Par Jonas
Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.
Chaque mois, Jonas poursuit sa réflexion sur le monde du travail et ses implacables dérives dans sa chronique « Tout travail mérite sa laisse ». Aujourd’hui, il aborde la notion du « bullshit job » et ce qu’elle raconte de notre société.

Si j’en suis arrivé à tellement me questionner sur le travail c’est probablement car j’ai été employé à faire des taches absolument nulles, inutiles et même parfois nocives.
Étudiant, j’ai notamment bossé dans un célèbre fast-food et je me rappelle comme si c’était hier de la véhémence avec laquelle mon manager exigeait de moi de rester actif quoi qu’il arrive. Pas de clients, et bien va nettoyer les tables. Les tables sont propres alors plie les boîtes à burger. Les boîtes à burger sont pliées, va trier les frites de la plus petite à la plus grande. Et ainsi de suite jusqu’à l’absurde. Etais-je la seule victime de cette machination cruelle?
Apparemment non. Quelques années après avoir quitté ce poste, je tombais sur un article qui était en train de faire le tour du monde : Le phénomène des jobs à la con de David Graeber. Dans cet article (et plus tard dans son livre), Graeber théorisait l’existence de ces jobs à la con (“bullshit jobs”) et révélait en plus qu’ils concernaient un nombre important et grandissant de personnes.
Pour définir si un job est à la con ou non, Graeber a utilisé une technique toute simple se basant sur un critère infaillible : l’opinion de celui qui l’exerce. En effet, qui de mieux placé que l’employé lui-même pour savoir si ce qu’il fait chaque jour est utile ou non.
Et figurez-vous que plusieurs enquêtes ont été menées et arrivent globalement à un résultat similaire : plus d’un tiers des sondés déclarent leur job comme étant inutile. Un TIERS !
D’année en année le mal-être au travail progresse comme le montre une étude de 2022 qui indique que 41% des travailleurs sont en détresse.
Ce constat est dramatique et mériterait qu’on y cherche une solution mais une multitude de blocages et de pressions s’exercent, à commencer par le manque d’information et l’incapacité d’imaginer une autre réalité.
Il y a pourtant des pistes et des éléments de réponse à ce véritable problème de fond. A travers cet article, je vous propose de survoler quelques concepts sur lesquels je reviendrai dans les prochains mois.
Depuis la crise du Covid, un mouvement parti des USA semble être arrivé en France et plus largement dans l’ensemble des pays occidentaux. Il s’agit de ce qui a été caractérisé comme “La grande désertion” : une volonté des jeunes (majoritairement) de quitter un emploi dès lors que celui-ci n’était pas en accord avec des convictions écologiques, sociales ou autres. Derrière le buzz et les démissions en cascade savamment mises en scène et diffusées sur les réseaux, il y a une profonde remise en question, l’interrogation de nos valeurs et la volonté de s’impliquer dans une activité à laquelle on croit. Le témoignage des jeunes diplômés de Paris AgroTech à leur remise des diplômes et l’engouement qui a suivi la vidéo est un message fort envoyé à toutes les grosses industries capitalistes : nous ne voulons plus de vos règles !
A l’intérieur même du monde professionnel, plusieurs ajustements semblent être en train de faire leurs preuves et servent à questionner notre modèle traditionnel. Il y a notamment l’essor massif de l’auto-entreprise (avec un chiffre record de plus d’un million de créations d’entreprises en 2022). Cette volonté de s’autonomiser, de s’organiser son rythme et ses horaires sont des signes révélateurs de changement. Dans ce cas-ci, attention au revers de la médaille, à l’uberisation à tout-va et à la perte des acquis sociaux conquis de haute lutte.
Parallèlement, il y a de plus en plus de personnes qui cherchent à moduler leur emploi du temps au sein même de l’entreprise. Le temps partiel se généralise, le télétravail a explosé depuis le Covid et de plus en plus d’employés veulent franchir le cap.
Là encore, ne nous extasions pas trop vite en se laissant aller à un optimisme béat car les dérives existent (40 heures de travail sur 4 jours, l’impossibilité de tracer la barrière entre vie pro et privée, la perte de liens sociaux, etc.) mais il est indéniable toutefois que ces questions en appellent d’autres et que notre organisation a pour vocation de se transformer et de s’adapter à l’époque.
Je termine par un court aperçu de ce qui pourrait être une véritable révolution et dont je vous parlerai plus en longueur le mois prochain : le revenu inconditionnel de base (et ses “variantes” : salaire à vie, revenu d’existence, etc.) Il s’agit d’un outil qui permettrait à chaque citoyen d’obtenir sans aucune contrepartie ni surveillance une somme versée par l’État pour lui permettre de mener une existence digne. Ce revenu est étudié par des spécialistes depuis déjà des décennies et des recherches et des expériences ont été réalisées pour valider sa rationalité. Sa mise en œuvre et sa forme précise varient mais son objectif est toujours le même : libérer le citoyen de la pression du salariat.
Le mois prochain, j’approfondirai cette proposition émancipatrice avec un entretien avec Guillaume Mathelier, auteur de “Un revenu d’existence pour toute la vie”.
En vous partageant tout ça, je me rends bien compte du caractère caricatural de mes articles un peu simplistes. Pour compenser, je vous laisse encore trois références indispensables qui vous aideront à poursuivre par vous-même cette longue exploration.
Sources :
- A propos du phénomène des « bullshit jobs »
- Bien-être au travail : 44% des salariés français sont en état de détresse psychologique
- Travaille à distance : 10 chiffres clés
- Travaille ! (pourquoi?)
Lire la chronique du mois précédent : https://motuslemedia.fr/2023/02/20/redefinir-le-travail/