Par Jonas
Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Tout travail mérite sa laisse est une chronique régulière pour penser le travail, orchestrée par Jonas.
Aujourd’hui, la suite de ce premier bout d’histoire dans le précédent billet.
À travers ce billet, je propose une plongée historique pour prendre un peu de recul et je reçois des remarques soulignant que cette mise en perspective devrait s’appliquer de manière géographique et pas uniquement temporelle. Il est crucial en effet de souligner que les droits acquis en France sont très loin d’être appliqués partout. Dans les pays “en voie de développement”, les notions de protection sociale, droit au chômage, école pour tous, etc., sont encore souvent inexistantes. Si dans mes recherches, j’ai choisi de m’axer sur ma réalité occidentale, je ne peux ignorer que la lutte continue et doit continuer PARTOUT pour s’émanciper de la violence productiviste.
Ceci étant dit, comprendre et connaître le passé permet de se projeter dans le futur et dans l’ailleurs. Je reprends donc le fil de l’histoire, au lendemain de mai 1936 alors que la semaine de 40 heures venait d’être instaurée en France. Et dans la foulée des bouleversements de 1936, la loi du 24 juin va fournir un cadre juridique et légal à la signature des conventions collectives. Les syndicats, patronaux et ouvriers, acquièrent alors un véritable rôle dans l’écriture du droit.
Suite à la Seconde Guerre mondiale, les transferts de technologies de l’industrie militaire vers l’industrie civile vont générer d’importants gains de productivité. Cette productivité va offrir du temps aux ouvriers mais, paradoxalement, va les aliéner au travail en leur proposant une quantité énorme de produits à acheter. C’est le début des Trente Glorieuses, trente ans de croissance et de consommation à tout va pour suivre les nouveaux besoins d’une population active qui augmente rapidement. C’est le début de la consommation de masse et de la société des loisirs. La loi de mars 1956 décrète trois semaines de congés payés et celle de mai 1969 y ajoutera une quatrième semaine.
Cet après-guerre marque d’autres progrès incontestables comme l’établissement d’un plan de retraite unifiée. La première caisse de retraite des fonctionnaires de l’État avait été mise en place en 1790, aux lendemains de la Révolution mais avant 1930, aucun employé du secteur privé ne bénéficiait encore d’une pension de retraite. C’est le 19 octobre 1945 qu’un système de protection sociale global comprenant la retraite est mis en place et sert encore de référence à notre système actuel. À cette époque, l’âge légal pour le départ en retraite est fixé à 65 ans.
En février 1950, une loi crée le SMIG, le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti. Ce SMIG (qui deviendra en 1970 le SMIC, C pour Croissance) garantit à chaque salarié un revenu minimum.
C’est en 1958 que, pour la première fois, un salarié ayant perdu son travail a le droit à un revenu de compensation. Dans une période de relatif plein emploi, ce « régime d’allocations spéciales aux travailleurs sans emploi » a déjà vocation à verser aux salariés au chômage un revenu de remplacement (une allocation) et à les accompagner face aux transformations du marché du travail.
Mai 68 marque une mobilisation considérable et notamment sur les questions du travail. Des millions de grévistes prennent les rues et réclament des droits plus justes. Les salaires augmenteront de 10% et le montant du SMIC augmentera de 25%.
La décennie suivante sera pourtant celle du doute, le chômage de masse s’est installé et les politiques néo-libérales vont s’affirmer aux Etats-Unis et en Angleterre.
En France, la gauche exulte et voit François Mitterrand devenir président en 1982. Il ramène l’âge légal de la retraite à 60 ans, diminue la semaine de travail à 39 heures et instaure une cinquième semaine de congés payés.
Les années 90 marquent un retour un arrière sous couvert d’une plus grande flexibilité au travail. Le gouvernement diminue les pensions et allonge le temps de travail en 1993 avec la notion d’annualisation du temps de travail. Et la loi Robien de 1996 permet une réduction du temps de travail pour ce qui aurait pu être un vrai bouleversement et l’instauration de la semaine de quatre jours (on y reviendra).
Mais au lieu du bouleversement, la loi Aubry de juin 1998 fixe la durée légale à 35 heures hebdomadaires et abroge la loi de 1996 alors que la France compte pour la première fois plus de trois millions de chômeurs. C’est à partir de cette époque et l’entrée dans le nouveau millénaire qu’on instaure la notion de travail effectif et le fait de pointer pour aller aux toilettes ou prendre ses pauses.
Depuis, c’est un retour en arrière caché sous le terme de “progrès”. En 2003, on introduit encore plus de flexibilité au travail et les 35 heures semblent une lointaine chimère. Les contrats courts se multiplient, les mouvements sociaux et les syndicats sont de moins en moins soutenus, les intérimaires et les travailleurs précaires se battent pour un travail et non plus pour leurs droits. L’uberisation de notre société marque le retour du travail à la tâche et la disparition des aides et de la sécurité de l’emploi.
Le monde bouge à toute vitesse, tangue plus souvent qu’à son tour et l’avenir du travail est, au mieux, incertain, au pire, angoissant. En prendre conscience, c’est déjà agir. Il y a des tonnes de documentations sur la question, prenez le temps de vous informer et n’hésitez pas à partager vos retours en commentaires.
Sources :