Le salariat : de la Révolution Industrielle à nos jours (I/2)

Par Jonas

Tout travail mérite sa laisse est une chronique régulière pour penser le travail, orchestrée par Jonas. Aujourd’hui, un peu d’histoire.

Je fais partie de la génération Y, celle d’après la chute du mur de Berlin, élevée dans l’opulence d’un bloc occidental dominant et loin des conflits armés du siècle dernier. Pourtant, cette génération est peut-être aussi la première pour qui la vie sera plus complexe que celle de ses parents. Dans un monde en perte de repères, face à l’effondrement écologique en cours, je me pose énormément de questions. 

Et souvent, je regarde le passé les yeux écarquillés, tant tout a changé si rapidement. Les premiers portables n’ont pas trente ans, Internet a globalement mon âge, la télévision couleur est arrivée quand mes parents étaient ados, bref ce qui nous représente une part considérable de notre temps libre n’existait tout bonnement pas il y a cinquante ans. 

Et le travail dans tout ça? Si les progrès technologiques ont largement contribué à diminuer notre temps de labeur, force est de constater que cette évolution n’est pas linéaire ni même à sens unique. 

Je vous propose de retracer de manière synthétique les grandes étapes du travail en France. 

Ce billet en deux parties doit beaucoup à cet article, lui-même issu du livre « En finir avec le chômage : un choix de société ! », de Jean-Christophe Giuliani.


Historiquement, le travail n’a jamais été dissocié de la vie courante. Tout le monde s’y mettait, il fallait se nourrir, se chauffer, se loger et les loisirs n’étaient tout simplement pas imaginables pour le commun des mortels. Pendant des millénaires, la vie était traversée comme une épreuve somme toute assez pénible où la survie était le lot quotidien. Il y a deux cent ans, la moyenne d’âge en France était seulement de 39 ans et les décès enfantins étaient monnaie courante. Seule une élite a eu la possibilité de s’extraire du travail en faisant travailler les masses pour elle. Depuis le Néolithique et la sédentarisation de l’humanité, les “forts” se sont accaparés les richesses (nourriture, parure, vêtements, bijoux puis plus tard maisons, villages, pays) avec la force de travail des “faibles”.

Et ces inégalités ont grossi au fil des siècles et des millénaires jusqu’à exploser depuis deux cent ans avec la rupture brutale qu’a constitué la Révolution Industrielle. C’est donc à ce moment que la notion même du travail va commencer à prendre sa forme actuelle. Les propriétaires d’usine ont besoin de main-d’œuvre et vont déloger les paysans des champs car en 1840, tout le monde travaillait 14h/jour, 7 jours sur 7, soit 98 heures par semaine et 75% de la population travaillait dans l’agriculture. 

Arrive alors en 1841 la première loi s’inquiétant des travailleurs avec l’interdiction du travail aux enfants de moins de 8 ans, puis en 1874, on élargit la loi en laissant “tranquille” les enfants jusqu’à 12 ans. Puis en 1882, la loi Jules Ferry rend l’école obligatoire de 6 à 12 ans, offrant, sous le couvert d’une école gratuite pour tous, une main-d’œuvre qualifiée aux entreprises. Les jeunes apprennent à lire, écrire et compter mais se familiarisent en même temps aux valeurs de travail, d’effort, de discipline, de ponctualité et de respect de l’autorité.

Après presque vingt ans de discussions parlementaires, c’est en 1989 que le premier droit social va enfin être obtenu. En effet, les accidents du travail sont reconnus (dans une certaine mesure, n’exagérons rien) comme étant de la responsabilité du chef d’entreprise. Pour remettre dans le contexte, si, à l’époque, vous tombiez de votre échelle en construisant une maison, c’était l’oubli et aucun revenu le temps de votre arrêt.

Le 13 juillet 1906, la loi sur le repos hebdomadaire est promulguée. Elle accorde à tous les ouvriers et les employés un repos de 24h après six jours de travail. La France est un des derniers pays d’Europe à instaurer une telle loi. Il est également décidé qu’une journée de travail ne pouvait durer plus de 10 heures. Bonheur donc, la semaine de travail de l’époque passe officiellement à 60 heures.

L’origine de la fête du 1er mai étant des manifestations pour la journée de 8 heures qui a finalement été votée au sortir de la guerre, le 23 avril 1919. Aux Etats-Unis, c’est depuis le 1er mai 1884 que la journée de 8 heures est de vigueur. Craignant une révolution sociale à l’approche du 1er mai, le gouvernement Clemenceau fit voter la loi fin avril, ce qui permet à la classe ouvrière d’obtenir un peu de temps libre, de vie sociale et familiale après la journée de travail.

Profitant de la crise économique qui touche le monde depuis le krach boursier de 1929, les grands partis de gauche s’unissent et remportent les élections de 1936. A l’issue de cette victoire, dans un mouvement d’allégresse, des grèves se multiplient partout en France, avec de nombreuses occupations d’usines. Près de 3 millions de grévistes sont recensés. A la suite des élections, une série de réformes sont votées, dont deux chamboulent l’histoire du travail en France : deux semaines de congés payés pour tous les salariés et la semaine de 40 heures (soit deux jours de congé hebdomadaire) sans diminution de salaire.

Grosso modo, en moins de cent ans, nous avons donc réussi à réduire le temps de travail de 250%. Et vous noterez aisément que, depuis moins d’un siècle, cette évolution a globalement stagné. Que s’est-il passé? Quelles étapes ont marqué notre histoire contemporaine? Je tenterai de vous expliquer ça dans le prochain épisode (sortie le …).


Un film : Modern Times
Une BD : Le choix du chômage

Une artiste : Manon Aubry

Et quelques sources :

Une histoire du salariat – 19ème siècle – un travail sans contrat de travail

Une histoire du salariat – Du salaire aux pièces au salaire au temps

Les dix dates clés de l’histoire du travail

Depuis quand les riches dominent les pauvres?

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

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