que tu n’as plus !

– Heu… L’odorat, j’espère ? »

– Non…

T’as plus envie de moi. »

Endure. Le silence et la stupéfaction.

Lui, avec une expression indescriptible de rejet volontaire qui m’a laissée démunie. Il moonwalk jusqu’à la salle de bain sans un mot de plus, puis revient pour ronfler dans mon lit, comme si je n’existais plus. Il est parti quelques heures plus tard, nous ne nous sommes plus revus.

Moi, à regarder le plafond, sans trop comprendre ce qu’il vient de se passer. J’ai un souvenir un peu fantomatique de la situation. Non pas que ce soit le premier pet de ma vie. Et un pet, ça n’a rien de dramatique.

Mais clairement, c’était mon premier pet de rupture. Je n’avais jamais envisagé qu’un jour, pour en finir avec moi, quelqu’un déciderait de s’y prendre ainsi. Je n’avais jamais envisagé mériter cela. Un « arrêtons-nous là » m’aurait suffi.

Une action de ce type, si elle n’a rien de grave et a le mérite de faire bien rire mes copaines, n’est pourtant pas si anecdotique. Elle nous parle de ce que l’on se permet (ou pas), dans les relations, dans les ruptures, et de nos approches du care(4) – de la considération que l’on porte aux ressentis de notre partenaire. Comment certain·e·s s’octroient le privilège d’essayer de tout détruire avant de partir, de ne répondre d’aucun acte, et de laisser un vent d’incompréhension derrière eux. De la difficulté de rompre avec respect, et de nos inégalités face aux schémas relationnels.

Entre anecdotes, réflexions personnelles et inspirations par des camarades de la badasserie (entre autres, je conseille vivement les strips d’Anaïs Les Fleurs(5)), ainsi s’ouvrira cette chronique : La dialectique du pet de rupture.

Notes et sources :

1/ La dialectique du calbute sale, par Ovidie, hors-série du podcast Le Cœur sur la table, Binge Audio

2/ Virginie Despentes, King Kong Théorie, 2006, éd. Grasset

3/ How I Met Your Mother, épisode 1×18

4/ Le terme care, mot d’origine anglaise, regroupe des valeurs éthiques au sujet de la relation. Dans ce contexte, il s’agit de la manière de prendre en considération les besoins et ressentis des personnes concernées par la rupture. 

5/ https://www.instagram.com/anaislesfleurs/

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